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Faillites algériennes !

par Cherif Ali

L'exercice qui vous est proposé, aujourd'hui, consiste à passer en revue quelques situations impliquant nos gouvernants qui ont adopté une stratégie de défense «de ne jamais plaider coupables», quelles que soient les circonstances, y compris devant un dossier à charge des plus accablants.

Lorsque, par exemple, une affaire de l'ampleur de «SwissLeaks» apparaît, et que des noms d'Algériens détenteurs de comptes à l'étranger (ce que la loi algérienne n'autorise pas) soient rendus publics, la logique voudrait que le gouvernement, en particulier le ministère de la Justice, prenne les devants pour annoncer, pour le moins, l'ouverture d'une enquête, et que cette annonce soit suivie d'actes. Ce n'est pas le cas, ce qui renseigne sur la volonté des pouvoirs publics de lutter, réellement, contre la corruption et les transferts illicites de devises vers l'étranger et de l'efficacité même de l'Office central de répression de la corruption. A propos de devises étrangères justement, l'Etat en l'absence d'une économie diversifiée et compétitive ne peut ni aligner le taux de change officiel sur celui du marché parallèle pour éliminer les raisons d'être de celui-ci, ni présenter une offre alternative de devises à même de supplanter son attractivité. Et on vient de l'apprendre, non sans étonnement, c'est le maire d'Alger qui a requis les forces de l'ordre, pour mettre fin à l'activité des «cambistes» du square de Bab Azzoun, au motif que ces derniers empêcheraient la circulation et le stationnement des véhicules et gêneraient, par leur bruit, les riverains !

Le centre du pays et l'Ouest connaissent des perturbations depuis plusieurs jours en matière d'approvisionnement en carburant. Comme au mois de février dernier, la crise est manifeste dans toutes les stations-service avec une pénurie de gasoil et une tension sur l'essence, mais cette fois-ci l'argument du «mauvais temps» ne tient pas la route. Les rumeurs les plus folles s'installent en l'absence de communication, sérieuse, de l'entreprise concernée ou du ministère de tutelle, ce qui enhardit certains à parler d'un «complot de déstabilisation» de l'Algérie, d'autres pensent plutôt que c'est une stratégie des autorités pour «rationnaliser» la consommation des Algériens en carburant en perspective d'une augmentation, ou quelques-uns encore, à la fibre verte certainement, estiment que c'est pour «diminuer» la consommation du gasoil polluant. Alors que les témoignages sur la difficulté à trouver du carburant se succèdent, le PDG de l'entreprise Naftal, fier comme Artaban, affirme que «la situation est normale, que le carburant est disponible à la pompe, et que les files interminables dans les stations sont dues aux comportements des automobilistes qui cèdent à la panique !».

Des infrastructures qui ne répondent pas aux besoins. Un système qui a montré ses limites. Des pavillons des urgences débordés. Cet état des lieux déplorable a été confirmé par «The World's Leading Medical & Travel Security (International SOS) qui a classé «l'Algérie parmi les pays à haut risque, où il ne faut surtout pas tomber malade !». Cet organisme d'assurance santé mondiale, qui évalue les risques dans plusieurs pays du monde, place l'Algérie parmi les nations les plus défaillantes en matière de soins médicaux. Les services d'urgence ne sont disponibles, indique l'évaluation de ce groupe international, que dans les grands centres urbains, tandis que l'accès aux médicaments et aux soins de qualité reste insuffisant au sein des zones éloignées. Et il y a aussi ce chiffre de 17 000 Algériens qui ont recouru aux cliniques tunisiennes pour se soigner dans un pays qui a réussi à faire de son système de santé un secteur générant, aussi, une cagnotte annuelle de 100 millions d'euros !

La prochaine Coupe d'Afrique des Nations se jouera au Gabon. Des pays «amis», et non des moindres, affirme-t-on, n'ont pas voté en faveur de l'Algérie, qui contribue pourtant à leur stabilité et à leur sécurité économique. On ne sait pas, pour l'heure, si la diplomatie algérienne s'est impliquée dans la bataille pour obtenir l'organisation de la CAN 2017. Pour beaucoup, l'échec est imputable avant tout au président de la FAF qui doit démissionner ! Certains pensent pourtant qu'il serait injuste de mettre cette humiliation sur le dos du seul Raouraoua, dès lors que le dossier algérien n'a pas été, suffisamment, appuyé à un haut niveau politique et de conclure : «nous avons, peut-être, surestimé le poids diplomatique de notre pays en Afrique. Faiseur de paix au Sahel, effaceur des dettes des pays les plus pauvres, leader incontournable au sein de l'Union africaine, destination de tous les dirigeants en quête d'aide et d'assistance, le pays n'a pas su et pu capitaliser ce leadership à une échelle footballistique ! ». Et le chapitre n'est pas clos pour autant, puisqu'on apprend que le Premier ministre «aurait ordonné une enquête» au sujet de l'échange d'accusations porté par Raouraoua et Tahmi qui s'imputent, l'un et l'autre, la responsabilité de cette débâcle !

Plus d'une année après son lancement en grande pompe à Constantine, par la ministre de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication, rien n'est fait pour inciter le citoyen à intégrer, dans ses habitudes, le «e-paiement», ce mode de règlement pratique des achats et des factures. On continue à fonctionner avec de l'argent liquide au moment même où ailleurs dans le monde on est parvenu à payer ses courses à partir de son téléphone portable. Les plus édifiés sur le «e-paiement» jusqu'à le réclamer dans les bureaux de poste se sont entendus répondre : «on n'est pas au courant, on ne sait même pas ce que c'est ! Certes, on a des formulaires à donner aux curieux comme vous, mais sans plus !».

Un communiqué du MAE rendu public suite «aux difficultés rencontrées par l'équipage du vol d'Air Algérie, chargés de rapatrier nos ressortissants bloqués au Yémen en guerre», a démenti tout ce qui a été dit et rapporté autour de cette affaire et, notamment, l'interdiction de survol du territoire saoudien signifiée à notre aéronef ; «les relations entre l'Algérie et l'Arabie Saoudite sont solides et cordiales», a affirmé le porte-parole du MAE, et «tout ce qui a été rapporté à propos de ce vol n'est que pure affabulation», a-t-il tenu à préciser. Rappelons que quelques heures avant le communiqué, le commandant de bord du vol en question, encore sous le choc, avait témoigné dans les colonnes d'El Watan sur les circonstances dans lesquelles s'était effectuée cette mission, avec un tel souci du détail qu'il est très difficile de ne pas croire en sa bonne foi ! Quel intérêt avait ce piloté à inventer cette histoire ? A moins qu'il ne s'est découvert une âme de «Tartarin de Tarascon», ce qui dans l'absolu est préférable aux tendances suicidaires du copilote de la compagnie allemande !

Vous n'êtes pas à Bab Ezzouar mais au Sud, a dit Abdelmalek Sellal aux responsables de la réalisation du projet de 2000 logements, à l'occasion de la visite de travail qu'il a entreprise dans la wilaya de Ouargla. Le Premier ministre a exprimé ainsi son mécontentement et a demandé «à ce qu'on refasse l'étude, pour respecter le style architectural propre au Sud !». Qui va payer ? Quid de la responsabilité de ceux qui se sont trompés ?

La ministre du Tourisme et de l'Artisanat a décidé de poursuivre la politique de concession des plages sur le littoral national, en opposition au ministère de l'Intérieur qui préconisait l'interdiction et l'annulation de tous les contrats de concession, en expliquant que «les walis concernés recevront sous peu des instructions pour que seulement un tiers des plages soit réservé à la concession et que le reste soit en accès libre, conformément à la réglementation». En l'état, ce sont les APC qui délivrent les autorisations de concession via un cahier de charges dont font fi les concessionnaires qui n'hésitent pas, parfois, à user de violence à l'encontre des vacanciers. Bel exemple de cacophonie ministérielle. Pourtant, sur cette question le SG du MICL, lors d'un regroupement régional tenu le 24 février dernier, avait déclaré : «Notre département va proposer au gouvernement un projet de texte visant à interdire la conclusion de tout contrat de concession des plages».

Les Algériens n'ont pas une vie normale. Ils sont dans l'angoisse permanente et le stress. Ils se lèvent le matin avec un million de problèmes, et le soir ils s'endorment avec un milliard de problèmes. Ils n'ont pas le sentiment d'améliorer les choses, quotidiennement. Au contraire, ils ne s'arrêtent pas de s'enliser et de sombrer. Ce n'est pas le terrorisme qui me fait peur, c'est le renoncement. Aucun peuple ne peut survivre à ça (Yasmina Khadra).

Le débat autour de la révision de la Constitution a ressurgi de plus belle, mais dans la confusion la plus totale. Tenants du pouvoir et partis affidés n'arrivent pas à accorder leurs violons pour au moins faire les mêmes annonces. Et la confusion a atteint son paroxysme le week-end dernier. Face à l'offensive menée par le duo Ould Khelifa-Saâdani, concurrencé par Bensalah, une voix «autorisée» intervient pour remettre la balle au centre : il s'agit du président du Conseil constitutionnel qui rappelle que «la Constitution est régie par des règles claires et lorsque le président de la République décide de procéder à sa révision, il le fait à travers une saisine officielle du Conseil constitutionnel, et nous sommes en attente de cette saisine jusqu'à présent». Alors, qui parle au nom du Président ? Peut-être personne. C'est du moins la réponse que suggère la sortie, surprenante faut-il le dire, de Mourad Medelci. En Algérie, vient d'écrire un chroniqueur, le pouvoir vient de ce que l'on soit informé de la décision ou de l'intention du décideur. Pas de ce que l'on puisse décider, ce qui est rarement le cas. C'est pour cela que tout locuteur public est censé parler au nom de celui qui l'a envoyé, et qui, lui, a le pouvoir d'agir. D'où ce réflexe de l'interlocuteur pour interpréter votre message et juger de sa crédibilité. Il a besoin de savoir qui vous a envoyé !

La conférence nationale sur le commerce extérieur, tenue la semaine dernière à Alger, a constitué une tribune pour relancer l'idée d'une «amnistie fiscale», encourageant ainsi les opérateurs de l'informel à revenir dans la légalité. Des experts plaident pour cette solution afin, disent-ils, de «bancariser» les immenses ressources circulant dans le marché informel pour les injecter dans le secteur productif. L'amnistie fiscale est, toutefois, loin de faire l'unanimité sur sa capacité d'absorber l'informel, pas celui des petits vendeurs à la sauvette, mais celui des gros bonnets de l'import et des monopoles des marchés de textiles, des produits maraîchers, de la viande ou des poissons. L'amnistie fiscale, juste un effet d'annonce, pensent les économistes. En Algérie, comme dans d'autres pays en Occident, il faut se rendre à l'évidence, les offres d'amnistie fiscale n'ont jamais attiré grandes fortunes au bercail !

L'Algérie déficitaire était soumise aux contraintes du FMI dans les années 1990. Elle est devenue un temps excédentaire et même créancière de ce même FMI. Elle redevient, aujourd'hui, à nouveau déficitaire non sans avoir entre-temps brûlé la chandelle par les deux bouts. N'ayant pas canalisé sa précaire rente pétrolière vers l'investissement productif, observait un éditorialiste avec lequel on ne peut être que d'accord, le pays est désormais condamné à renouer, tôt ou tard, avec les politiques de rigueur et d'austérité. Sous le contrôle du FMI !