Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'incompétence

par El Yazid Dib

Quand l'impudence maquille les tares ; le zèle ne suffit plus à rendre l'incompétence, compétence. Comme le baudet ne sera jamais un étalon quand bien même broutant dans le champ des chevaux!

L'incompétence départage presque tous. Chacun en a une part entière. Du gouverneur a l'affairiste ; l'incompétence est une prouesse actionnée dans une étude notariale parisienne. Elle est efficacité quand il s'agit d'une survie ou d'une maintenance de confort. Seul le badaud, cet élément populaire insignifiant persiste à considérer l'aptitude comme facteur de développement. Sinon, les autres, ceux qui sont en charge des affaires privées ou publiques, ils n'en tirent que prébendes et insouciance. Ils gèrent ici en s'installant ailleurs. Paris est un magnétisme qui tracte toutes les déjections argentées. Celles qui se dégagent des quotas, des pourcentages et des signatures douteuses. Ces gens qui entretiennent « une histoire passionnelle » entre les deux rives ont su, devant l'absence d'arbitrage et le manque de sérieux de tenir un Etat ; mettre à défaut toute la confiance d'un peuple resté longtemps silencieux. Le laissant brouter dans l'informel, la rapine à petite échelle, la minable débrouillardise ; ils l'enfoncent davantage dans un assistanat lui rapportant quelques miettes assez suffisantes pour une occupation précaire. Qu'ont-ils fait du simple citoyen ? Un individualiste, combinard, interlope, improbateur, égoïste et je-m'en-foutiste.

Pour preuve, ce citoyen est devenu sans réaction. Il ne réagit plus à une vente concomitante, à un viol de feu rouge, au squattage d'un trottoir, à l'insalubrité de sa cité. Il est mort en gardant l'œil ouvert sur ses restreints et propres petits intérêts. Seul le groupe le ramasse. Son action n'est jamais personnelle, elle se fond toujours dans l'anonymat. Le citoyen incompétent est ce citoyen qui se tait, se tire d'affaire et évite de remplir son rôle de rouspéteur. C'est quand il ne réclame plus qu'il est déclaré incompétent à l'exercice de sa citoyenneté. Une incompétence c'est tourner le dos face à l'endroit. C'est prendre un bus sans destination pour soi ou un avion régulier à prendre par les autres. L'espace commun dans son immeuble au sein de son quartier poisseux ne l'émeut plus. Pourvu qu'il y ait de la sureté dans son appartement, le reste ; reste dévolu aux autres. C'est le passant qui remercie l'automobiliste qui lui cède la priorité sur un passage protégé. L'université est prise en otage, l'urbanisme aussi. La spéculation, l'arnaque, l'esbroufe, l'usufruit, la rente, le maquereautage et la compromission sont devenus des modèles à grands succès. L'esprit mafieux est impunissable et demeure une source d'inspiration. L'impunité n'est plus, pour certains une atténuation de circonstance mais une assurance. C'est ce genre d'attitude que le système a crée. Il a réussi à faire de l'indifférence un comportement général et de l'insensibilité une conduite commune.

Il n'y a pas ceux qui pensent seuls ; que le monde est au « bout du nez », ou qu'Eliot Ness hante leur audace et piège leur emportement. Que ceux qui se prennent pour un bout de monde n'aillent surtout pas chercher, le reste de ce monde dans le regard que leur offre la distance qui sépare l'œil de la crête nasale. Nous sommes tous ainsi faits. Il y a des riches et il y a des pauvres. Ce sont ceux que l'on enrichit et d'autres que l'on appauvrit qui font le bonheur des uns par la fatalité des autres. Des bouts de tout et de bout en bout. Sauf que certains, voulant diluer la tourmente nationale en profitent pour mettre leur projet dans l'ailleurs. Dans un appartement bien situé ou dans le prêt bancaire pour inscrire sur leur front « hadha min fadhli rabi » (ceci est de la faveur du bon Dieu). C'est si comme le bon Dieu n'a d'œil qu'envers leurs poches.

Une œuvre qui se fait avec réussite, car elle provient d'un labeur suscite le mal chez les parvenus, ces amoureux du sachet noir en quête de gloire. Elle provoque également d'une manière indéniable une source d'inspiration face à un assèchement culturel que l'on qualifie par amicalité ; de travail et de sacrifice. Les plus authentiques de ceux-ci ont fuit le pays. Ils regardent inoffensifs témoins la richesse de ce pays s'implanter là où eux crèvent la dalle.

Si la réflexion sans doute innocente et dépersonnalisée arrive, contre vents et marées à produire tout de même, une allergie dans les écailles d'un certain pouvoir, c'est que la lecture d'un éloge est prise pour une caricature et la satire pour une louange. Louons ! Faisons des éloges ! Notre erreur est une faute de vocabulaire, nous manquons de vocables, nous ne savons plus fléchir les mots ou courber leur sens ! Notre langue est méchante plus que n'est sordide l'encre qui coule dans le tube que tiennent nos index et nos pouces. Nous devons tous faire notre repentir avec l'énorme espoir que nos zélateurs ou nos pourfendeurs se tairont et ne lâcheront pas les cieux qu'ils étendent sur nos têtes. C'est eux qui nous assurent le pain et le gîte, le vin et le rite. Ils officient, veilleurs derrière les étals de bars, censeurs devant les vacations de quart et imams sur la chaire des minbars ! C'est par la grâce de leurs cervelles bouillonnantes, que les nôtres se trouvent en quarantaine. C'est par l'exportation frauduleuse de nos fonds que nos caisses se vident. Nos écrits grossiers et erronés, font du tord, paraît-il, au « devoir de justice » qui devait nous animer ou au moins nous inciter « à changer de posture ».

Les signaux politiques que nous lance un discours peuvent être aisément émis en clair, par le fait du pouvoir qu'ils exercent à notre égard. Nous allons devenir, voyez-vous, de simples auditeurs, de simples lecteurs ; accepteurs et récepteurs. Nous éduquerons nos tympans à recevoir comme miel, la salive qui déborde de vos gorges, comme nous acclimaterons notre œil à percevoir comme lueur prophétique, le regard perçant qui gicle de vos yeux. Laissez-nous la terre, son histoire, ses épopées et partez ! Si cela vous émerveille.

Le peuple, voire les différents ensembles d'individus veulent un modèle qui le libère des crocs de ce système qui sans vergogne écrase l'intelligence et l'honnêteté de ce qui reste de la redjla, qui castre la virilité des compétences insoumises à la rapine systémique, qui recrute sans raison d'Etat les mauvais, les cancres, les pervertis, les cajoleurs ainsi que les esprits déserts. En somme qui produit l'inertie, l'atrophie et la stagnation. Ils ne sont pas incompétents es-qualité mais paraissent l'être pour mieux exceller dans la compétence liée à la roublardise, à l'esquive et à la forfaiture. Ce système finira tant mieux ; par broyer ceux-là même qui l'ont mis en place.

Quel est ce citoyen qui se prétend capable d'avoir compris ce que lui réserve le devenir de son pays ? L'actualité nationale fusionne de décisions parfois semi-claires et annoncées, d'hypothèses et de prochains plans, qui dans leur incohérence nous promettent en un seul temps les vertus et les affres de l'impasse politique.

L'alternative politique est un pur produit susurré par un système censé se mouvoir dans une vie de pleine démocratie. Entre l'homme et son ego, son idiotie et son mérite ; il n'existe comme frontière qu'un faux débat, du roussi et de l'intrigue. Un pays qui se prépare à recevoir une constitution doit d'abord afficher ses bonnes intentions. Sa compétence doit s'arrêter d'être dans l'élimination de l'avis contraire pour faire épanouir le sens responsable à un peuple mur et majeur. Il est temps de finir le jeu des coalitions et des complicités « démocracidaires ». L'incompétence va, sans ça ; se résumer dans un tassement de sans-issues.

Je ne pense pas qu'un homme ; habile soit-il puisse devenir un prophète par le simple bruitage que fait la friction des paumes de mains. L'applaudissement. La claque de mains est un signe d'une époque révolue. Elle symbolisait alors, une ghettoïsation des idées au profit du mutisme, de la complicité et de la contre-délation. Je ne pense pas qu'une société à court de leaders sous la forme d'un messie, ne puisse produire un temps ou un autre des personnes illuminées qui viendraient, chevaleresques anéantir les mythes et défaire tous les prétendants prétentieux, goinfres et calculateurs. Je pense par contre, que la légitimité n'est pas un simple verbiage ou une forte richesse terminologique. L'éloquence inutile. L'Algérie a besoin d'un avenir. Un passé, elle en a plusieurs. Je pense et le crois que la salut rédempteur d'un avenir radieux proviendrait, non d'une personne mais de toute la corporation trinitaire ; peuple-projet-volonté. Qui aurait déjà dit « misérable est le peuple qui cherche un leader » ?

Ainsi il est facile de croire que celui qui dirige, qui administre, qui gère et qui gouverne est celui par qui arrivent la bénédiction et le bonheur. Tout semble à cet effet se confondre. Aucun profil de futur chef n'est mis en relief. La vitrine n'a jamais pourtant fait état du bon produit qui crèche dans le sous-sol ou les greniers de la république.

Cette situation reste difficile pour peu que les acteurs apparents et non apparents prennent en conscience la sauvegarde et la stabilité des institutions de l'Etat. L'impasse politique n'est-elle pas la maladie infantile de la démocratie ? L'alternative. Le remède

Rien en fait ne pourrait se décider sans qu'il y ait cette assurance même probable de vouloir installer dans la durée un Etat de droit. La reforme de l'Etat commence par la reforme de la vision des critères de sélection et d'élimination. L'ossature de cet édifice n'est mise en relief que par l'existence de poutres et autant de piliers qui sont en finalité les cadres et le cortège subséquemment employé. En poste ou marginalisés, ils constituent toujours un stock d'approvisionnement pour le pouvoir ou au profit d'une opposition intellectuelle. Nonobstant son efficacité, elle ne peut à elle seule constituer une intelligentsia.

L'étiquetage clanique est brandi sous la forme de la bonne gouvernance, et parfois se hisse en un essentiel silencieux d'une mise à l'écart progressive et tacite. Une équipe n'est pas forcement un clan, à la différence que l'équipe se connaît et ainsi se cimente, par des liens d'adhésion à des objectifs communs, alors que le clan n'est qu'une réduction de l'esprit ! C'est une satisfaction interne d'avoir à rendre service. Ce n'est en fin de compte qu'une bande qui compte régler des comptes. Combien de premiers ministres, de deuxièmes ou troisièmes ministres sont aujourd'hui, sans fournir nulle contribution ; répertoriés sur les listes des futurs premiers ministres ou ministres ? du moins leur fait-on croire, à juste titre et se cantonnent à l'affût des meilleures opportunités politiques. Sans parti, ils étaient venus, avec ou sans d'autres partis, ils reviendront. À l'épreuve.

Les cadres de l'Etat, ces hauts et moyens personnages extirpés des tripes de l'appareil étatique, étant toujours valables forment la mémoire et sont les artisans du pays voire de la nation. Hélas le pouvoir les émascule et comme des capes utilisées iront remplir les obscénités et l'apathie de l'ordre du jour ou des salons feutrés ou des cafés maures. Ceci se pratique au profit des détenteurs de fonds. Qui est en fait maitre du pays ? Le pouvoir de l'argent ou l'argent qui donne du pouvoir. Le billet n'a pas de niveau et traite les niveaux selon le volume de la liasse. L'on serait tenté de dire qu'en certaines circonstances ; derrière chaque gros fauteuil réside un gros portefeuille.

La multitude qui n'allait que grossir les rangs de ce capital-savoir rendu inutile et non employé, devenait après usage, une marchandise éligible aux premières étagères du stockage de la grande réserve de la république. L'impression du cadre jetable, rechargeable, changeable n'est de mise qu'en ces temps dus aléatoirement à l'instabilité de l'ordre politique et au manque criard de projet de société.

Ce satanisme de diversion systémique du fonctionnement des rouages de l'Etat ne va certainement nous mener nulle part. Hors du temporel il n'atteindra jamais le spirituel qu'il veut, à grandes lectures ; forcer notre croyance envers son don de sauveur ou sa vision para naturelle des êtres et des choses. La reforme de l'Etat devra s'inscrire aussi dans le sens d'une amnistie générale en termes de réparation des inégalités et injustices commises à l'encontre des personnes du fait de leurs fonctions.

Refondre l'Etat sans fondre ses réflexes ingrats, infamants et avilissants vis à vis de sa substance humaine; demeure à la limite un demi-jeu puéril. L'incompétence c'est la mort de la conscience, c'est ne pas laisser choir son regard sur une vérité qui vous saute aux yeux. La myopie, la surdité en toute connaissance de causes. L'incompétence voulue et subie.