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Obsèques officielles à Roger Hanin : une mauvaise réputation? !

par Abdellatif Bousenane

L'officialisation des funérailles de Roger Hanin, l'acteur français d'origine algérienne, a suscité, effectivement, une polémique et plusieurs

interrogations. Parmi ces questionnements, et au-delà du jeu politicien classique entre celui qui gouverne et ses opposants éternels, peut-on s'interroger sur notre capacité collective à dépasser notre phobie d'affronter le monde d'aujourd'hui ?

L'Algérie a payé, très chèrement, son attachement à son Indépendance et sa souveraineté qui sont deux caractéristiques très estimables et respectables, dans un monde « normal ». Cependant, cette attitude est perçue par les dominants comme étant un entêtement d'un petit pays du tiers monde qui fait fausse route !

DON QUICHOTTE RENVIENT CETTE SEMAINE !

Après tout ce qu'on a vu, depuis maintenant, plus de 25 ans, de notre propre grande ?Fitna' des années 90 dont les braises de son feu étaient ravivées par une crise économique, sans précédent qui a, presque, coûté la vie à l'Etat-nation, là où notre pays se trouvait enfermé sous un embargo non-officiel. Après, les guerres contre l'Irak, l'Afghanistan, la Libye?etc. pour des motifs qui restent, franchement, peu intelligibles. Après tout ce qui s'est passé, dans ce qu'on appelle le « printemps arabe ». Après les attaques à répétitions de l'Etat sioniste contre les femmes et les enfants palestiniens dont les corps déchiquetés et les crânes explosés ont mis à mal cette « communauté internationale », qui a été figée dans une position de voyeurisme honteux.

Bref, est-ce qu'après tout cela, nous n'avons pas, encore, compris qu'on vit dans un monde très cruel, dont les mots tendres et les grands concepts nobles, tels que les droits de l'Homme, la Liberté, la Justice ?etc. ne se sont avérés, finalement, que mensonges et prétextes pour punir, détruire et dominer encore et toujours ? Est-ce qu'on n'a pas, encore, compris qu'il est impossible, dans notre contexte interne, notre vulnérabilité technico-industrielle et donc économique, qu'on est incapable d'affronter, seuls, les géants de ce monde, si injuste, avec une démarche complètement ?Donquichottienne', pour faire justice sur cette terre ? Est-ce qu'on n'a pas la sagesse suffisante et subtile pour comprendre qu'il est préférable d'avoir des amis dans le « monde libre » puisque les ennemis on ne les choisit pas, on les subit ?

LA QUESTION JUIVE !

Je suis persuadé qu'une grande partie d'Algériens parmi les gens qui se sont exprimés contre cet « enterrement-présidentiel » n'est pas, vraiment, antisémite, mais cette attitude est plutôt révélatrice d'une réaction qui prend une configuration typiquement psychologique et qui se manifeste par une phobie de l'ouverture sur un monde qu'on ne maîtrise pas, un monde des géants. Une peur d'un inconnu incarné, dans notre cas, par le juif perçu comme étant puissant dominateur, riche et manipulateur. Dire qu'une partie du peuple hébreu occupe une place centrale et si influente, économiquement et géo-politiquement, d'une manière globale, ce n'est pas une idée ?conspirationiste', ceci est un constat tangible et intelligible.

Et donc par la force des choses, il y a, forcément, des juifs d'Amérique Latine, d'Europe, d'Amérique du Nord et aussi d'Afrique et de pays arabes avec lesquels on communique, on travaille, on marchande et on discute, tous les jours. Dès lors, et pour être très clair, arrêtons cette hypocrisie !

Sans aucune volonté de notre part d'appeler à la normalisation avec l'Etat sioniste. Qui reste un Etat très hostile à notre pays, depuis la Révolution de Novembre 1954, où Israël a joué, en fait, un rôle contre-révolutionnaire, puis sur le dossier de la Palestine et les terres arabes occupées et son soutien inconditionnel aux manoeuvres, très peu aimables, du royaume chérifien sur la question de la colonisation du Sahara Occidental. Ainsi, donc, tout le monde sait que le rapprochement entre les deux Etats est inimaginable, sans le règlement au moins, de l'un de ces dossiers.

Ces positions fermes et glorieuses dont tous les Algériens doivent être fiers, posent, toutefois, beaucoup de problèmes à notre pays sur la scène internationale, en connaissant l'influence extraordinaire de cet Etat, au sein de la civilisation dominante.

L'épreuve de la souveraineté de notre pays ne s'arrête pas, cependant, à ce dossier, très lourd, mais il y a, également, le conflit entre le Maroc et le Polisario, la question des bases militaires occidentales, refusées systématiquement par Alger, ainsi que son « niet » plus soviétique que les Russes, sur le droit d'ingérence.

BRAVO L'ARTISTE !

Par conséquent, au niveau de la souveraineté et dans ce contexte décrit, ci-dessus, il faut, quand même, le dire : on ne peut pas faire mieux. Au contraire, garder des liens de coopérations et d'amitiés avec, pratiquement, tous les pays du monde, en maintenant, en même temps, cette posture inflexible, relève, à mon sens, et sans aucun excès, d'un quelconque sentiment patriotique, d'un exploit diplomatique très rare.

Peut être, justement, pare ce qu'on a eu la sagesse et l'élégance de reconnaitre ses amis, de ses ennemis, comme c'est le cas de ce geste post-mortem. Car on ne doit pas considérer des gens comme Eric Zemmour, Bernard Henri Levy? etc. qui n'affichent pas une réelle sympathie à l'égard de notre pays, de la même manière que des gens tels que Roger Hanin, Jean Daniel, Gisèle Halimi?etc.

A un moment donné, il faut choisir : soit on affronte ce monde avec ses défaut et ses qualités, en étant armé d'intelligence, de sagesse et surtout de notre confiance en nous-mêmes et en nos principes, soit on s'isole et on s'enferme et le monde viendra, tout de même, nous chercher après notre épuisement dans la solitude. On sera, ainsi, une proie beaucoup plus facile pour les prédateurs de cette jungle dans laquelle on vit.

Enfin, après tout ce qui a été dit, ce geste présidentiel à l'égard des obsèques de « Navarro » dans sa terre natale, peut se justifier. Car, ne pas donner à cet enterrement un aspect officiel ne réglerait pas les problèmes de rapatriement des corps d'Algériens morts à l'étranger. Il n'arrangerait pas, non plus, la relation, souvent tendue, entre l'élite qui gouverne, chez nous, et l'autre élite « anti-système » morte ou vivante. Il ne réglerait jamais, non plus, tous les problèmes des Algériens, puisque ce n'est pas le sujet ! En revanche, ce geste d'une finesse politique incontestable corrige une très mauvaise réputation, des deux côtés, et renvoie, ainsi, une image positive très symbolique d'une Algérie mature, tolérante, très ouverte sur le monde, et capable de faire le distinguo, très subtile, entre ses amis et ses ennemis.