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Coups d'Etat rampant

par Bouchan Hadj-Chikh

Pour nous rafraîchir la mémoire. Le Président Ben Bella fut victime d'un putsch, ou d'un pronunciamiento, selon la définition que nous donne le Larousse. Ce sont des mots honnis dans notre vocabulaire. On lui préféra l'élégante formule de « redressement historique ». Une personnalité de premier plan d'alors, venue expliquer ce coup de force dans la rédaction du quotidien « le Peuple » expliqua, quand on lui fit remarquer que la mise en minorité au sein du Comité central du FLN aurait suffi qu'il fût impossible de recourir à cette démarche. « Il disposait de tous les pouvoirs, cela ne pouvait se faire », affirma-t-il.

Le Président Boumediene, primusinter pares, lui, fut emporté par un mal mystérieux. Une main étrangère pour accélérer sa disparition n'est pas à exclure. Lui succéda M. Bendjedid ? vite ! Un président ! - qui, dans ses mémoires, affirme avoir démissionné et non pas « avoir été démissionné » de son poste comme on le laissait entendre. S'il le dit, il faut bien le croire. Il n'aurait pas supporté davantage les pressions qui s'exerçaient sur lui, sans doute. Il avait grillé toutes les balises du principe de Peter.

Pour nous rafraîchir la mémoire, encore. Au Président Bendjedid succédèrent MM. Boudiaf, Ali Kafi et Lamine Zeroual, tous cooptés en tant que présidents du Haut comité d'Etat. Le dernier se faisant tout de même élire, en 1995, pour un mandat écourté. Sous les pressions de qui ? Syndrome Bendjedid ? L'élection présidentielle anticipée porta le Président Bouteflika à la tête de l'Etat.

Cela fait beaucoup de monde ? Pas tant que ça.

D'ailleurs, ce n'est pas ce qui nous préoccupe.

Ce qui l'est, en revanche, à y regarder de près, en dehors des faux-semblants, aucun homme politique ou miliaire, à la tête de l'Etat, n'a jamais été désigné à cette fonction autrement que par un collège de « décideurs ». Une évidence, me direz-vous. Mais pas inutile de la rappeler.

Ce qui me fait penser à « un empereur » qui, sans doute sous certains effets que je ne qualifierai pas, suggéra - au cours d'un Sommet - de confier, tout simplement, à quelques « sages » le mandat de prendre les décisions que lui « empereur » était disposé à avaliser. Il retira sa proposition sous les protestations de ses pairs. Ça ne se dit pas, voyons. Pourtant les protestataires ou contestataires savaient fort bien qu'il avait raison et que c'est comme cela que cela se passe.

Comme en Algérie donc, où le corps électoral est convoqué pour avaliser des choix qui lui tombent du ciel sur la tête. Pas toujours les siens. Les plaques de la technonique politique et économique ont glissé, créé quelques affolements sur l'échelle du « mieux vivre ». Sans plus.

En définitive donc, si le Parti unique a permis de nous proposer un candidat unique ? sans que nous trouvions à redire - et nous a conviés à approuver ce choix auquel nous étions étrangers, le pluripartisme, lui, ne vaut pas mieux. Il autorise, certes, le dépôt de candidature de plusieurs candidats - dont la première fournée se retira à la dernière minute parce que les dés lui semblaient « pipés » (naïfs à ce point ?)?mais aboutit à un résultat identique. Aux « vainqueurs », il leur a suffi de faire le dos rond pendant le tir de barrage de « l'opposition » dénonçant les méthodes employées pour maintenir et faire élire le Président Bouteflika. Et passer à autre chose.

Dans le désordre, qui nous caractérise. Pour nous occuper, et voir ailleurs, nous nous occupâmes, et nous occupons encore, des désaccords entre les coalitions de partis de l'opposition, de la composition d'un nouveau gouvernement, de la révision de la Constitution, des scandales financiers, des affaires Sonatrach et de l'autoroute Est-Ouest, de l'autre affaire du golden boy dont le jugement traîne, du gaz de schiste et des « troubles » qui ne le sont pas, parce qu'il s'agit de revendications sociales et politiques juste, dans le M'zab, sans compter les troubles aux frontières, tous ces feux follets surgissant et disparaissant sous nos yeux dans le chaos bizarrement maîtrisé.

Nous voici pris de tournis.

Notez bien que, dans toutes ces « affaires », nous sommes étrangers. Une fois encore. Spectateurs, certes, mais spectateurs désabusés. Comme pour la direction de l'Etat.

Quand viendra le temps de faire passer le texte de la Constitution, les représentants du « tiers présidentiel », du petit quart des partis politiques et tout le reste du FLN, mal élus, pour la plupart, la voteront en Congrès, vraisemblablement - si un référendum n'est pas organisé - « au nom du Peuple ».

Comme les précédentes.

Bien. Il faut conclure. Il nous faudra, un jour ou l'autre, rebattre les cartes. Et que les politiques, et nous-mêmes, cessions de nous regarder dans un miroir sans tenir compte du fait que l'image qu'il nous renvoie est trompeuse. Ce que nous y voyons à droite n'est pas à droite. Il est à gauche. Et inversement.

Clairement dit, nous ne pouvons continuer à vivre sous le régime du coup d'Etat succédant à un coup d'Etat. Il faut bien que cela cesse un jour. Malgré toutes les bonnes intentions qu'ils peuvent afficher, les candidats de demain ne pourront être crus. Et s'ils ne le seront pas, c'est de la mort d'un peuple ? déjà en insuffisance cardiaque - dont nous serons tous responsables.

S'il a bien fallu mettre un terme au règne d'un Parti unique omniscient, l'occasion de la révision de la Constitution (ou une nouvelle mouture) devra bien traduire ce que tout le monde pense : le Président, lui aussi, n'est pas omniscient, eu égard au respect que l'on peut avoir pour sa personne et ses responsabilités et fonctions. Et que le pouvoir de décider doit bien être « la chose la mieux partagée » parmi nous pour gérer ce pays, de concert, selon le principe « Yed Allah maa Yed Jamaa ». Pour vivre ensemble notre présent et de notre avenir.