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L'importateur, bouc émissaire d'une économie en panne

par Omar Harbi

Après plus d'une décennie passée avec un cours du brut à 50/100 USD, l'Algérie s'est subitement rendue compte de la fragilité de ses équilibres financiers, à l'occasion d'une chute spectaculaire des cours de l'or noir.

A la recherche de solutions pour éviter la répétition de la crise des années 90, nous avons tout de suite trouvé un bouc émissaire à jeter en pâture : l'importateur. A lire et écouter articles et débats à ce sujet, l'importateur algérien est coupable de tous les maux, entre autres :

1 Coupable de fuite de capitaux et de domiciliation de complaisance à effet unique de transférer des devises à l'étranger.

2 Coupable de ne pas créer d'emploi.

2 Et voire même, coupable de la progression spectaculaire du cancer, vu que les produits que celui-ci importe sont forcément cancérigènes.

Ainsi, si l'Algérie veut avoir une économie forte et créatrice d'emploi, il faut supprimer les importateurs. Une batterie de mesures serait en préparation pour les mener directement à la faillite, mesures préparées, bien entendu, par nous-mêmes qui avons eu à gérer les recettes d'un baril à 50/100 USD pendant plus de 10 ans. Alors que dans d'autres économies, l'importateur constitue avec le producteur et le prestataire de services un maillon nécessaire à l'équilibre du marché, en Algérie, il est une espèce détestable issue de croisement improbable entre le voyou et le traître à la nation.

Il existe bien entendu des opérateurs véreux, comme il en existe dans tous les corps de métiers et dans toutes les activités économiques.

L'évasion des capitaux a toujours existé en Algérie, comme ailleurs, et elle existait bien avant la libération du commerce extérieur. Des machines de production et autres stations de dessalement d'eau de mer ont bien étés ramenées en Algérie dans le cadre de projets parfaitement « nobles », mais beaucoup n'ont jamais servi, voire n'ont jamais pu être mis en service, sinon au vu des chiffres des organismes en charge du « développement des investissements », l'Algérie aurait été aujourd'hui une puissance industrielle.

En plus, avec un marché très concurrentiel, le développement d'une activité d'importation n'est aujourd'hui possible qu'avec la promotion de service clientèle et services après-vente performants, fortement créateur d'emplois.     L'image de l'importateur négociant container sur container avec un fax, un bureau et une secrétaire est révolue. Il en existe certes, comme il existe d'autres opérateurs de secteurs d'activités différents avec la même configuration. Et Il n'y a pas de mal à être une petite entreprise.

Notre discours vis-à-vis des petites entreprises, importateurs ou autres, est empreint d'une telle violence verbale, bien différent de celui de nos voisins, que l'acte même de créer une activité commerciale, donc d'offrir des emplois, devient une démarche angoissante, qui crée ainsi un raccourci inévitable vers l'informel, handicapant les caisses de l'Etat de recettes fiscales.

Ce que ne dit pas ce discours guerrier vers les importateurs, est que ceux-ci sont les premiers créateurs d'emplois durables, je dis bien durable, parce que bien évidemment, leur secteur d'activité, l'importation, est le seul à être rentable. Une rentabilité qui est parfois le résultat d'une demande de marche créé par?..nous-mêmes? et d'une manière artificielle !!!! En effet, exemple parmi d'autres, lorsqu'on déverse des milliards de dinars dans des dispositifs de soutien à l'emploi de jeunes et à l'investissement pour acquérir des équipements qui ne sont pas produits en Algérie, et que les bénéficiaires de ces dispositifs de soutien à l'emploi des jeunes et à l'investissement, n'ayant trop souvent aucune aptitude ou aucune assistance en terme de gestion, revendent ces équipements en pièces détachées ou les laissent rouiller dans des hangars, on crée ainsi un marché artificiel, une bulle économique qui ne profite qu'aux importateurs qui, eux, finissent par?.créer des emplois par simple besoin de gestion.

De plus, toute ambition d'orienter ce schéma exclusivement vers la production locale est vouée à l'échec parce que, pour importer, il faut de la main-d'œuvre commerciale et administrative et que, pour produire, il faut de la main-d'œuvre technique qui, elle, disparaît du marché de l'emploi car ?.préférant s'établir à propre compte?avec les dispositifs de soutien à l'emploi de jeunes !!!! Combien sont les entreprises du BTP au bord de la faillite qui ne peuvent honorer leurs contrats, car ils ne trouvent pas sur le marché de l'emploi ni maçons, ni ferrailleurs, ni conducteurs d'engins ?? Combien sont les ateliers de production qui ne trouvent plus d'opérateurs pour leurs machines ???

Nous, dont toute la démarche reste malheureusement empreinte de populisme, prenons d'abord les mauvaises décisions et finissons par nous contredire toujours quelques mois ou quelques années plus tard. Le ridicule, on le sait, ne tue pas.

Ainsi, la décision d'imposer un capital social de 20.000.000 de DA aux importateurs possédait une forte charge populiste, mais a été supprimée plus tard, car n'ayant aucune incidence réelle sur aucune tendance supposée ou voulue.

Celle de demander, à la domiciliation bancaire de toutes factures commerciales, un certificat de conformité prouvant la possession par l'importateur de moyens de stockage et de transport, dénote d'une volonté de faire et de ne rien faire en même temps : cela supposerait que l'importateur, après avoir payé rubis sur l'ongle sa marchandise, transporterait celle-ci sur son dos et la laisserait aux quatre vents, au coin d'une ruelle. Il y a peut-être des exceptions, mais l'exception fait-elle la règle ???

Celle de supprimer, entre 2009 et 2014, la remise documentaire comme moyen de paiement des marchandises importées est encore plus dramatique, et dont les intentions restent à ce jour incompréhensibles : de 2009 à 2014, les opérateurs du commerce extérieur, importateurs et producteurs, ont réglé leurs opérations exclusivement avec la lettre de crédit CREDOC qui génère des frais à payer en devises aux banques étrangères et dont le caractère préalable et irrévocable en fait l'outil idéal??.pour toute domiciliation fictive de marchandises, et donc transfert illicite de devises !!! Qui est responsable ? Qui est fautif ? Qui peut nous dire combien l'Algérie a payé entre 2009 et 2014 en frais de CREDOC aux banques étrangères ? Qui est responsable de ces surcoûts inutiles pendant cinq ans ???

Quelle est la finalité d'imposer un registre de commerce pour les importateurs valable seulement deux ans, si ce n'est de tendre la main aux fraudeurs qui ne se feront pas prier pour?. changer de registre et de raison sociale tous les deux ans ??? Quelle est la finalité d'instituer des droits de douane et une TVA puis exonérer presque tout le monde du paiement de ces droits, tout en sachant pertinemment que bénéficier d'avantages fiscaux n'exonère pas l'investisseur de la faillite si son entreprise est mal gérée, abandonnée à elle-même ou si elle évolue dans un environnement inadéquat ?

Cette critique féroce de l'importateur algérien épargne pourtant la démarche des pouvoirs publics d'avoir recours à des sociétés étrangères de BTP qui, à mon avis, est une démarche tout à fait semblable à celle de l'importateur, sauf que c'est l'Etat lui-même qui importe des services et un savoir-faire. Pourquoi le fait-il ? Il y a bien des raisons pour que la demande exceptionnelle qui existe en Algérie pour les logements et autres infrastructures profite d'abord aux sociétés étrangères de BTP et pas aux sociétés algériennes à qui on laisse en miettes, les contrats type LSP ou OPGI avec des tarifications qui les mènent directement à la faillite et les empêchent d'avoir les moyens pour acquérir ce savoir-faire. Notre discours pour faire diminuer la facture d'importation est juste et, malheureusement, une façade qui, au lieu de se traduire par des mécanismes réels de promotion de l'économie nationale, se traduit par des discours populistes et des mesures coercitives vis-à-vis de l'importateur algérien qui, très souvent, gérait une activité de production mise en faillite et abandonnée au profit de l'importation.

Le souci de tout chef d'entreprise est de gagner de l'argent et promouvoir sa propre rentabilité, et il n'y a aucun mal à cela, parce que ce souci de gagner de l'argent implique, dans une logique d'entreprise, la possibilité de grandir, de se développer et donc de créer des emplois et de payer ses charges et impôts ? à l'Etat.

L'importation est pour beaucoup la seule activité économique rentable qui réponde à cette logique de développement d'entreprise, et ce tant que nous continuerons à promouvoir et à défendre notre propre incohérence.

O.H., importateur