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Ben Bella-Messali Hadj : controverses

par Khaled Bensmaïn *

Je vous saurai gré de bien vouloir publier ces précisions que je voudrai verser aux débats sur l'histoire de la révolution algérienne. Avec tous mes remerciements.

Cette modeste réponse se veut être une contribution à ce qui aurait pu être un débat sur des faits d'histoire si le parti pris et la mauvaise foi n'avaient inspiré à leurs auteurs des pamphlets qui prétendaient être les «vérités» cachées d'une histoire occultée. Il a été suscité, cet écrit, par la violence des attaques menées contre des personnalités politiques algériennes où, derrière l'anathème et l'injure, se dissimulent des calculs situés à l'opposé de la quête de la «vérité». Il est évident qu'il n'y a rien de nouveau dans ces attaques que nous ne connaissions déjà. Messali Hadj traître à la Nation et Ben Bella délateur de l'OS et agent des services égyptiens. Tout cela sous le couvert de la liberté d'expression.

Ce n'est point user de cette liberté d'expression que de s'autoriser certaines dérives telles que la diffamation et l'atteinte à l'honneur des gens. Lorsqu'il s'agit d'hommes politiques qui, sous couvert de révélations conformes avec les faits historiques, alimentent en fait leur fonds de commerce idéologique, on peut penser que cela est de bonne guerre. Mais lorsqu'il s'agit d'universitaires qui prétendent à l'honnêteté et à l'objectivité scientifique mais qui font le choix de suivre une pratique qu'auparavant ils avaient décriée, pratique consistant à traiter de questions historiques sensibles par une «approche familiale, régionaliste ou corporatiste» (1), cela est proprement affligeant et ne peut que conduire à l'exclusion, source constante de violence au lieu et place du dialogue serein et du vivre-ensemble paisible.

1° BEN BELLA

Pour démontrer la «collusion» entre Ben Bella et l'Egypte, d'aucuns trouvent que la» meilleure illustration historique de cette collusion (est) de rappeler que le premier président invité à visiter l'Algérie juste après son indépendance? fut Gamal Abdel Nasser» (2). Une preuve bien mince comme on peut le constater. Le président de la République algérienne Ben Bella aurait été »un agent des services égyptiens» parce que le premier homme d'Etat à s'être rendu en Algérie fut Djamel Abdel Nasser, président d'un pays qui était alors le principal allié de la révolution algérienne, son pourvoyeur en armes et son porte-parole médiatique et diplomatique. Mais revenons un peu en arrière pour rappeler dans quelles conditions se sont tissées les relations entre Ben Bella et les dirigeants égyptiens.

Il faut rappeler que dès sa sortie de prison, Ben Bella va rétablir le contact avec ses compagnons de l'O.S. Après s'être entendu avec ses camarades sur sa destination, il se rendit en Egypte, alors que le parti lui avait désigné comme mission sa représentation au Pakistan. Il rejoignit Khider et Aït Ahmed au bureau du Maghreb arabe. Ben Bella se distingua par sa détermination, son énergie et un ton nouveau qui tranchait avec ce qui avait cours habituellement dans ce cénacle. L'homme éveilla la curiosité de Fathi Dib qui fut « attiré par la personnalité de ce jeune algérien révolté contre tous les partis» (3)). Il demanda à Khider de lui présenter le jeune homme qu'il avait rencontré lors du « congrès « du comité de libération arabe. Ben Bella lui parla de l'O.S. et de la détermination de ses militants à s'engager dans l'action armée contre la France dans les plus brefs délais et qu'il était mandaté par ses compagnons pour obtenir le soutien de la Révolution du 23 Juillet. L'accueil fut chaleureux, «après le départ de Ben Bella, j'étais encore sous l'influence de sa sincérité, de sa manière de convaincre et de séduire ses interlocuteurs» (4), mais la réponse était la même que celle qui était faite aux autres partis maghrébins, «décidez-vous à passer à l'action et l'aide suivra». Malgré cette sympathie, les Egyptiens, habitués quelque peu à la surenchère «révolutionnaire » des opposants établis au Caire, observaient, tout en encourageant leurs interlocuteurs, une attitude prudente.

De nouveau, il va rencontrer ses camarades, Ben Boulaïd, Ben M'hidi, Boudiaf et Didouche Mourad en Suisse. Il les mit au courant de son entrevue avec Fathi Dib et de la disponibilité des Egyptiens à aider la révolution algérienne pourvu qu'un signal fort leur fût envoyé car ils «n'étaient pas encore convaincus et voulaient avoir des preuves tangibles du sérieux de notre entreprise?Nous demandâmes à Ben Bella de faire vite pour nous procurer un contingent d'armes» (5). Les Egyptiens voulaient des preuves et Ben Bella les leur fournira. En annonçant à Djamel Abdel Nasser la date du déclenchement de la révolution, il lèvera toute équivoque sur la partie à l'origine du 1er novembre et toute réserve dans l'aide que leur octroiera l'Egypte. Sa crédibilité étant établie et mandaté par ses pairs il va ainsi devenir le seul interlocuteur des Egyptiens afin d'assurer et l'efficacité et la sécurité des opérations. Il est évident que le secret et l'étanchéité des actions interdisaient la multiplicité des intermédiaires. Ben Bella quittera Le Caire pour la Libye afin d'organiser les filières d'acheminement des armes et il ne rejoignait Le Caire, plaque tournante des livraisons d'armes, que lorsque des difficultés liées à leur approvisionnement apparaissaient ou que des problèmes de communication surgissaient. Il n'avait de relations qu'avec Fathi Dib qui, en tant que responsable des Affaires arabes, était en liaison permanente avec le bureau du Maghreb arabe, présidé par Allal El Fassi pour le Maroc, Mohamed Khider pour l'Algérie et Salah Ben Youcef pour la Tunisie. Lorsqu'un désaccord survenait entre Fathi Dib et Ben Bella (il y en eut de nombreux, selon le témoignage d'Abdelhamid Mehri), ils en référaient à Djamel Abdel Nasser qui soutenait sans restriction le point de vue algérien. Il avait donné dans ce sens des instructions pour que toutes les demandes des Algériens soient satisfaites(6).

Djamel Abdel Nasser avait mis tout son poids dans son appui à la révolution algérienne qu'il considérait comme le pendant de celle des Jeunes Officiers libres. Le rêve de libération du monde arabe du colonialisme, de l'impérialisme et des régimes arabes réactionnaires, contenu dans les défis du président égyptien, se trouvait incarné dans le combat des Algériens. Dans le même temps, les transformations qu'il faisait en Egypte étaient la projection de ce à quoi aspiraient les Algériens et les peuples arabes. Il avait réussi, malgré une forte opposition de la bourgeoisie égyptienne, à appliquer les réformes agraires destinées à permettre la redistribution des terres en faveur des paysans pauvres. Il créa les assurances maladies, le salaire minimum et la réduction du temps de travail. Il fit construire des logements sociaux, imposa le droit de vote pour les femmes, institua l'école gratuite et obligatoire pour tous les enfants égyptiens et s'attaqua aux intérêts franco-anglais en nationalisant en particulier le canal de Suez. Malgré les nombreuses sollicitations et les promesses de coopération économique faites par la France, en contrepartie de l'arrêt de l'aide octroyée au FLN, Djamel Abdel Nasser n'a jamais voulu marchander son appui à la révolution algérienne. Cette attitude intransigeante, tant en ce qui concerne sa relation à l'Algérie combattante qu'en regard aux intérêts du peuple égyptien, entraînera en représailles l'agression et l'invasion de son pays par la France, la Grande-Bretagne et Israël en octobre 1956.

L'influence du président égyptien sur la Ligue arabe et sur la Conférence des pays non-alignés où il parvint en avril 1955 à faire siéger la délégation algérienne comme membre à part entière du mouvement, va donner une dimension internationale au FLN. Sa popularité auprès des masses arabes sera d'un poids inestimable dans leur soutien à la révolution algérienne. Contrairement à ce qu'il apparaît dans le texte de la Soumam et de la critique qui est faite quant à l'aide « des pays arabes en général et de l'Egypte en particulier, à la révolution algérienne» (7), Mabrouk Belhocine note, à propos du jugement critique d'Abbane Ramdhane sur la contribution de l'Egypte : «les appréciations de Abbane sur la politique égyptienne sont sévères et quelque peu injustes. Au 1ier novembre1954, l'Egypte à été le premier pays et longtemps le seul à » porter» la Révolution algérienne. L'Egypte était et reste le plus grand, le plus disponible des pays « arabo-musulmans », le centre incontournable pour la propagande, la diplomatie et la logistique» (8). A l'évidence, les attaques contre l'Egypte ne sont pas innocentes car tous les historiens et la majorité des témoins s'accordent à dire que la principale aide à l'Algérie provenait des pays arabes et en particulier de l'Egypte et que « l'appui de l'Egypte au FLN est décisif. L'audience de l'émission de la radio égyptienne» La voix des Arabes», l'aide diplomatique font connaître le FLN est contribuent beaucoup à son rayonnement en Algérie même alors que les représentants du MNA, Mezerna et Chadli Mekki sont arrêtés au Caire» (9).

C'est le même parti pris qui a guidé Noreddine Aït Hamouda dans ses attaques violentes contre l'Emir Abdelkader, Messali Hadj et Ben Bella (10). Pour ce dernier, il va utiliser en s'exonérant de toute autre recherche complémentaire ou vérification, pourtant essentielles lorsqu'on s'apprête à porter atteinte à l'honneur d'autrui, un seul document, le procès-verbal d'audition de Ben Bella. Et c'est lors d'un meeting à Tizi-Ouzou, devant une foule chauffée à blanc, qu'il va lire quelques extraits de cette audition qu'il va présenter comme une preuve irréfragable de la compromission de l'ancien président de la République algérienne dans la dénonciation de ses compagnons de l'OS et en particulier de Mohamed Khider, membre de la direction du MTLD et député à l'Assemblée nationale française.

Faut-il croire qu'il serait surprenant que le fils du colonel Amirouche ne se soit pas posé de questions sur l'authenticité de ce compte rendu, lui qui sait pertinemment comment la willaya III, le fleuron de la révolution, fut, durant l'épisode de la »bleuïte» , pratiquement décimée à cause de fausses lettres, de faux documents «destinés» à des moudjahidine supposés collaborer avec les services de renseignements du Cinquième Bureau, de faux carnets, dans lesquels figuraient les noms de présumés agents infiltrés dans les rangs de l'ALN et glissés dans les poches de chouhada tombés au champs d'honneur. Les Français n'étaient pas à leur coup d'essai. Il suffit de se rappeler les faux numéros d'El-Moudjahid qui circulèrent pendant des mois dans les rangs des nationalistes ou encore les fausses correspondances de combattantes de la zone autonome. Et le choix n'est pas exhaustif. Par ailleurs, n'est-il pas légitime de se demander pourquoi seul le procès-verbal d'audition présumé être celui d'Ahmed Ben Bella a été rendu public ? Pourtant, tous les autres responsables de l'OS arrêtés ont été également auditionnés par la police...Il y a bien des raisons pour nous poser des questions?Mais ne chicanons pas et faisons avec le document que nous avons entre les mains. Il apparaît d'après le procès-verbal d'audition de Ben Bella que Belhadj Djilali avait été arrêté avant lui. Ce dernier est un cadre de l'OS et pas des moindres, membre de l'état-major en charge des questions «militaires» de l'organisation, instructeur général, il fut même inspecteur général de l'OS. Il connaissait l'organisation et ses responsables mieux que personne. Il était, de tous les membres de l'état-major, le plus ancien. C'était un aspirant sorti de l'Ecole des officiers de Cherchell et dès la constitution de l'organisation spéciale il fut un de ses membres les plus importants. Arrêté en 1950, il est «retourné» par les services de police et devint agent de la DST (11). Il va leur donner tout l'organigramme de l'OS ainsi que ses principaux responsables. Au 1er novembre 1954, il va constituer un contre-maquis FLN dans la vallée du Chélif et avec les harkis du bachagua Boualem, va livrer une guerre sans merci à l'ALN. Ben Bella va alors être auditionné par la police, «pour faire suite aux renseignements contenus dans la déclaration de Belhadj Djilali Abdelkader ben Mohamed» (12). Il est confronté aux aveux de Belhadj et ne va confirmer que ce que les Français connaissaient déjà. Les arrestations qui vont toucher à peu près le tiers des effectifs de l'OS prirent fin en mai 1950 avec l'incarcération de son principal responsable Ahmed Ben Bella. Tous les responsables de l'OS arrêtés l'ont été avant Ben Bella (13).

Après son évasion de la prison de Blida, les contacts entre responsables de l'OS vont être rétablis et Ben Bella va rencontrer en 1952, à Chatillon Montrouge à Paris, Ahmed Mahsas et Mohamed Boudiaf pour une discussion sur la crise du parti et les solutions à envisager pour son règlement. Auraient-ils repris contact s'il y avait la moindre prévention à l'égard de Ben Bella ? Un peu plus tard, Boudiaf témoigne que « sitôt arrivé à Berne » en juillet 1954, » je contactai Ben Bella qui, en tant qu'ancien de l'OS, bénéficiait de notre confiance »(14). Une réunion «récapitulative» va se tenir en Suisse à cette date, quelques jours après celle du Comité des»22". Boudiaf, Ben M'hidi, Ben Boulaïd et Didouche Mourad vont rencontrer Ben Bella pour l'informer »de tout ce qui s'était passé au cours des derniers mois» (15). Quand on connaît l'honnêteté de Boudiaf et sa droiture ainsi que sa relation, quelque peu tendue, à Ben Bella, on ne saurait l'accuser de témoignage de complaisance. Les rencontres vont se multiplier entre les deux hommes. Ben Bella qui a entamé des démarches en direction des Marocains et des Tunisiens pour une lutte commune contre le colonialisme français, propose en août 1954 à Boudiaf et à Didouche Mourad de se revoir à Berne. Il va leur présenter Abdelkrim El-Fassi pour le Maroc et Azzedine un militant tunisien établi en Libye (16). Quelques jours après, c'est Rabah Bitat qui rencontre Ben Bella en Suisse pour lui remettre l'argent nécessaire à l'achat de quelques armes et « pour faire une dernière fois le point avant le déclenchement de la révolution» (17). Puis ce fut au tour de Ben Boulaïd de se rendre à Tripoli en Libye pour «aider Ben Bella à améliorer les liaisons » et « prendre livraison des armes que devait lui remettre Ben Bella»(18). S'il y avait eu le moindre soupçon sur la loyauté, l'intégrité et l'engagement de Ben Bella, ses compagnons extrêmement soucieux et vigilants quant à l'éthique révolutionnaire auraient-ils toléré s'engager dans une quelconque compromission quand on sait, selon certaines sources, qu'une controverse sur la nature et les objectifs du CRUA a fait que ce grand révolutionnaire que fut Ahmed Mahsas ait été maintenu éloigné du rendez-vous du 1er Novembre ? Enfin de tous ses pairs incarcérés avec lui il fut le seul à être désigné par le CNRA comme vice-président du premier et du second GPRA. Boudiaf le rejoindra dans le troisième. Le choix de Ben Bella par le Conseil national de la révolution algérienne n'était ni fortuit ni arbitraire. Il se voulait être une reconnaissance du rôle qu'il joua dans la préparation du 1er Novembre par les militants du PPA/MTLD et de l'OS qui en constituaient la majorité. Etant aux premières loges, ils étaient parfaitement informés des actes de chacun dans ce déclic historique pour en avoir été des acteurs ou des témoins. Même si la version, communément admise de ce moment historique n'est pas remise en question, elle reste incomplète tant sur le rôle de Ben Bella que celui de Ben Boulaïd, Didouche Mourad ou Rabah Bitat.

Quant aux «révélations» qu'il aurait faites à la police sur les liens qu'avait l'OS avec le parti en impliquant Mohamed Khider, député MTLD, dans les activités de l'Organisation spéciale, elles étaient de peu de valeurs dès lors que Khider était déjà recherché par la police pour son implication dans l'attaque de la poste d'Oran. Sans attendre la levée de son immunité parlementaire, il quitta l'Algérie et rejoignit Le Caire pour ne pas être arrêté malgré les directives de la direction du parti qui voulait qu'il se rende à la police. Ben Bella, opposé à ces instructions, avec quelques militants proches de l'OS, va entreprendre de le faire sortir d'Algérie. Une forte amitié va unir ces deux hommes jusqu'après l'indépendance.

2° Sur Messali

Si la période de sa vie qui va jusqu'au 1er novembre 1954 ne suscite pas d'objection - son engagement pour l'indépendance de l'Algérie faisant l'unanimité - il n'en va pas de même pour celle qui suivit le déclenchement de l'insurrection. Les qualificatifs pour désigner le vieux militant vont du héros national calomnié et qu'il faudrait réhabiliter, au traître frappé d'indignation nationale et dont il faut taire le nom. Son obstination à ne voir dans le FLN qu'une manœuvre des centralistes pour l'éliminer, va le dresser contre le Front de libération nationale et déclencher une guerre entre anciens compagnons où vont se retrouver face à face militants de longue date, parents, amis dans des règlements de comptes particulièrement sanglants. Des milliers de morts et encore plus de blessés qui le firent accuser de tous les crimes et notamment de connivence avec l'ennemi, pour avoir ordonné ou laissé faire ces tueries. Si on ne peut nier sa responsabilité dans la guerre fratricide qui coûta la vie à de très nombreux militants des deux camps, l'objectivité commande d'éviter le piège du manichéisme et ne voir les responsabilités que dans un seul camp au détriment de la vérité historique. En réalité, son opposition au FLN ne signifiait nullement son hostilité à l'indépendance de l'Algérie, indépendance qu'il réclamait déjà en 1927.

Mais ces morts des deux camps n'aurions-nous pas pu en faire l'économie ?

N'y a-t-il pas eu d'occasions de réconcilier les deux tendances du mouvement indépendantiste et par là même, mettre fin aux tueries ? Peut-on, en toute rigueur, lui reprocher de n'avoir pas tenté d'y mettre fin ou d'être resté sourd à toute tentative d'accord ? Ne faut-il pas plutôt rappeler qu'après l'échec des contacts entre le FLN et le MNA en 1954 et 1955, il y eut en février 1956 « une proposition d'unité nationale» qui va être rejetée par le FLN au motif qu'on »ne s'allie pas avec les traîtres, on les abats» (19). Les efforts en ce sens vont se poursuivre afin d'arriver au moins à une trêve et en 1956 « il va y avoir de fréquents contacts Ben Bella-MNA pour mettre fin aux règlements de compte entre les deux mouvements. Les premières conversations eurent lieu entre détenus à la prison de la Santé. Le MNA fut plus tard représenté par Abdallah Filali leader de l'USTA -syndicat messaliste -? Les amis de Filali revirent Ben Bella à plusieurs reprises» (20). A la mi-juin 1957, le MNA prend contact avec Ahmed Mahsas et «arrête un protocole d'accord à soumettre à Ben Bella, alors détenu à la prison de la Santé. Le document qui lui fut communiqué par Mohamed Maroc, membre du bureau politique du MNA, est axé sur deux points : -a) la cessation des luttes fratricides, -b) la formation « partout où cela est possible de comités propres à imposer la satisfaction des aspirations du peuple algérien» (21). En prison et ayant une marge de manœuvre très réduite, Ben Bella proposa à Messali Hadj, par le biais d'un intermédiaire, de lancer un appel pour l'arrêt de l'effusion de sang entre Algériens. Ce qui fut fait le 1er septembre 1957. C'est un homme déchiré et écorché qui appelle « tous les patriotes pour que cessent ces assassinats, ces crimes et cette folie. Aux quelques égarés emportés par la passion, je demande de réfléchir aux souffrances qu'ils doivent ressentir comme moi, à voir tous les matins que des patriotes s'entretuent et s'entredéchirent à la joie des adversaires de la cause algérienne?Je crie de toutes mes forces. Non, c'est un non-sens et un danger pour notre révolution de poursuivre dans cette voie d'aventures. Peuple algérien, alerte ! Il faut absolument que cela cesse avant que cela ne soit trop tard « (22). Il demanda aux groupes armés de déposer les armes(23). Abdallah Filali désarme les groupes de choc du MNA qui observeront cette discipline pendant plusieurs semaines(24). En septembre 1957 la Fédération de France du FLN » est saisie d'un projet d'arrêt des attentats en France. La proposition est rejetée» (25). «L'accord était près de se faire lorsque Filali est assassiné ainsi que quatre autres leaders de l'USTA par une certaine fraction hostile du FLN Les règlements de compte recommencèrent « (26).

Il fallait mettre un terme à la guerre fratricide et mobiliser, au service de la nation, l'ensemble des militants du mouvement indépendantiste. Mais il faut croire que des forces opposées à tout rapprochement étaient en œuvre, et ce jusqu'à l'indépendance. Car de nombreuses opportunités de réconciliation se présentèrent. Qui les contrarièrent ? Quelle est la «fraction du FLN», s'il elle a existé, qui s'opposait à ce rapprochement qui aurait permis de faire l'économie de tant de morts, de blessés et de condamnations ? Pour quel motif toute proposition d'accord était-elle rejetée? Pourquoi s'est-on acharné à fixer le MNA dans une opposition violente au FLN ? Quel intérêt y avait-il à maintenir le MNA dans la flétrissure ? Quel était son degré de responsabilité dans cette lutte fratricide ? C'est aux historiens d'établir les faits, de déterminer les responsabilités et le degré d'implication de Messali Hadj dans ces évènements. C'est un travail qui doit être entamé sans passion sur un épisode sombre de la guerre d'Algérie. Mais il ne peut être entrepris que par des universitaires spécialistes dans la matière, indépendants et loin des anathèmes, des partis pris et des »raisons régionalistes», régulièrement dénoncées par ceux-là mêmes qui en font largement usage.

 Quand à l'instrumentation du MNA contre le FLN au moment des négociations d'Evian, il faut rappeler que le 6 juin, le MNA refusa de rencontrer la délégation française à Evian, qui voulait l'utiliser contre le FLN (27). Le colonialisme avait évidemment intérêt à affaiblir les protagonistes en multipliant les interlocuteurs. L'ayant bien compris, «le MNA a observé le silence pour éviter de gêner le déroulement des négociations?Il n'a pas voulu se prêter à cette manœuvre et servir d'éléments de pression pour tenter d'amener le FLN à des concessions» (28).

Etablir sans examen, afin de jeter l'opprobre sur Messali, des liens avec Bellounis et conclure que celui-ci »a sombré dans la collaboration avec l'armée coloniale française» est un jugement pour le moins hâtif pour qui prétend à l'objectivité, parce qu'il reste à établir la relation entre les deux hommes durant la période incriminée. Dans son rapport politique à la direction du MNA, Messali précise que « l'allié et non le rallié du gouvernement français, nie son appartenance au MNA et nie ses rapports avec Messali Hadj» (29).

 C'est aux historiens de faire la juste part des choses et de déterminer, à la lumière de sources documentées, jusqu'où le silence de Messali sur les connivences qui sont attribuées à son lieutenant avec l'armée française, constitue-t-il une approbation de sa part. Car Messali déclare son ignorance des » réalités» qui pourraient « permettre un jugement précis? sur une situation qui à jeté le trouble dans le parti». Il envisage d'envoyer une nouvelle commission d'enquête après l'échec d'une précédente tentative car, souligne-t-il, »on est obligé de convenir que Bellounis a été joué par les services du bureau arabe du gouvernement général de l'Algérie? Pour toutes ces raisons, le parti a décidé l'envoi d'une délégation dès que l'affaire Bellounis a été rendue publique, à partir du mois de septembre 1957" (30).

Si nul ne peut prétendre détenir la vérité et que celle-ci reste toujours un horizon à atteindre, la complexité des évènements, l'inaccessibilité aux documents nous forcent à plus de circonspection dans nos jugements et à un peu plus de modestie dans nos prétentions.

3° SUR ALI KAFI

La wilaya II sous les ordres de Ali Kafi fut l'une des wilayas, pour ne pas dire la wilaya la mieux organisée. Beaucoup de ses réalisations inspirèrent le congrès de la Soumam par exemple les «Conseils populaires» qui représentaient la base de l'organisation pyramidale de la zone II, qui va du douar jusqu'à la wilaya en passant par la kasma, la nahia et la mintaka. Ces Conseils étaient chargés des finances, de l'information, de l'approvisionnement et de la sécurité. Ce fut la zone où les «intellectuels» eurent des postes de responsabilité au sein de la wilaya et ne furent jamais victimes d'un quelconque arbitraire ou injustice. La wilaya II eut des chefs valeureux de la même trempe que ceux qui eurent à diriger les autres wilayate. Il est vrai qu'Ali Kafi n'a pas assisté au congrès de la Soumam car aussitôt arrivé à Ifri, lieux de la rencontre, on lui demanda de repartir dans sa zone afin de réceptionner un hypothétique parachutage d'armes qui n'eut jamais lieu, et pour cause. Quant à ses présumées attitudes «anti-kabyles», voilà ce que pense Ali Kafi des Kabyles : »Les moudjahide de la wilaya III étaient des hommes sincères, pleins de vitalité et empreints d'esprit révolutionnaire et de fidélité à la révolution?» (31). Et à propos de la Kabylie voilà ce qu'il dit : c'est » le bastion du nationalisme authentique et de la résistance bien avant la Révolution, citadelle de la lutte partisane du fait de la profonde pénétration du PPA. Cette wilaya qui avait mis en échec, grâce à ses enfants et militants, toutes les tentatives de l'ennemi, depuis la conquête jusqu'à la révolution, visant à l'aliéner de sa personnalité originelle ; cette vaillante wilaya qui a été soumise aux rigueurs de famines extrêmes, les combattants réduits à se nourrir d'herbes, mais ils furent victorieux, leur courage et leur constance n'ont jamais été entamés» (32).

Faire un tri sélectif des documents, puis en forcer la lecture afin de faire valoir un point de vue marqué du coin de la partialité, sans hésiter à porter atteinte, avec beaucoup de légèreté, à l'honneur de grands responsables du mouvement national, sous le prétexte fallacieux de la liberté d'expression, est la meilleure illustration d'un parti pris manifeste qui n'aide ni à la clarté des débats ni à l'établissement de la vérité.

* Ex-secrétaire général du MDA

Notes :

1) Kalfa Mameri dans « Liberté du 9 et 10-01-2015».

2) Kalfa Mameri. Idem.

3) Fathi Dib. Abdel Nasser et la révolution algérienne. Saihi édition. Alger. 2013. p. 28

4) Fathi Dib. op. cit. p.31)

5) Mohamed Boudiaf. Préparation du 1er Novembre. Al Jarida n°15, nov. déc. 1974

6) Fathi Dib. op. cit. p. 43

7) Cité par Khalfa Mameri in « Liberté » op. cit.

8) Mabrouk Belhocine, Le courrier Alger-Le Caire 1954-1956. Alger. Casbah édition, 2000. p.159. note n°9

9) M. Harbi. op. cit. p.160

10) » Liberté » et « Le Soir d'Algérie » 22-02-2015.

11) Défense et sécurité du territoire. Alistair Horne, Histoire de la guerre d'Algérie. Editions Dahlab. Alger, 2007. p. 266.

12) Procès-verbal d'audition du nommé Ben Bella Mohamed.

13) Témoignages de Ahmed Mahsas, membre de l'état-major de l'OS, Hadj Benalla et Ahmed Bensaïd responsables de l'OS pour la région d'Oran.

14) Témoignage de Mohamed Boudiaf dans El-Jarida n°15, nov. déc. 1974. p. 11.

15) Mohamed Boudiaf. op. cit.

16) Aïssa Kechida. Les architectes de la Révolution. Témoignages. Alger. Chihab Editions. p. 87.

17) Mohamed Lebjaoui. Vérités sur la révolution algérienne. Paris, Gallimard, 1970.

18) Mohamed Lebjaoui. Idem.

19) M. Harbi. Mirage et réalités du FLN. Ed. J.A. Paris 1985. p.149.

20) Interview de Messali Hadj au Figaro 24 avril 1960.

21) Texte du projet d'accord soumis par Mohamed Maroc à Ben Bella en date du 17 juin 1957. M. Harbi. Op. cit. p.156.

22) Appel au peuple algérien 1er septembre 1957. in Messali Hadj par les textes. Edition Bouchène. Alger, 2000. p. 174.

23) (interview de Messali Hadj au journal Le Monde 13 janvier 1959.

24) M. Harbi. op. cit. p.156.

25) M. Harbi. op. cit. p.156.

26) Messali Hadj par les textes. op. cit. p.257.

27) M. Harbi. op. cit. p. 157. (en note)

28) Interview de Messali Hadj à la Nation socialiste, in Messali Hadj ... op. cit. p. 287.

29) Rapport politique de Messali Hadj à la direction du MNA 29 avril 1958 in Messali Hadj par les textes. op. cit. p.194

30) Rapport politique de Messali Hadj à la direction du MNA 29 avril 1958 in Messali Hadj par les textes. op. cit. p.194.

31) Du militant politique au dirigeant militaire : Mémoires (1946-1962). Alger. Casbah editions. 2002. p. 120.

32) Ali Kafi. op. cit. p.120.