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Le tourisme militant : en solidarité avec nos frères tunisiens!

par Abdelkader Khelil *

« No Pasaran » était le leitmotiv des républicains espagnols durant la guerre civile de 1936-1939 dans leur lutte contre les forces fascistes de Franco pour défendre la république espagnole. Ce slogan lancé par Dolores Ibarruri Gomez, la pasionaria des républicains, est devenu le cri de ralliement de tous les démocrates du monde dans leurs luttes contre les dictatures et toutes les tentations autoritaires et fascistes.

Malgré la vigilance, l'action anticipative et le sacrifice des forces de sécurité et de l'armée, le terrorisme est parvenu à passer à travers les mailles du filet pour frapper au cœur de la capitale Tunisienne occasionnant la mort de 22 personnes, étrangères dans leur majorité, en plus des deux terroristes. Cette attaque est survenue deux jours avant la fête de l'indépendance, ce mercredi 18 mars 2015 au musée du Bardo, jour où les bateaux de croisière faisaient escale à Tunis.

Cet acte terroriste s'est déroulé dans ce haut lieu de culture jouxtant le Parlement et a visé en premier lieu des étrangers. Tout cela n'est nullement le fruit du hasard ! Ce qui était recherché par les forces du mal c'est de les faire fuir en portant atteinte à une économie encore fragilisée et à la recherche de ses premiers signes de redressement, et particulièrement à cette « vitrine tunisienne » qui est le tourisme, au demeurant déjà affaibli par les retombées de la « révolution du jasmin ». Il faut faire remarquer que ce secteur stratégique pour ce pays voisin qui s'est retrouvé ainsi en position de cible de choix pour créer une situation de chaos, comme ont voulu le faire les forces du mal en Algérie durant la décennie noire, emploie plus de 400.000 personnes et fait vivre 10% de la population tunisienne !

TEL UN ROSEAU QUI PLIE MAIS NE CASSE PAS !

Après l'attaque contre ce monument historique parmi les plus visités par les touristes étrangers, il est bien évident que les premières conséquences n'ont pas tardé, puisqu'on parle de plus de 3.000 réservations annulées ! « C'est-là certainement un coup rude », comme le souligne Jean-Pierre Mas, président du syndicat français des agences de voyages françaises, dans une déclaration à l'AFP. Mais bien qu'elle soit préoccupante, une telle situation n'est certainement pas alarmante pour un pays qui a eu le mérite de séduire par son savoir-faire plus de 7 millions de visiteurs en 2010.

L'acte terroriste barbare contre ce symbole de l'identité plurielle, du savoir et de la tolérance avait aussi pour autre objectif : de saper le moral d'une population qui commence à percevoir les lueurs d'une liberté émergeante, à un rythme certes lent, mais avec beaucoup de détermination ! Alors, oui ! En dépit des difficultés économiques, des lenteurs de la transition et des attentats, les citoyennes et les citoyens sont sortis à Tunis pour dire leur volonté que tout retour en arrière n'est pas envisagé, que la liberté durement acquise par une société civile vigilante, gardienne de ses acquis et de l'héritage de Bourguiba, est là et que personne ne pourra la confisquer ! Le « No Pasaran » des démocrates a été en quelque sorte encore une fois clamé avec force, cette fois-ci en Tunisie par des milliers de citoyennes et de citoyens et ceux venus les soutenir, en réponse à l'attaque meurtrière du Bardo.

Intérêts européens et occidentaux obligent, pour une fois l'élan de solidarité internationale a été à la hauteur de l'enjeu de cette marche grandiose du dimanche 29 mars pour stigmatiser cet acte ignoble et primaire, revendiqué par l'État islamique qui a porté atteinte à un symbole de la mémoire collective de la nation tunisienne et des civilisations, par son caractère bestial. Alors oui ! La solidarité manifestée par les alter-mondialistes, les délégations européennes et celles de pays amis venus nombreux pour les soutenir, ont mis du baume au cœur des Tunisiens comme pour leur dire : « vous n'êtes pas seuls dans cette épreuve tragique ». « Nous sommes à vos côtés ». « Nous sommes tous Bardo », ont crié les manifestants dans le sillage des internautes !

La Tunisie qui a hérité des réformes de Kheireddine au 19ème siècle et d'un fort contenu moderniste insufflé sous la direction de Bourguiba, ne saurait plier ! C'est cette tradition qui lui a permis d'entreprendre un important effort de modernisation de ses structures politiques, économiques et sociales et une grande ouverture sur le monde ! Plus qu'un leitmotiv, « No pasaran » suppose bien évidemment une réponse globale aux sources de l'extrémisme et du terrorisme en accélérant notamment le processus de transition économique et de mise en place de politiques capables de renforcer l'inclusion sociale et régionale et de mieux partager les fruits de la croissance et du développement ! Cela est valable aussi pour nous et pour toutes les autres nations arabes, menacées dans leur unité, leur souveraineté voire dans leur existence même !

POUR UN TOURISME MILITANT !

Mais que l'on ne s'y trompe pas ! Une fois la marche finie, les clameurs tues, les hôtes rentrés chez eux, les Tunisiens sont restés seuls face à leur destin, comme l'ont été les Algériens, esseulés pendant plus d'une décennie ! Comme pour nous, il s'agira pour eux, en tout premier lieu, d'extirper ce « chiendent intégriste » à la racine, comme le font les agriculteurs pour les mauvaises herbes, nettoyant ainsi leurs champs afin de garantir une bonne récolte ! Il faudra aussi tarir ses sources de financement en menant une lutte sans merci à l'informel, à la contrebande et à ses complicités tapies dans l'ombre.

Qui mieux que les Algériens pour comprendre la situation d'inquiétude et de détresse qui tourmente les esprits de nos frères Tunisiens ? C'est avec fierté que nous devons affirmer qu'en dépit de l'instabilité dans laquelle était plongée la Tunisie après la chute du président Ben Ali, l'Etat algérien n'a lésiné sur aucun moyen pour soutenir nos voisins ! De même, nos concitoyens « courage » n'ont jamais dérogé à la règle du choix de cette destination, comme pour souligner leur solidarité, eux qui savent ce qu'est la solitude d'un pays livré aux hordes terroristes ! C'est ainsi qu'ils ont été près de 1,3 million en 2014 et plus de 220.000 pour le seul premier trimestre de l'année en cours -soit plus de 7% par rapport à la même période de l'année dernière- à séjourner en Tunisie !

C'est là certainement la manière la plus efficace d'exprimer notre solidarité à l'échelle nationale, sans faire comme les autres, ceux qui ne font que crier par hypocrisie ou par mimétisme : « je suis Bardo », le temps d'une marche ! Non ! Nous sommes, nous les Algériens, ces êtres qui savons joindre le geste à la parole, sans calcul aucun, que ce sentiment d'avoir atténué quelque peu l'angoisse de nos frères et sœurs tunisiens, en guise de retour d'ascenseur, en mémoire de ces années de braise ! Tant que nous aurons les moyens, nous devons continuer à aller massivement en Tunisie pour apporter un soutien matériel et un message d'espoir à une population dont le pouvoir d'achat a été laminé et dont le moral est au plus bas ! Car loin de raser les murs et nullement dépaysés, nos sommes chez nous en Tunisie, et notre drapeau est visible aux frontons des hôtels, à l'entrée des échoppes dans la Médina, sur les bateaux de croisière, mais pas seulement ! C'est là bien évidemment une marque de respect et un signe de reconnaissance ! Alors, oui ! Nous sommes là, dans l'option d'un tourisme solidaire et militant qui raffermit les liens, tisse la cohésion maghrébine des peuples et prépare les bases de la construction future d'un espace commun, démocratique, uni et prospère, pour faire barrage aux forces du mal !

LES LEÇONS D'UN SEJOUR A SOUSSE

Avec près de 180.000 habitants, Sousse est la troisième ville de Tunisie, après Tunis et Sfax. Surnommée la perle du Sahel, elle est devenue ce haut lieu du tourisme tunisien et attire chaque année de nombreux vacanciers venant profiter à la fois de la douceur du climat et des 15 km de plages de sable fin, réputées dans toute la Méditerranée par le fait que les vacanciers européens, mais pas seulement, sont attirés par le soleil et les activités de la vie nocturne à bon marché. C'est pourquoi la majorité des hôtels sont situés sur le front de mer pour proposer un accès immédiat aux plages. Mais la ville s'oriente depuis quelques années vers un tourisme culturel grâce à l'importance de son patrimoine bien conservé et continuellement restauré.

La Médina de Sousse, inscrite par l'Unesco au patrimoine mondial en 1988, est certainement l'élément incontournable pour tout amateur de patrimoine. Datant des premières décennies de l'Islam, la première enceinte a été érigée par les Aghlabides au 9ème siècle pour protéger leur capitale et le port militaire. Sa mosquée elle-même affiche une allure magistrale avec son imposant minaret en forme de donjon. Les remparts sont encore largement visibles aujourd'hui et parfaitement restaurés. L'accès à la vieille ville se fait encore par des portes, dont la plus importante est Bab El B'har qui fait face à la ville européenne. C'est là, un témoignage de la bonne cohabitation des différentes religions abrahamiques, où les nombreuses mosquées de la ville -comme la mosquée Bu Ftata, la plus ancienne- côtoient les édifices religieux des autres cultes.

Pour compléter la visite de ces monuments, le visiteur devra passer par le musée archéologique de Sousse qui abrite la deuxième plus importante collection de mosaïques après celle du Bardo de Tunis. À noter aussi que l'infrastructure touristique de Sousse est l'une des plus importantes de Tunisie -avec Djerba et Hammamet-, et même d'Afrique.

Un séjour d'une semaine dans cette ville agréable et conviviale, où il est fait bon vivre, m'a permis de mesurer le degré de civilité de nos frères Tunisiens et leur prédisposition à l'ouverture, eux qui ont fait de l'apprentissage des langues -anglais, allemand et français- en plus d'une parfaite maîtrise de l'arabe, l'atout maître de leur management touristique ! Dans cette ville, comme probablement pour tout le reste de la Tunisie, le sourire et la politesse « Sbah El Kheir...rrrr » sont les maîtres mots de la vie citadine ! Ce qui frappe aussi, c'est qu'au contact de ces gens courtois et aux manières avenantes, nos concitoyens paraissent moins rustres et subitement polis, même si ce n'est que l'instant d'un court voyage ! L'arrivée massive de nos concitoyens est fort appréciée par nos frères Tunisiens qui voient en eux cette « bouffée d'oxygène » qui maintient l'espoir et entretient le moral, en même temps qu'ils sont outrés par l'attitude arrogante de ces Libyens aux mauvaises manières ! Il y a là certainement un capital sympathie qu'il faudra valoriser afin de mieux préparer l'avenir ! Car, loin d'être ingrats les Tunisiens sauront s'en souvenir !

Pour peu que nous soyons humbles, nous avons bien des choses à apprendre du modèle tunisien qui place au centre de son action le savoir-faire, l'humilité et la probité ! Savoir voyager c'est savoir observer et tirer le meilleur profit de l'expérience d'autrui ! Alors, oui ! Visiter la Tunisie est une manière de se regarder dans un miroir qui nous renvoie l'image peu reluisante de ce que nous avons fait de notre pays, à travers ces « forêts pour ne pas dire jungles urbaines » de béton ! Nous verrons dans cette superbe ville de Sousse, pas plus grande que Sidi Bel-Abbès, des boulevards animés, parfaitement aménagés, propres et nullement encombrés par la circulation automobile -la voiture étant trois fois plus chère que chez nous, la priorité a été donnée au transport public-, d'où cette invitation à la promenade, tout au long d'un front de mer parfaitement équipé et d'une marina. Le tout assurant de façon harmonieuse l'intégration de la ville à la mer ! Les automobilistes circulent aisément sur une chaussée non encombrée par des dos d'âne et des barrages de contrôle, au point où la police est à peine visible, pour ne pas dire très discrète ! Les piétons flânent sur de larges trottoirs dotés de bancs publics soigneusement travaillés ! Toute cette cohérence d'un aménagement urbain réussi est fort instructive pour les gestionnaires de nos collectivités locales s'ils venaient à visiter les principales villes tunisiennes ! Ils verront aussi ce qu'est la réhabilitation d'une Médina et la gestion des sites et monuments historiques!

UN MAGHREB UNI, SOLIDAIRE ET PROSPERE!

Les appels pour la démocratie et les libertés individuelles et collectives résonnent sur toute la rive sud de la Méditerranée et dénoncent l'incapacité des pouvoirs en place à répondre aux aspirations légitimes des peuples et de leur jeunesse en particulier. Au Maghreb, ces mouvements pacifiques exigent de vraies alternatives politiques pour des changements profonds et durables. S'impose alors une urgence : la construction d'un Maghreb uni, pluriel, solidaire et démocratique. Il s'agit de laisser de côté momentanément les différences politiques et les revendications intempestives, pour s'engager résolument dans une bataille décisive qui tend à éradiquer le terrorisme afin de remettre les citoyens au travail en donnant un « coup de fouet » à l'administration, pour éliminer les blocages qui freinent la mise sur les rails de l'œuvre titanesque du développement qui doit s'inscrire dans la perspective de l'émergence d'un espace Maghrébin fort et solidaire ! Sans cela, l'intégriste continuera à « drageonner » en exploitant les failles de la division et des divergences ! Cette tâche incombe à tous les citoyens de cet espace et aux sociétés civiles de la Tunisie, de l'Algérie, du Maroc, de la Libye, de la Mauritanie et à leurs États respectifs, tout en maintenant leur soutien critique au titre d'une veille sans concession sur les pratiques de bonne gouvernance !

Ce qu'il faut savoir c'est que le coût du non-Maghreb représente 2% du PIB de la région. Alors qu'environ 75% des échanges commerciaux des pays du Maghreb se font avec les pays de l'Union européenne, les échanges intra-maghrébins représentent moins de 3%. Face à la Chine, aux Etats-Unis, aux Etats du Golfe et à l'Union européenne, l'intégration du Maghreb permettra des relations fortes, plus équilibrées et répondant aux besoins et au souhait des populations. La proximité géographique, culturelle et historique fait du Maghreb un partenaire incontournable de l'Union européenne, dans une vision méditerranéenne articulée autour d'une économie équitable...

Mais bien au-delà des relations commerciales, ce sont autant de femmes et d'hommes qui espèrent et croient en un tel avenir. On ne peut plus accepter de voir mourir dans des barques de fortune tous ces jeunes qui ne peuvent se projeter dans une vie décente en Afrique. Sortir de la logique du « chacun pour soi », en recherchant l'union, permettra aux peuples du Maghreb uni de jouer un rôle crucial et dynamique dans les relations euro-méditerranéennes et internationales. Si l'intégration maghrébine pouvait se réaliser, le Maghreb pourrait devenir l'équivalent de ce qu'est la Ruhr allemande pour l'Europe en à peine une décennie ! Et de dire : je suis Maghrébin ! Cela veut dire que je prends acte de la détresse de mes frères et sœurs et je décide de leur apporter mon soutien sous toutes ses formes !

* Professeur