Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Un pays? plusieurs paradoxes

par El Yazid Dib

Tout est confus. La contradiction crève la morose réalité. L'on rit mais l'on manque de bonheur. L'on mange mais l'on ne se rassasie pas. Même la blancheur nivale et la fonte des neiges ne donnent plus cette fulgurance espérée. Dur dilemme dans un monde qui croit avancer quand il fait du surplace.

La société, les faits de société et la politique sont l'œuvre en toute évidence de créatures humaines. C'est l'homme qui gère son semblable qui peut en faire un allié ou un pire ennemi. Les effets ainsi non escomptés sont l'accomplissement d'êtres hantés et possédés qui par ses humeurs, qui par ses fantasmes. Opposer à tout argument ou action un argument ou une action de force égale paraît engendrer inévitablement un paradoxe. Faire une contre-politique vis à vis d'une politique de même nature, dont seuls les moyens ou les auteurs se disconvenant peut constituer par réflexion une étrangeté. Le FLN n'est plus un parti plus qu'il n'évolue dans une coquille d'association fermée enfermant les allégeances gratuites et dénudée. Il se morfond et pleure ses lauriers. Benboulaid malgré sa fortune, ses fermes, ses maisons de maitres, ses lignes de transport, son statut de propriétaire foncier ; n'avait pas de résidence secondaire. Ni à Alger, ni a Neuilly. La sienne il l'a élit aux crêtes des Aurès. Son compte bancaire était déjà soldé dans les bilans de l'histoire.

Outre Alger, l'Algérie abrite également, Paris, Kuala Lumpur et autres villages où les anges crèchent dans les HLM, et les copains de Belzébuth bronzent sur le faîte des plongeoirs de piscines littorales. La coexistence pacifique et la cohabitation politique se pratiquent à merveille et sans nul tic, au sein de la communauté typique des anges et des démons. Dans certaines officines l'on célèbre l'union entre le diable et la sainte vierge. Le policier n'a plus l'autorité qui sied à son uniforme et à ce qu'il arbore comme prérogatives. La mollesse du traitement est dans la faiblesse d'une autorité en quête de popularité. Ainsi l'on voit que toute exagération dans la répression peut aisément entrainer la violence mutuelle et son contraire ne peut produire que l'insouciance et la quasi-anarchie. C'est au Droit, à ses préceptes, à son application uniforme et égale pour tous qu'il n'y aura ni arrogance ni avanies?.

Que dire que chez nous, à souk el fellah, la vente d'œufs n'était qu'à la plaquette et jamais à l'œuf ou à l'unité ? Était-ce de l'incitation à la consommation ou un mode de rationnement et de quotas ? Qu'à Tamanrasset pour pouvoir y conquérir deux boites de tomates en conserve l'on te filait sous peine de refus de vente, un jeu de cannes à pêches ou une paire de palmes ? Alors qu'à Tébessa la concomitance se faisait de corrélation entre un salaire mensuel ne dépassant guère les 1000 DA et un instrument de musique inhabituel à nos mélodies qui affiche 12 000 DA ? Malgré ces antagonismes emballés sous divers récipients d'où l'odeur politiquement nauséabonde, de « pour une meilleure vie » que le « progrès social » à « l'embellissement de l'environnement », notre peuple continuait à croire, le pauvre, en la perspicacité savante de ses gouvernants jusqu'à, d'une façon soudaine l'on veut lui faire l'apprentissage du « compter sur soi » de « l'autosuffisance » après bien lui avoir ôté toute résistance à la fatigue et à la lassitude de la « productivité » et de « la rentabilité ». Tous ces termes, voire toutes ces politiques, n'avaient de sens plus qu'en avait leur prononciation en arabe littérairement châtié. Ils étaient lourds, ces mot-phares, pleins et entièrement mâchés et rabâchés à chaque coin de ?réunion. Ceci de la même manière presque qu'en ces temps où d'autres mots se sont intronisés suite, cette fois-ci à des campagnes électorales et référendaires sur le discours officiel. Avec la crise du pétrole, qui en fait n'a jamais quittée nos calculs ; l'idée économique est fracturée. L'on ne fait pas de différence entre stagnation et stabilité. L'on s'agite dans ce cercle vicieux atteint d'une pollution politique jamais égalée. Le dinar se déplume dans toutes les bourses. Sa valeur insignifiante en cours de change est cependant omnisciente. Il s'achète comme l'âme d'un diable.

La contradiction polymorphe se confirmant de jour en jour, s'accumule et devient d'année en année une contradiction claire, mais oubliable. L'oubli de promesses faites aux masses relève d'une stratégie diabolique. Le satanisme chez nous se veut fatalisme dans la mesure où c'est la victime qui s'excuse par devant son bourreau, le créancier qui cède par devant son débiteur et ironie du tirage au « sort » c'est l'électeur qui suit, se courbe et courtise l'élu. Pour essayer de comprendre la contradiction, l'on s'épuise à revendiquer, en vain les débats contradictoires. Le sens unique nous épuise davantage. Antagonisme d'un coté, contradiction du même coté ; une logique certaine doit s'en faire une affirmation scientifique. Soit deux plus deux ne font pas quatre, mais font la résultante de huit moins quatre. Nos dirigeants successifs craignent le kifkif. Pour le même sens, la même amplitude dans les définitions ; ils préfèrent en toute jouissance maso-sadique, la différence des adjectifs qualificatifs. Sauf que pour « démocratie » la formule labiale reste partagée par tous, mais tous ne l'exercent pas uniformément, si ce n'est que tous ne l'ont jamais exercée. Les nuances se confinaient aussi dans les adjectifs que traînait chaque « démocratie » ; démocratie responsable (mass oula) ou réelle ( haki kia). Chacun par son programme compte trouver des correctifs aux contradictions flagrantes (à son sens) de celui de son prédécesseur. Ainsi à une finalité politique, les appellations sont imprécises, et la dextérité sémantique est dans les détails du plan d'exécution nous avance-t-on. Trouvez-vous une différence linguistique aux vocables suivants : rahma, houdna, ouiam et moussalaha ? ne cherchez pas trop ; la différence est ailleurs ; existante, sensible et visible autant que les concepteurs de ce que dissimule cette terminologie sont différents l'un par rapport aux autres ou l'un par rapport à lui même ! Dieu fasse régner en temps réel, loin des maux et des mots néfastes ta miséricorde ainsi que ta clémence, car comme disait Ibn Nubâta orateur célèbre à la cour de sayf al dawla vers le x siècle : « si les épées tranchent les nuques, elles échouent à faire ce que peuvent les aiguilles ».

La croyance qui s'est formée autour de l'idée salvatrice de résorber le déficit sans cesse croissant, du logement, axe cardinal de toute politique sociale ; n'avait pas besoin d'un effort de médiatisation, bien au contraire ; le peuple a bien connu ces rébarbatives locutions : « logement rural » « logement participatif » « logement évolutif » « logement clos et couvert » etc.? pour en connaître le « logement social » ou « promotionnel » et enfin de nouvelles idées de « adl ». Dans ces formules magiques et magnifiques à leur embryon, chimériques et endémiques à leur accouchement ; il y a de l'antagonisme urbanistique et architectonique, car les esprits yougoslaves, tchèques, chinois et qataris y sont ; ou bien par étude interposée, inspiration imposée ou financement disposé. Si l'on veut obtenir un logement la condition de marié en était impérative, alors pour pouvoir se marier il faudrait impérativement avoir un toit. Que faire ? Une alternative sociétale à peine réglée que le célibat devance la raison et devient un murissement conjugal. Un peuple trop célibataire sera rapidement un père orphelin ou un vieux veuf. Le logement reste donc l'un des casse-têtes qui fait tourner la crise en une aubaine d'une urbanisation immodérée.

Une pensée taraude l'œil du citoyen, car croyez vous que l'on pense par nos cœurs ? On le fait par tout organe, notamment le côlon cylindroïde doué d'un dolichocôlon, l'œsophage, le tube digestif et l'appareil génital; cet œil de ce citoyen est filetée par la pensée qu'il se fait lorsqu'il voit la TVA qu'il paye ; collée à tous les objets qui l'entourent et dont les riches qui l'entourent vaillamment s'en échappent tour à tour ! L'impôt, se dit-il est comme la révolution, il est par le peuple et pour le peuple, il est comme l'homme qu'il faut à la place qu'il faut. L'encouragement à « l'investissement » illusion ! est un encouragement à saper le génie et l'intelligence dans l'industrie et le commerce. Les avantages fiscaux (fiasco) accordés ne sont en définitive qu'un mirage opératoire de grande fraude. Le paradoxe fiscal subsiste également dans le paradis fiscal que suscitent la loi, les finances et les gens de l'aisance. L'APSI, le CALPI ?deviennent les limbes pour les anges et pour les démons des lieux de prédilection et de pèlerinage à 3% contre tout % SVP !

La politique azotée à l'aide de substances résiduelles, prises dans les « forces vives de la nation » ou dans « l'avant-garde » des «masses laborieuses »; est un excellent paroxysme du paradoxe. Une union de jeunesse qui se préside par quelqu'un qui ne l'est plus ou une présidence où à coup de « versets » décretaires ou oratoires les anges se supplicient dans les tourments de l'enfer au moment où les démons savourent les délices de l'éden pour eux bref et éphémère. Dans ce monde la véracité épouse le mensonge et bénit le déni de divinité filiale des anges. L'escroc est devenu cette personne, ce mesquine banni, que la grâce divine, pour péché et impiété aurait voulu l'enfouir aux fins fonds de la géhenne, et l'intègre, cette pieuse personne faisant, après de laconiques ablutions ; sa rokia à l'effet de couper tout souffle. Enfin l'ultime paradoxe, qui ne sera plus ultime dans quelques temps, en matière politique ; c'est le fait d'aboutir à un raisonnement acceptable, sans consultation ni « choura » à vouloir faire aimer les incubes par les archanges, les angelots par les succubes. C'est aussi quand les grottes ténébreuses du pouvoir s'illumineront par les torches scintillantes que chaque ange ailé et auréolé tiendrait comme tiendrait un enfant à la main ; une bougie allumée et éclairante. Un pays qui ne codifie presque rien, qui laisse au hasard un sort, qui se remet à la providence, qui attend la bruine, qui ne peut se départir de son puits, de ses barils est un Etat qui va droitement vers sa finitude. Surtout quand au lieu de semer chez ses jeunes l'espoir et l'amour de l'effort, il leur cède la piété et l'aumône. Faire prendre des rêves pour des projets à une jeunesse connectée à l'immédiat c'est faire prendre son avenir pour une aventure. Le chômage battant son plein n'est pas prêt pour se voir absorbé par une main d'œuvre étrangère. Le chinois, le turc, l'espagnol ont remplacé le profil de nos chômeurs versés dans l'aisance financière de la débrouillardise. L'informel reste le créneau le plus visible, le plus notoire, le plus connu et personne n'en s'alerte à la moindre mesure. Le commerce déchoit l'économie, le noir détrône la transparence. Tout ceci sous un œil fermé d'un Etat occupé à gérer une fausse stabilité croyant ainsi fabriquer un bien-être social.

Le mal demeure apathique face au bien, la charité s'assimile à de l'impôt, loin de s'identifier du moins à la zakat. L'imam est devenu un militant agrée par un Dieu qui n'en a nullement besoin , encore moins un prêcheur de la bonne parole ou l'un des milliers d'apôtres que le ciel en attribuait la mission, la muse et la source, alors que le ministre, demain président s'efforce de devenir à l'aide de chouyoukh visionnaires, l'imam ou le mahdi tant attendu. La religion sans trop de croyance devient un phénomène social qui fait crouler sous son impact toute les anciennes valeurs post-religion. C'est ce manque accru de dévotion qui dissémine l'essence des gens et c'est cette interprétation individualisée qui fait que chacun fasse de son avis sa propre religion. La mosquée n'en est pas exclue de ces contrariétés que vivent les fideles de concert avec les occasionnels, les sympathisants, les repentis, les nouvelles recrues, les enfants, les bébés. Tout un monde, qui par principe devait être synchronisé comme l'est la génuflexion, est cependant distrait, parfois déserteur de la raison d'y être. Je ne me ferai pas dire que la mosquée risque de se dresser en salle d'exercice physique et d'aérobic ou un simple abri chaud et douillet. Sans le retour à ses pudiques référentiels ce lieu de culte en sera ainsi.

L'école algérienne n'est en fait qu'un établissement obligatoire par défaut à tous nos enfants. Seulement certaines classes de certains autres sont ailleurs. C'est bizarre et plus que paradoxal que le discours des détenteurs du destin scolaire puissent affirmer les mérites et perpétrer les éloges à l'école nationale et dans les faits prendre ses préférences pour l'ailleurs comme une garantie de réussite, un management familial. Penser, dire et faire est une dure équation. C'est de cette école que sont nés les émeutiers, les rouspéteurs, les factieux, les désœuvrés et les candidats fuyards de nos jours. Elle est un temple malheureux.