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Au nom d'un prestige aléatoire !

par Cherif Ali

Quand on étale des milliers de milliards de dinars au nom d'un prestige aléatoire pour animer du vent, écrivait l'éditorialiste de notre quotidien , il devient du bon droit du monde du travail d'alimenter une corrélation financière dont il exige le bénéfice, et il est loisible, pour lui, de se départir de toutes autres considérations, aussi sensées qu'elles pourraient l'être.

On lui parle d'austérité, crise du pétrole oblige, au même moment où certains, dans les postes de responsabilité qu'ils occupent, s'apprêtent à dépenser sans compter.

Cinq millions d'euros, par exemple, pour faire venir à Alger le Réal de Madrid. Un chiffre astronomique pour un match «gala» qui suscite plus de polémique que de ferveur, depuis son annonce? en 2013 ! Dépenser autant d'argent même si c'est pour «s'offrir» l'une des plus prestigieuses formations footballistiques au monde, disent les citoyens éberlués par cette annonce et, par ailleurs, durement touchés par la mercuriale qui s'affole, relève de la gabegie, encore plus en cette période de récession économique.

Cinq millions d'euros ! Une somme exorbitante ? Pas aux yeux du gestionnaire de l'opérateur «Mobilis» qui l'a justifie en déclarant que «rien n'est trop cher à nos yeux pour faire plaisir au peuple algérien !». Il dit aussi, attendre la fin des travaux du stade du 5 juillet pour programmer le match amical du Réal ; mais contre qui ?

Certainement pas l'équipe nationale, a affirmé le président de la FAF, qui a fait savoir que l'organisation d'un tel match n'est pas de son goût, encore moins du ressort de l'opérateur de téléphonie mobile ! Et dans un communiqué rendu public, le président de l'instance du football, a qualifié «d'irresponsables» les propos du PDG de l'entreprise de téléphonie, en prenant à témoin l'opinion sportive pour dire : «cette société n'est pas qualifiée et ne peut, en aucun cas, se substituer à la FAF pour l'organisation d'un match de football ; l'E.N étant gérée par la FAF, c'est cette dernière, et elle seule, qui programme ses matchs sur la base du calendrier international de la FIFA et de sa participation aux compétitions internationales majeures». Le PDG de Mobilis, tout en «accusant des personnes de vouloir parasiter le projet», a affirmé, fier comme Artaban, «qu'il dispose de l'accord des hautes instances du pays, qui l'ont encouragé dans son initiative».

Voila où nous en sommes de cette polémique à 5 millions d'euros ! L'affaire, dont tout le monde en parle, mais que la classe politique, notamment celle dite d'opposition, ignore superbement, vient de connaitre un nouveau rebondissement à en croire le quotidien sportif espagnol «Marca», qui confirme la venue, en Algérie, du club madrilène, pour y disputer un match gala contre la sélection algérienne, un club de ligue 1, ou bien, un «combiné» des meilleurs joueurs du championnat. Ceux-là même que Christian Gurcuff ne saurait voir, serions-nous tentés d'ajouter à propos de l'entraineur de l'E.N, étrangement absent, à Tchaker où l'Entente de Sétif triomphait, avec des joueurs et un entraineur du crû !

A court terme, il est difficile d'estimer les effets de l'initiative de Mobilis qui peut engendrer éloges et critiques mais aussi, pertes financières et profits.

A long terme, l'objectif à atteindre pour l'opérateur téléphonique est clair : il devient un instrument au service d'un homme en quête de notoriété voire d'un destin plus grand, loin, à priori, de l'intérêt de sa propre entreprise ou du football qu'il est sensé promouvoir, ou plus encore, loin du «plaisir» qu'il projette de donner aux «footeux» que nous sommes, ou pas !

Certains observateurs pensent que l'opérateur téléphonique en question, chercherait simplement, à profiter des retombées publicitaires et qu'en définitive, le match n'aura pas lieu. On est en face d'un simple effet d'annonce, un coup de «com» somme toute réussi !

A Dely-brahim, dans la maison du football, on est pas de cet avis : «l'E.N n'est pas un outil publicitaire, dont on abuse, gratuitement, à des fins inexpliquées ou personnelles», déclare, avec une rage à peine contenue, le président de la FAF, qui «invite Mobilis, tout comme les autres opérateurs de téléphonie à aider nos clubs professionnels ou à sponsoriser les championnats nationaux, et pourquoi pas, entrer dans le capital des clubs, qui ont plus besoin d'argent que le richissime Réal de Madrid !».

A quelques distances de là, le message semble avoir été perçu par le patron des patrons algériens, Ali Haddad qui a déclaré, au sortir d'une rencontre avec le ministre des sports : «le domaine sportif renferme beaucoup d'activités industrielles et les entreprises peuvent en bénéficier et apporter leur contribution». Tahmi, le ministre des sports, étrangement silencieux dans cette partie bras de fer Mobilis-FAF, sort quelque peu, de son mutisme pour «inviter les patrons à s'impliquer, davantage, dans la gestion des activités sportives au lieu de se limiter à des simples opérations de sponsoring : le rôle de l'Etat est d'organiser l'activité sportive et les clubs. Aux entreprises privées de gérer ces entités», a-t-il dit. Une réponse «à la normande», serions-nous tentés de dire.

 Il est vrai que Mobilis, en tant qu'opérateur économique finance les championnats de football, ligue1 et 2, qui portent d'ailleurs son appellation. Cet opérateur aide le football, sport collectif certes, mais qui encourage et récompense les comportements déviants, disent les intellectuels, en leur donnant une prime. Il plaît, jusqu'à la démesure, comme disait quelqu'un, car tout le monde s'y retrouve. Entrepreneurs privés, gestionnaires publics et autres personnalités en mal de notoriété.

Le football est certainement important, pour le personnel politique et les élites, qui iront jusqu'à s'associer à une victoire quand elle arrive, et quand tout va mal, on hurle avec les loups et on stigmatise l'argent du foot ! A travers cette «initiative» de Mobilis, on peut se rendre compte à quel point l'implication dans ce sport peut servir de tremplin à des gestionnaires pour bâtir une carrière en dehors de leurs entreprises, sans risquer le moindre soupçon. Le football n'impose pas de s'exposer, personnellement, parce qu'on parle de quelque chose qui se joue à l'extérieur de la zone du pouvoir. Il permet, en quelque sorte, de parer à la gestion de la chose publique, sans les angoisses, les interrogations et les devoirs de la discussion politique. Et le stade est le défouloir, par excellence, le lieu où on peut, sans risques, porter des revendications sociales, économiques et même politiques. Et pourquoi pas, se faire adouber par la foule.

Le football, trop de personnes y ont succombé parmi les élites ; ce sont elles qui, légitiment l'horreur sportive généralisée, la violence, le dopage, les magouilles, l'appétence politique, et l'argent sale ; et, paradoxalement, ce sont les mêmes personnes qui sont chargées d'en trouver les remèdes !

Le football et la politique, sont les deux plus grands sujets de conversation des algériens, que ce soit au travail, dans les cafés, la rue, mais aussi à la maison. Et parce qu'il fédère l'ensemble d'une nation, ce sport devient, un instrument de manipulation pour les puissants ; et quand les hommes politiques et certains patrons d'entreprises s'en emparent, c'est pour faire avancer leurs idées, pour conserver leur mandat ou afficher leurs ambitions. Sport, business, deux univers de plus en plus mêlés et les passerelles qui les unissent sont aussi nombreuses que dangereuses.

Dans un article intitulé «le tragique canular du football business», Chems Eddine Chitour écrivait : «(?) nous sommes fatigués par les interviews au vocabulaire pauvre et insipide, nous sommes saturés par les cérémoniaux, qui comme pour bien faire, sont calqués sur ceux des médias, notamment européens. Nous sommes écœurés par les faux semblants de ceux qui se forcent à aimer le football en attendant un retour sur investissement (?)».

Tout comme, peut-être, le patron de Mobilis, même s'il est dans son rôle arguent certains. Il fait du mécénat au profit de son entreprise et, c'est tout à fait légal ! Oui, mais on doute souvent de la sincérité du mécénat d'entreprises (un oxymore pour certains), car on s'attend à la cupidité et à l'individualisme farouche des cadres et de ses dirigeants, même s'il est impossible d'évaluer, véritablement, si une action est altruiste ou égoïste. De plus, une décision de mécénat n'implique que le dirigeant dans l'entreprise ; elle peut être mal perçue dans l'interne et vécue comme un caprice coûteux et inutile du manager. Profitable pour lui, s'il venait à espérer un retour sur investissement, moins pour les salariés, sauf si ces derniers venaient à participer, concrètement, à l'aventure menée par leur patron dont ils comprendraient, facilement, le sens de l'engagement. Serait-ce le cas des travailleurs de Mobilis ? On n'en sait rien, en fait !

Dans cette histoire qui n'en finit pas de capter l'intérêt de l'opinion, on peut, d'ores et déjà, chiffrer ce qu'un bon gestionnaire pourrait faire des 5 millions de Mobilis qui font tourner bien des têtes. Pour ce faire, invitons à la réflexion tous ceux qui, parmi nous, voudront bien participer à la résolution de ce petit problème d'arithmétique : «en 2009, la commune de Chlef, a dépensé 1 milliard de centimes, pour réaliser 5 terrains de sport de type «Matéco» qui sont venus, ainsi, renforcer ses infrastructures sportives composées de 25 terrains similaires. Première question : en tenant compte de l'inflation subie par le pays depuis 2009, à combien pouvons-nous estimer, au jour d'aujourd'hui, le prix d'un terrain «Matéco» ? Deuxième question : avec un budget de 5 millions d'euros, combien de terrains de ce type peuvent être réalisés ? Troisième question : combien de communes peuvent en bénéficier ? Quatrième question : combien d'équipes sportives peuvent s'y entraîner et partant, effectuer leurs compétitions ? Cinquième question : combien d'emplois directs et indirects peuvent être créés, conséquemment à l'édification de ce type d'infrastructures sportives ? Sixième question : combien d'assiettes de terrains peuvent être, ainsi, soustraites aux prédateurs fonciers, si les élus et autres responsables locaux décidaient d'installer de telles infrastructures de sport et de loisir pour faire profiter toute cette jeunesse en errance etc ?

Un match gala à 5 millions d'euros parci, une enveloppe de 450 000$ pour un spectacle pyrotechnique par-là, à quand l'arrêt de cette gabegie ? On s'interroge sur l'inconscience de ceux qui n'en finissent pas de jouer avec l'argent public, pour payer non pas un think thank allemand, pour sortir le pays de sa crise de modèle économique, affirmait un billettiste, mais pour faire venir à grands frais un club de football classé comme le plus riche du monde, et c'est l'opérateur public de téléphonie mobile, qui va débloquer l'argent en justifiant son choix : «rien n'est trop cher à nos yeux pour faire plaisir au peuple algérien ! ». L'Algérie n'étant pas le Qatar, loin s'en faut, et son plaisir, du moins, celui de son peuple, tient pour l'instant à la transformation du modèle économique et social du pays et de la gouvernance qui le sous-tend. Comme affirmé, inlassablement, par «Nabni» et tous ceux séduits par ses théories qui estiment «que la réforme de la gouvernance constitue le socle du changement de cap».

C'était, d'ailleurs, un engagement du président de la République martelé dans tous les meetings par son directeur de campagne électorale d'alors. Un certain Abdelmalek Sellal, devenu premier ministre depuis.