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L'échec d'une étape

par Abed Charef

Comme au poker, il faudra payer pour voir si l'appel du FFS a eu un impact politique.

Le FFS s'est heurté à un mur. Son initiative visant à organiser une conférence du consensus national a débouché sur une impasse. Ni le pouvoir ni l'opposition n'ont manifesté un quelconque enthousiasme envers une initiative aussi osée que complexe, ce qui a contraint le vieux parti à décider le report de la conférence. Un report qui sonne comme un aveu d'échec et que la plupart des analystes considèrent comme une formule enrobée pour reconnaître l'inefficacité de la démarche, avec un probable abandon, dans la discrétion, de l'idée même de conférence. A moins que le FFS ne fasse preuve d'une opiniâtreté insoupçonnée et ne décide de s'accrocher à son initiative, du moins tant que la situation n'a pas suffisamment évolué pour qu'une nouvelle donne soit possible.

Mais que signifie, en fait, cet échec d'étape du FFS ? Pour le FFS lui-même, cette initiative consacre une évolution politique significative. Ce parti ne prétend plus imposer sa vision traditionnelle, celle qui voulait littéralement amener le pouvoir à une sorte de reddition en rase campagne, pour mettre le compteur à zéro et repartir par la Constituante. Désormais, le FFS admet qu'il est nécessaire de faire avec ce qui existe, pour réaliser ce qui est possible, l'important étant d'aller dans la bonne direction. C'est plus réaliste que de bâtir un schéma utopique et refuser tout ce qui n'est pas intégralement démocrate. D'autant plus que c'est le pouvoir, assis sur un puissant appareil militaire et sécuritaire et sur une importante manne financière, qui bat les cartes et fixe les agendas. Attaquer frontalement ce pouvoir ne rime à rien. Vouloir l'abattre par la force est un choix condamné à l'échec. Par la rue, c'est dangereux, ceci en admettant que la rue accepte de suivre les opposants. C'est de la résignation, disent ses adversaires. C'est du réalisme, dit le FFS, qui sait qu'il a peu d'atouts. Il compte en effet plus sur la cohérence de ses idées démocratiques et le poids moral de M. Aït-Ahmed que sur sa capacité de mobilisation, celle-ci s'étant largement érodée au fil des années, comme pour tous les autres partis, d'ailleurs.

Aborder les problèmes autrement

Le FFS a aussi contribué à faire avancer une autre vision. Il veut se situer en dehors de l'agenda institutionnel ou celui du pouvoir. Il ne met pas en tête de ses préoccupations la légitimité du président Abdelaziz Bouteflika et celles des assemblées élues. Cette question sera résolue par le temps. Il est inutile d'en faire une fixation. Par contre, il insiste sur le contenu de l'après-Bouteflika : qui va gérer le pays pendant les quinze prochaines années ? Selon quelles méthodes ? Avec quel consensus ? Au profit de qui ? Dans quel environnement régional et international ?

En posant ces questions, le FFS tente aussi d'amener le pouvoir à trancher la question qui a provoqué une crise il y a un an. A la veille de la présidentielle d'avril 2014, les différentes factions du pouvoir n'avaient pas réussi à s'entendre sur le successeur de M. Bouteflika. Celui-ci en a profité pour passer en force, pour un mandat de trop, un mandat parfaitement inutile. Mais puisque le pays est en plein dans ce mandat, autant en tirer profit pour préparer l'avenir et ne pas être pris de court lorsqu'une nouvelle échéance se présentera. Mais dans un pays qui a appris à réfléchir sur des bases très étroites -qui va accéder à la présidence, comment l'aider ou l'en empêcher pour garantir la présence de son propre clan ?-, la démarche du FFS a été boudée, ou carrément rejetée par différents acteurs politiques. Elle révèle, en ce sens, plus sur la nature des autres acteurs que sur le FFS lui-même.

La CNLTD a réagi de manière très négative avec l'initiative du FFS. Parfois à cause d'une compréhension totale : chez les courtisans, on considère que tout rival veut devenir courtisan; parfois par prétention, comme cette déclaration selon laquelle la CNLTD « veut aider le pouvoir à partir, alors le FFS veut l'aider à se maintenir »; parfois par dépit, comme l'a clairement exprimé Abderrezak Mokri, qui a dit qu'il ne voulait pas laisser le terrain libre au FFS, dans le cas bien improbable où une conférence se tiendrait effectivement.

Quel impact ?

Mais au-delà de ces aspects anecdotiques, l'initiative du FFS a révélé l'attitude très ambiguë du pouvoir, telle que formulée par ceux qui s'expriment en son nom. L'équipe autour du président Bouteflika a montré ses priorités. Le FLN et le RND ont, dans un premier temps, fait preuve d'un intérêt poli. Ils ne savaient pas exactement ce que voulait le FFS. Ils se sont contentés de fixer le carré de leur propre compétence : on ne touche pas au président Bouteflika, et pour le reste, on verra si on peut, ou plutôt si on sera autorisé à en discuter. De la part de partis qui constituent un prolongement naturel du pouvoir, il était impossible d'attendre autre chose. La seule gymnastique pour eux consistait à tenter de garder les faveurs d'un pouvoir en place, sans trop s'aliéner un nouveau centre de pouvoir qui peut émerger à tout moment.

Le FFS reste donc dans l'expectative en ce qui concerne le volet le plus important de son initiative : quel est l'impact de son initiative auprès de ceux qui vont prendre les décisions centrales liées à la succession de M. Bouteflika, et de ceux qui auront à gérer les affaires du pays durant les deux prochaines décennies ? Le message est-il parvenu à ces cercles ? A-t-il un impact ? A-t-il provoqué un début de réflexion ? Pour l'heure, il n'y a pas d'indication précise, ni dans un sens ni dans l'autre. Seules quelques certitudes émergent : le pays a besoin d'un sérieux rééquilibrage. Il ne peut être géré ni par les équipes autour de Saïd Bouteflika et Ali Haddad, ni avec les mêmes méthodes, ni avec les mêmes équilibres. Face à une menace externe de plus en plus pesante -un Daech à l'Est, Al-Qaïda au Sud et une frontière fermée à l'Ouest-, et un danger interne encore plus menaçant -scandales de corruption à répétition qui minent littéralement les institutions-, il est difficile d'envisager que l'appel du FFS n'a pas trouvé d'écho. A moins qu'on ne se trompe complètement sur le pays et ses capacités.