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Déficit

par Bouchan Hadj-Chikh

«Menteur», disait-elle. Elle le soupçonnait de tout et de rien. Quand ce mot monstrueux ne franchissait pas ses lèvres, elle jetait sur lui un sourire narquois, égal, pratiquement, à cette sentence infamante. «Menteur», lui disait-elle. Sans vérifier ses dires. Fatalement, leur relation ne dura pas.

Quand ils se retrouvèrent, plus de quarante ans après, le mot avait disparu de son langage. Mais la suspicion se lisait toujours dans son regard au cours de leurs échanges. Elle continuait de le soupçonner de tout quand il n'était coupable de rien. Ce qui le conforta, son expérience de la vie aidant, dans le fait que l'homme, en dernière analyse, ne change pas tellement au fil du temps. Ses qualités se réduisent en peau de chagrin. En revanche, ses défauts, eux, s'amplifient. Curieux que l'homme finisse par ne plus croire en l'homme.

Il en est ainsi des Etats et de leurs conduites comme des hommes. «J'ai voté pour ? puis pour? et je ne me suis pas retrouvé. Alors, aujourd'hui, je penche pour?», disent les électeurs dont l'attachement aux esquisses de programme, à coup de slogans, souvent, est très volatile. Après avoir traité, successivement, chaque formation politique de «menteurs». Naturellement. Ces déficits-là, de bonne foi, sont difficiles à combler.

Faut dire que les autorités nous ont préservé, à ce jour, de crier dans les rues tout le mal que nous pensons de nos partis politiques. Surtout de celui ou de ceux qui prétendent détenir le pouvoir. Ils ne promettent rien, en effet, et nous n'avons rien à leur reprocher. Il ne nous reste plus que les hauts dignitaires à mettre sous la dent. Le dernier message du président est un texte, avouons-le, et avec tout le respect qui est dû au premier personnage de l'Etat, ne prend pas de la hauteur devant les évènements. En somme, dans le pur style d'un Premier ministre devant l'assemblée nationale.

Il ne nous a pas fait rêver, remporter des batailles, engranger des conquêtes. Faut dire que, si rien n'a été promis, peu de choses ont été réalisées. Non pas physiquement -les voitures neuves nous étouffent, les immeubles garantissent un avenir de banlieusards à nos enfants et petits enfants etc.- mais cette touche qui nous décrisperait, ce ton et l'ambition commune qui nous fera atteindre, un jour le BIB parfait. Ce Bonheur Intérieur Brut. Celui à la quête duquel nos harraga se noient. Nos diplômés et universitaires courent après. En envoyant CV sur CV par-delà les mers comme des bouteilles à la mer.

L'autoroute Est-Ouest ? Beaucoup à dire dessus. Y roulent des véhicules tout neufs pour atteindre le plus rapidement possible non pas le nirvana, mais carrément le Ciel. Les logements ? Vrai qu'ils poussent comment jamais on ne les a vu pousser auparavant. Sans les conditions requises, cependant, pour «vivre ensemble». Les universités et les lycées sont comme des joyaux dans le panier d'une jeune mariée. Sauf que les syndicats des enseignants mènent la vie dure à leurs tutelles. On joue à saute-moutons. D'une grève à une menace de grève. Nous avons accès aux viandes, aux légumes, à tous les ingrédients sauf qu'ils jouent parfois au yo-yo. Sans contrôle ou réglementation des prix. Non. Vraiment. Quelle tristesse de parcourir les étals du marché, un matin, et se rendre compte que les sardines se disputent la course à la hausse des prix aux poissons plus nobles. «Nous avons tout à disposition», disait un responsable. «Pour quel salaire ?». Silence. Tout baigne donc. Ou presque.

Les associations civiles réclament, à corps et à cris, un meilleur traitement des droits de l'homme. Ce que Chevènement - ni harki ni revanchard, socialiste pur jus et humaniste qui fut aux côtés des libérateurs algériens- réfute. Lui, il parle du «droit des hommes». Notre ligue aurait dû y penser. Ou s'en inspirer. L'homme qui a dit «non» à l'invasion de l'Irak lance le bouchon plus loin. Il cite l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui indique que «le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément».

Nous y sommes.

Comment contourner cette prétention des populations à contrer l'accaparement des pouvoirs par une minorité ? Par la peur. Et le mensonge. Le mensonge des Etats-Unis de Bush pour justifier la guerre contre le peuple irakien. Mensonge de la France de Sarkozy sur la situation à Benghazi pour écraser la Libye. Mensonge US, encore, et des va-t'en guerre socialistes français pour pilonner le peuple de Syrie. Mensonge encore pour justifier l'invasion de l'Afghanistan après le montage autour du 11 Septembre. Mensonge pour nous faire croire que les Daesh sont surgis du néant, une armée capable de nourrir, d'armer et de payer plus de 25.000 mercenaires. Mensonge de croire que les Etats-Unis vont «faire la gueule» à l'entité sioniste. Mensonge.

La tête tourne de tous les côtés et nous oublions le Bonheur Intérieur Brut, les droits des hommes, l'enseignement du berbère dans les écoles de la République dont on ne parle plus, une Constitution qui n'arrive pas à se constituer, parce que dès que nous levons la tête pour regarder au loin, l'horizon bleu de nos 1200 kilomètres de côtes le long desquelles les poissons viennent passer leurs vacances sans être inquiétés, ou bien vers les profondeurs de nos millions de kilomètres d'erg, de sable, de dunes, qui font rêver, en quête d'un sourire, d'un bonheur même éphémère. Un mirage ?

Un bout de vérité, s'il vous plait. De mea culpa. Dites vos fautes.

Comment chacun de nous peut-il avoir raison contre tous les autres ?

Senghor, le président sénégalais, a jeté l'éponge. Suivi de Mandela. Le Premier ministre britannique, David Cameroun promet qu'il ne sollicitera pas un troisième mandat. Il n'y a, en somme, que dans cette vaste «Arabia felix», qui ne l'est plus, où les Palais bruissent de complots tous réussis à ce jour. Qatar, Yémen, Arabie saoudite. Hussein de Jordanie, lui, malade, en phase finale, a gardé le pouvoir jusqu'à sa mort. Sans parler de la Libye, de l'Irak et de l'Egypte qui connut, une fausse «sortie», celle de Nasser, en 67, après la débâcle. Je voulais dire tout cela. Et autres choses encore. Monde irréel ? De mensonges ? De manipulation ? Du «tag aala mane tag ?»

J'y mets un terme. Cette chronique est bien anxiogène, je le crains. Au terme de laquelle je ne suis d'ailleurs pas certain d'avoir raison.

En toute humilité.