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Constitution : phobie d'altérité et compromis hypothétique !

par Abdellatif Bousenane

Très attendue et largement commentée dans l'espace politico-médiatique local, la révision de la Constitution, qui est annoncée effectivement pour les prochains jours, ne semble pas avoir des effets capitaux sur la vie politique du pays.

Des fuites dont la source reste entièrement mystérieuse annonçaient des amendements sur la loi 88, le nombre des mandats présidentiels, une marge de manœuvre un peu plus large pour le Parlement et les partis de l'opposition, etc. Nous sommes donc devant un léger lifting de la Constitution existante.

Dans cette perspective et dans le contexte spécifique à notre pays, il faut tout de même rappeler qu'à part des métamorphoses spectaculaires invraisemblables telles qu'un passage d'un régime présidentiel actuel à un régime parlementaire, l'exigence d'un partage plus juste des richesses nationales, autrement dit la sortie du régime capitaliste qui est imposé pratiquement à toute la planète, ou l'annulation de la loi qui préconise que l'islam est la religion de l'Etat, comme le demande la partie laïque, cette révision de la loi fondamentale du pays ne bouleversera nullement en effet l'architecture du champ politique algérien et cela pour plusieurs raisons :

1- Déterminisme économique : d'abord, parce que le problème principal est d'une nature économique, tout le monde sait aujourd'hui que la globalisation initiée par l'empire occidental a imposé à tous les pays du monde une nouvelle « religion » qui est le capitalisme libéral. Or, ce nouvel « opium » des peuples a ses limites et son dysfonctionnement, comme n'importe quel système humain d'ailleurs. Car, le chômage, la précarité et la pauvreté sont des variables d'ajustement très liées à la structure même de ce modèle. Ce qui aggrave inévitablement ainsi la situation déjà délicate des pays du Sud.

2- Déterminisme politique : parmi les fondements de ce système capitaliste occidental, il y a, justement, l'aspect de la domination qui est basée à son tour sur une alliance du grand capital avec une classe politique qui était jadis au service de la raison d'Etat et qui devient, au fur et à mesure, depuis maintenant quelques décennies, au service de ce même grand capital. On appelle cela la démocratie occidentale dont ce paradigme de domination est très saisissant. Aux USA, il est représenté par les démocrates et les républicains, en Grande-Bretagne par les travaillistes et les conservateurs, en France par la droite gaulliste dite républicaine et la gauche dite modérée, le PS et ses alliés. Dès lors et depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ces dualités se succèdent sans cesse, en formant en fait un seul système en dehors duquel toute initiative est quasiment réfutée.

On peut appeler ceci de la domination, du déterminisme, du réalisme, bref, en tout cas, c'est cela la démocratie et elle est occidentale.

3- Déterminisme idéologique et subjectif : à partir de là, visiblement, nous sommes très loin de cette configuration, au moins pour ce qui concerne cette dualité entre deux grands pôles idéologiques, gauche versus droite, quoique ce clivage n'existe pratiquement plus, chez nous, il y a une fragmentation impressionnante du champ politique algérien. En réalité, on est dans une objection évidente car d'un côté, on donne l'exemple de la démocratie occidentale, le seul modèle existant, à chaque occasion quand il s'agit d'évoquer le progrès, et de l'autre côté, on refuse catégoriquement de suivre ce modèle de domination politique perçu comme étant trop injuste ! Par conséquent, l'élite gouvernante sait assurément que quoi qu'il en porte l'amendement de la Constitution, il ne va pas convaincre pour autant les différents partis politiques, car l'écart est très grand entre les protagonistes dans notre pays et l'espoir d'un compromis devient franchement hypothétique. Pour la partie mécontente des islamistes, la « soumission aux diktats de l'Occident mécréant » n'est pas compatible avec leurs idéaux saints et puritains. En revanche, les laïcs considèrent que l'islam de l'Etat est l'origine de tous les maux du pays. Puis, les gens de l'extrême gauche ne voient pas d'autres solutions à part « l'abolition » du capitalisme ou la loi du marché tout puissant. Les ex du système, de leur côté, ne pardonneront jamais à leurs anciens amis le fait de les avoir chassés du pouvoir. Les berbéristes ne voient dans l'arabité de l'Algérie qu'imposture et égarement ordonnés par une idéologie arabo-baathiste. Quant aux défenseurs de l'arabité qui se sentent de pure souche, la berbérité est une invention coloniale qui n'a qu'un seul objectif : diviser pour régner.

Enfin, pour un bon nombre d'observateurs, le problème réside dans la non-application de la loi et non pas dans la loi elle-même. Ce qui sous-entend, dès lors, que le changement d'une loi par une autre n'a pas vraiment de sens, mais la vraie transition viendra de la volonté politique qui exigera la transparence dans l'exercice du pouvoir.

En tout cas, cette modification prévue ça va, au mieux, conforter les déjà convaincus et satisfaire un souhait cher au chef de l'Etat qui a exprimé pendant plus de 16 ans de règne son mécontentement d'un texte fondamental endogène et elle ne va pas, au pire, exaspérer davantage les déjà opposants.

Ainsi donc, devant cette complexité de la réalité algérienne, la révision de la Constitution ne formera pas, à mon sens, un évènement majeur qui va chambouler l'évolution des choses dans notre pays. Et elle va démontrer, pour la énième fois, combien nous sommes incapables de trouver collectivement un compromis qui assurera le dépassement de nos querelles partisanes et personnelles et qui peut éventuellement nous convaincre qu'au final, on peut vivre ensemble dans l'altérité avec toutes nos différences.