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Grandeurs et décadence ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

REPENSER L'UNIVERSITE. Actes du colloque d'Oran, 26/ 27 mai 2012. Coordination et présentationde Djamel Guerid, préface de Abderezak Dourari (11 textes). Arak Editions, Alger 2014, 234 pages

Le colloque dirigé par Djamel Guerid s'était tenu en 2011 à l'Université d'Oran. Mais, c'est seulement en 2014 que les «Actes» sont édités, regroupant les interventions (11 : Dourari, Guerid, Moussaoui, Ghalamallah, Ghouati, Sebaa, Khaled, Saifi-Benziane, Rouadjia, Lakjaa, Khelfaoui...) d'enseignants et de chercheurs, tous spécialistes ou s'étant frottés de près au système éducatif. Peut-être même trop frottés, d'où leur ton pessimiste... sans fatalisme.

Les interventions, comme le précise bien le préfacier, A. Dourari, toutes aussi fortes les unes que les autres, sont une analyse profonde et réaliste ouvrant la perspective d'une critique profonde du système universitaire algérien tout en dessinant les lignes de redressement.

Bien sûr, on le devine, c'est un peu, ou même beaucoup, le (nouveau) système LMD qui est décortiqué le plus dans ses tenants et ses aboutissants, les raisons et les lacunes de son existence... dans un système qui, lui-même, n'est pas encore arrivé à se détacher des pesanteurs de toutes sortes, pour la plupart passéistes ou obsolètes, pour tendre résolument vers un autre avenir objectivement moderne, scientifique et mondialisé.

Toutes les interventions sont d'un haut niveau, mais celle qui a attiré le plus l'attention de votre serviteur (le défaut de l'enseignant), c'est bien celle intitulé «l'étudiant et le savoir. Celui qui pense et celui qui se souvient», présentée par Guerid himself. On ne peut faire mieux.

On ne peux dire plus. Hélas ! et le mal est plus profond qu'on ne le pensait... car, inéluctablement, on en conclut qu'avant de changer le sytème, il faut d'abord re-fonder... l'homme... d'abord à l'école... enseignés et enseignants. Sortir de la culture du hifz, sortir de la contestation à tout-va, sortir des facilités accordées... voilà une affaire pas mince du tout ! Car, le mal est très profond, trop profond. Quel homme (politique) osera la rupture ? En tout cas pas dans la conciliation populiste et démagogique qui a déjà fait tant de mal.

L'Auteur : L'ouvrage a été dirigé (et présenté) par Djamel Guerrid, sociologue et anthropologue émerite, un prof (plus de 40 ans de carrière universitaire... à Alger, à Oran...), disparu, à l'âge de 70 ans, en 2013, suite à une crise cardiaque... n'ayant pas supporté une accusation gratuite qui se déploya en procès par devant une juridiction.

Avis : A lire surtout par les enseignants, les étudiants et, surtout, les commis de l'Etat chargés de «réformer» (aujourd'hui, et certainement demain encore, si la lecture est mauvaise ou trop rapide ) le système éducatif. Tout le système !

Extraits : «L'Université réellement existante attend toujours son analyse scientifique» (Djamel Guerid, p 9), «L'arabisation sera alors non pas un objectif culturel et scientifique mais se transformera en un stratagème de rupture destiné à écarter ceux estimés idéologiquement encore proches de l'ordre ancien» (Abderrahmane Moussaoui, p 18), «Entreprendre n'est pas un acte personnel volontaire et, pour se déployer, il a besoin de conditions dont, bien sûr, la liberté d'entreprendre et de penser»

(Djamel Guerrid, p 132), «L'étudiant n'a pas appris à apprendre et c'est la carence principale de notre système d'enseignement. Il n'apprend pas à apprendre, mais il apprend pour avoir la moyenne et, au final, pour décrocher un diplôme» ( Guerrid Djamel, p 134)

ECRITURES HISTORIENNES DU MAGHREB ET DU MACHREK. Approches critiques. Présentation de Noureddine Amara, Candice Raymond, Jihane Sfeir. Revue d'Etudes et de Critique sociale Naqd, n° Hors série, Alger 2014, 231 pages en français et 184 pages en arabe, 500 DA.

Histoire de l'histoire et histoire des historiens : un état des lieux ; opérer un retour sur la production historiographique (issue de deux régions si éloignées mais bien proches ) depuis les Indépendances ; mise en lumière des évolutions récentes dont cette production témoigne sur le plan de ses objets, de ses questionnements et de ses méthodes ; enfin, s'interroger sur les transformations des conditions matérielles et symboliques présidant à son élaboration. Des travaux nés de questionnements au cœur d'une série de journées d'études organisées à Tunis et à Bruxelles en 2010 et 2011, consacrées dans un premier temps aux historiens et historiographies du Maghreb, puis à la mise en regard des pratiques et enjeux historiographiques à l'œuvre tant au Maghreb qu'au Machreq.

On s'est intérsessé plus particulièrement à la contribution de Karima Dirèche : «Nation algérienne ou nation musulmane ? Une approche historique», car je sais qu'elle a suscité quelques débats...à sa publication. Globablement, pour son analyse assez catégorique (orientée ? déjà avec un tel titre !) sur les fondements, surtout islamistes (islamiques) du Mouvement national et de ses animateurs (pour elle, presque tous des membres, avoués ou inconscients, du mouvement des Frères musulmans...au minimum des «islamo-nationalistes») de la lutte de libération nationale et de tout ce qui a suivi après l'Indépendance jusqu'à A. Bouteflika. Trop simple, trop facile !

Il y a, aussi, un texte de Daho Djerbal (en postface) : «De la difficile écriture de l'Histoire d'une société (dé-) colonisée».Court mais clair : «Il est nécessaire non pas de «décoloniser l'histoire», mais de faire en sorte que les historiens algériens libèrent leur pensée et élaborent leurs propres paradigmes». Facile à dire, pas facile à faire dans une société qui n'a pas «encore mis en paroles ses traumatismes» et qui n'a pas pris (qui refuse ?) «pour objet de connaisance ses différences et ses contradictions internes»

LesAuteurs : Noureddine Amara, Candice Raymond, Jihène Sfeir, Karima Dirèche, M'hamed Oualdi, Inès Mrad-Dali, Bernard Heyberger, Jocelyne Dakhlia, Daho Djerbal.

Avis : Une revue ouverte sur le monde et l'universel qui, dans le paysage désolé et désolant des publications scientifiques (et universitaires), tranche par le sérieux de sa gestion et la qualité de ses travaux.

Extraits : «Après deux décennies, dans les années 1970 et 1980, marquées par une série de grands congrès historiques arabes, le repli sur le national témoigne aussi bien des désenchantements partagés que de la difficulté à pérenniser des dynamiques d'échange ayant paradoxalement bénéficié des jeux d'influnece entre Etats de la région» (Présentation, p 7), «L'Algérie reste encore dans les sciences historiques et politiques françaises (occidentales) du domaine du refoulé, de l'impensé, voire de l'impensable» (Daho Djerbal, p 217).

HISTOIRE DES BERBERES ET DES DYNASTIES MUSULMANES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE. LIVRES I, II

ET III. De Ibn Khaldoun. Traduction de William Mac-Cuckin De Slane. Edition intégrale.Berti Editions, Alger 2013, 436+493+474=1404 pages et 54 pages d'introduction, 3.000 DA

C'est (d'abord) l'histoire de tribus arabes, «dont les ancêtres fondèrent l'Empire de l'islamisme». Puis, l'histoire généalogique des Berbères ainsi que de leurs tribus et dynasties...en Afrique septentrionale (Maghreb), dont les Sanhadja «une des tribus berbères les plus considérabes -et la plus turbulente- par leur nombre»... jusqu'à la «conquête de l'Ifriqya par les musulmans». Il faut absolument ne pas rater la partie consacrée aux «talents que la race berbère a déployés...», chapitre, nous dit le traducteur, qui a été rajouté par l'auteur après avoir achevé son ouvrage...Que de noms d'hommes, de femmes, de guerriers, de savants et de tribus et de royaumes flamboyants !

Puis, l'histoire de la région sous les Emirs arabes.

C'est (ensuite) l'histoire des dynasties arabes régnantes et des «peuples étrangers»

C'est (enfin) l'histoire des tribus berbères et des royaumes que cette race a fondés (Empires Abdelwadite et Mérinide, entre autres)

L'ouvrage se termine par une table géographique renfermant les noms de lieux de l'Afrique septentrionale dont il est fait mention dans «L'histoire des Berbères», ce qui permet de se repérer de nos jours tout en maintenat le lien avec le récit.

A noter que l'auteur (le traducteur) a, dans une longue introduction de 48 pages, présenté son ouvrage ainsi qu'une biographie détaillée d'Ibn Khaldoun.

L'Auteur : L'auteur n'est pas à présenter... Le plus grand philosophe et historien que l'Islam ait jamais produit et l'un des plus grands de tous les temps. Encore que pour les nouvelles générations, il y a doute. D'autant qu'on a la nette et désagréable impression que notre Système éducatif ne semble pas le porter, depuis les années 90, dans son cœur.

Berbériste lui aussi ? Pas assez arabo-islamique ? Trop critique dans son analyse des pouvoirs ? Trop maghrébin ? Pas assez nationaliste. Quant au traducteur... il dit s 'être «constamment appliqué à rendre avec fidélité le sens du texte arabe».

Avis : Un véritable pavé que cette «histoire universelle d'Ibn Khaldoun» : 1404 pages au total regroupant les trois Livres. Ajoutez-y les petits caractères ! Au moins deux à trois kg. Mais, surtout, ne pas s'inquiéter car l'achat vaut grandement le détour. J'avoue que je n'ai fait que le parcourir en «diagonale». Ce qui est sûr, c'est qu'il mérite largement une très bonne place dans votre biblitohèque... ainsi qu'une lecture attentive et sans empressement.

Extraits : «Les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux ; un vrai peuple comme tant d'autres dans ce monde, tels les Arabes, les Persans, les Grecs et les Romains» (Livre 1, p 135), «On a vu chez les Berbères des choses tellement hors du commun, des faits tellement admirables, qu'il est impossible de méconnaître le grand soin que Dieu a eu de cette nation, l'extrême bonté qu'il lui a toujours témoignée, la combinaison de vertus dont il l'a dotée, les nombreux genres de perfection auxquels il l'a fait atteindre...» (Livre 1, p 138)