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Obama, l’Europe et l’héritage de Thatcher

par Akram Belkaïd, Paris

Existerait-il une spécificité américaine en matière d’économie et cela au sein même de la désormais très grande famille des pays ayant adopté l’économie de marché ? La question peut étonner quand on sait que les Etats-Unis sont perçus, avec la Grande-Bretagne, comme les emblèmes du capitalisme mondial, voire du néo-libéralisme triomphant (même si certains pays émergents sont eux aussi désormais aptes à mériter le second qualificatif). Pour autant, l’actualité récente renforce la pertinence de cette interrogation.

NON A L’AUSTERITE

Cela fait ainsi plusieurs mois que Washington s’agace de la situation de marasme économique qui prévaut en Europe. Il fut un temps où ce genre de situation aurait incité les officiels étasuniens à reprendre à l’envi leur discours sur la nécessité pour l’Union européenne (UE) de mener des réformes structurelles et d’en finir avec le poids jugé trop important des Etats dans l’économie. Disons-le tout de suite, c’est encore le genre de propos que l’on retrouve dans les colonnes éditoriales du Wall Street Journal, voire de l’hebdomadaire The Economist. A l’inverse, l’administration Obama n’a de cesse de réclamer toujours plus de relance et bien moins d’austérité.

Pour les Etats-Unis, les Européens en ont donc trop fait en matière de rigueur. De prime abord, la réduction des déficits et la baisse des dépenses publiques sont deux mesures orthodoxes susceptibles de ravir les marchés et de donner des couleurs aux investisseurs américains, et ils sont nombreux, qui achètent des titres libellés en euros. Oui, mais voilà, le président Obama et son équipe trouvent que c’en est trop. Alors que l’économie américaine a redémarré, la demande européenne mais aussi celle du Japon et de certains pays émergents demeure atone et peu susceptible de relayer la reprise venue d’outre-Atlantique. « Cessez de vous serrer la ceinture et dépensez plus », tel pourrait donc être le message adressé par les Américains à leurs partenaires.

Les premiers n’ont pas honte de ressortir la bonne vieille recette keynésienne de relance par la demande. Rappelons juste que l’économiste John Maynard Keynes n’était pas marxiste et que sa pensée n’est absolument pas taboue aux Etats-Unis. Certes, les années Reagan l’ont quelque peu éreintée avec la montée en force du monétarisme mais la crise de 2008 a rappelé certaines évidences. Dans des situations de crise, seul l’Etat, et non le marché, détient la solution. En rappelant cela à ses pairs européens, Barack Obama a montré que le social-libéralisme avait encore ses adeptes dans son pays surtout quand il est mâtiné de quelques zestes de pragmatisme (les Etats-Unis n’ont pas eu d’hésitations à recourir à des nationalisations après la crise de 2008).

L’OMBRE DE LA DAME DE FER

Analyser la politique économique américaine, surtout en temps de crise, permet, par contrecoup, de montrer à quel point le dogme libéral est bien ancré en Europe. Si l’héritage de Reagan fait aujourd’hui débat aux Etats-Unis, nombre des lois héritées de ses années de présidence (1980-1988) sont plus ou moins contestées, il faut peut-être admettre que celui de Margaret Thatcher façonne encore la manière dont l’Union européenne fonctionne. Plus que des textes et des lois, ce sont les idées de la Dame de fer qui lui ont survécu. Et les sorties répétées d’Obama contre l’austérité sont peut-être une manière pour lui de dire à ses interlocuteurs européens, notamment allemands, qu’il est temps pour eux d’oublier Thatcher…