Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

On s'en «foot» !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Je crois que la déclaration récente de Kheireddine Zetchi, le président du Paradou AC, «il faut zapper l'épisode Fekir et nous orienter sérieusement vers la formation», au moment même où le concerné s'estimait «très fier et heureux» d'être convoqué par Didier Deschamps en équipe de France de football, devrait désormais figurer sur le fronton de la Faf et de bien d'autres institutions travaillant avec l'étranger? et que les commentateurs et autres analystes spécialisés en sports en tiennent bien compte pour modérer leur enthousiasme et refréner leurs penchants «nationalistes radicaux».

Voilà donc un jeune homme, né en France, ayant grandi et étudié en France, n'ayant, je crois, jamais mis les pieds au pays d'origine de ses parents, bien intégré dans la société française, avec une carrière réussie dans son pays natal, la France, qui se trouve soudainement projeté sur le devant d'une scène qu'il aurait souhaité certainement moins polémique. Et, au-delà de celle du sport, celle de la politique. Politicienne, plutôt.

La faute à qui ! Au néocolonialisme ? A la mondialisation ? A la main de l'étranger ? Aux managers de carrières des stars ? A la presse nationale et à ses journalistes ? A la presse étrangère et à ses journalistes ? A la Fifa ? A la Fédération nationale ? A l'entraîneur national ? Aux dirigeants du club nîmois ? Au papa ? A la famille du «bled» ? Aux fans de foot ? Comme toujours en Algérie, pour mieux se disculper, c'est la faute à personne, c'est la faute à tout le monde.

Durant près d'un mois, la polémique a fait rage.

Aujourd'hui, le problème est en grande partie réglé, tout particulièrement après le choix définitif pour la France du jeune homme et sa convocation en équipe de France? afin de disputer des matches amicaux. Bonne chance, Fekir ! L'Algérie te soutiendra comme elle a soutenu Zidane, Benzema, Nasri et bien d'autres. Comme elle aime bien Smain, Ramzi, Kad Merad, Isabelle Adjani, Robert Castel, Rachid Arab?, et même Roger Hanin, Jean Daniel, Benjamin Stora, Marie Christine Saragosse, Dany Boon? et même Enrico Macias. Le cœur sur la main ! Les nouvelles générations (et bien des «vieux» qui, malgré tout, n'arrivent pas à «oublier») connaissent si peu la rancune? et, de plus, ils ont actuellement d'autres préoccupations : gaz de schiste, baisse du prix du pétrole, grève des enseignants, bac, hausse des prix des fruits et légumes? et des voitures? le Ramadhan qui approche à grands pas, la préparation des vacances d'été.

Malheureusement, la polémique «fekirienne» (bien inutile, il faut le dire) a fait bien des dégâts, tout particulièrement au niveau de l'opinion des jeunes Algériens d'ici? ainsi que des Beurs. Désormais, pour eux, il y a des joueurs issus de l'émigration «avec nous» et des joueurs «pas avec nous» pour ne pas dire «contre nous». On en a vu les retombées, lors d'une rencontre, au Vélodrome de Marseille, opposant l'OM à l'équipe de Fekir, Lyon. Le pauvre petit a perdu une bonne partie de ses moyens physiques face aux huées d'un public montrant un peu trop son «Algérianité»? Francophobie ? Pas sûr. La rumeur publique «réseautique» avait même rapporté que le véhicule du papa, en stationnement dans sa cité, avait été incendié. Voilà qui ne peut qu'apporter de l'eau au moulin de la droite politique française qui cherche à toujours souffler sur les vents racistes islamo-arabo-algérophobes.

Encore une faille dans la communication? sportive, cette fois-ci. Chez le premier concerné, c'est certain, avec les déclarations très engagées d'un papa voulant assurément montrer sous le maillot des Verts, aux cousins du bled, les qualités de son rejeton.

Chez le premier concerné avec son premier accord pour intégrer l'équipe nationale d'Algérie puis s'étant rétracté, laissant percer l'existence de pressions externes, affairistes et/ou peut-être politiques importantes. N'ayant certainement pas jugé nécessaire d'engager un chargé de com' pour gérer son affaire et comptant (lui et ceux qui l'entouraient) sur ses propres capacités et, surtout, sous-estimant ou méconnaissant les véritables enjeux politiques et financiers (en Algérie et en France) de l'opération, il risque fort de regretter amèrement (et, sincèrement, on ne le lui souhaite pas) tout le tapage autour d'un choix qui au départ était bien simple. Il fallait tout simplement, tout bêtement continuer à être un «champion», un joueur de talent, ne pas laisser même des aînés trop s'en mêler (le papa de Zidane n'est apparu sur la scène qu'après la consécration et ne s'est que rarement mêlé du management de la carrière de la star de la famille)? puis sortir du piège infernal tendu par les radicaux, sincères ou affairistes, d'ici et d'ailleurs, pour choisir discrètement, calmement et objectivement? selon ses intérêts propres bien compris? comme il a dit, lui.

Car, il ne faut plus se faire d'illusions et se cacher derrière des sentiments que nul ne respecte plus en fait. L'argent est, aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain, le moteur de la vie sportive? de compétition, dite professionnelle. Le foot, certes, mais aussi d'autres sports à des degrés peut-être bien moindres. Les dernières et habituelles rumeurs concernant les tentatives ou actes de corruption en vue d' «arranger» des matches ; les affaires de salaires versés aux joueurs, incontrôlés et désormais incontrôlables ; les primes de signature ; la valse des entraîneurs (étrangers entre autres? ce qui facilite bien des détournements) ; la course aux «soutiens», pour un oui pour un non, de l'Etat et, nouvelle-ancienne mode, des entreprises publiques ; les chantages «politiciens» avec ,comme argument-massue, les masses de «supporteurs » et leur violence? à «comprendre», à calmer, à réguler (en temps d'élections beaucoup plus, cela va de soi) ; les sanctions prises réduites en peu de temps, victimes de la stratégie de «réconciliation» ; des présidents de clubs «sans peur mais bourrés de reproches»?

Il ne faut plus se faire d'illusions et se cacher derrière des sentiments que nul ne respecte plus en fait. Attention ! Le professionnalisme n'a rien à voir dans toutes ces dérives. Le fautif est (et cela existe dans bien des pays en développement) l'interventionnisme trop voyant de l'Etat et l'absence d'application rigoureuse, décidée et continue des réglementations adoptés (parfois à l'unanimité lors d'assemblées toujours presque toutes fraternelles !).

Qu'on se le dise ! Le professionnalisme est affaire d'entreprises et d'entrepreneurs ; pas d'«affairistes». Qu'ils se dém? seuls ! Au fond, pour le bon peuple, celui de l'Algérie profonde, que Fekir vienne ou ne vienne pas, peu importe? et, il y a assez de capacités nationales (joueurs et entraîneurs), en Algérie même, pour pouvoir faire (à moyen et long termes) de bonnes équipes nationales.

A condition que les Appareils d'Etat (entreprises publique y compris) s'investissent u.n.i.q.u.e.m.e.n.t et pleinement dans les sports amateurs : scolaire, universitaire, militaire, du monde du travail, associatif, de quartier? laissant les entreprises (privées et pourquoi pas publiques si cela est absolument nécessaire «commercialement») s'adonner au sponsoring habituel? de manière transparente et justifiée ; l'obligation de résultats devant s'imposer aux managers.

A la base du vrai développement sportif (et moral) durable, celui qui permettra aux corps sains d'avoir des esprits sains. Tout le reste n'est que clameurs passagères et réussites commerciales furtives. De la politique politicienne ?