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Quitter l'Opep, sortir de la Ligue arabe : est-ce bien raisonnable ?

par Cherif Ali

On croit, à tort, que l'Arabie Saoudite a un libre arbitre en matière de pétrole. C'est faux, car si les Occidentaux ferment les yeux sur les agissements rétrogrades de ce royaume-pétrole oblige-, rien ne peut se faire en matière de politique pétrolière sans eux.

Le pétrole, justement, et après avoir chuté de 100 à moins de 50 dollars, il est maintenant, plus ou moins, stationnaire, malgré le léger frémissement qui s'est produit sur les cours du baril, à la suite du décès du Roi d'Arabie. Devons-nous donc, nous attendre disent les experts, à ce que 50 dollars soit le prix plancher ou le prix plafond de la nouvelle fourchette de négociation du pétrole ? Loin donc des besoins de notre pays qui importe tout et de tout !

Cette situation, désastreuse, faut-il le dire, nous la devons :

1. à tous les gouvernements qui se sont succédés depuis l'indépendance et qui n'ont pas su ou voulu mettre en place une économie de substitution aux hydrocarbures.

2. à l'Arabie Saoudite qui est à la manœuvre, ce qui la rend moins sympathique à beaucoup d'algériens. La débâcle du pétrole est, non seulement voulue, mais également programmée et le rôle joué par Ryadh ne semble pas, en revanche, inspirer quelque ressentiment que ce soit, pourtant légitime, de la part des autorités algériennes pour ce coup de poignard dans le dos dont le pays aura à payer une lourde facture dans les prochains mois.

Depuis, l'Algérie commence à puiser dans ses réserves de change, dont le niveau a baissé de 4,1 % selon le Gouverneur de la Banque Centrale d'Algérie : 185,273 milliards de dollars fin septembre 2014 contre 143,269 milliards de dollars en juin de la même année. Le responsable financier tente de rassurer tout de même, en affirmant : « le ratio des réserves de change par rapport aux importations est supérieur à trois ans ! » ; oui mais en attendant l'hypothétique reprise du cours de pétrole, que faut-il faire avec ces réserves de change ? Il faut suivre l'exemple chinois préconise l'économiste Abdelkader Lamiri, c'est-à-dire « acheter des entreprises de haute technologie, (la Chine a acquis, par exemple, Volvo, IBM et CLUB MED) et les faire venir en Algérie produire les biens industriels, agricoles et autres services touristiques, que l'on pourra, ensuite, exporter ce qui permettra de réduire nos importations de plus de 40 milliards ». Facile à dire, sauf que l'Algérie n'est pas la Chine.

Ah, ces experts, depuis le temps qu'ils nous parlent d'économie alternative ! On entend le même refrain depuis 50 ans : on parle de créer une économie productive hors hydrocarbures, mais on n'a pas su l'ériger. Bouchouareb, Benyounes, Nouri et consorts en sont encore à discuter de la stratégie à mettre en place, sous la férule du patron du Forum des Chefs d'Entreprises (FCE), dans ce qui apparaît comme une « bipartite » qui ne dit pas son nom !

Les prix du pétrole ne vont pas connaitre une croissance à court terme. Ils peuvent, au contraire, connaitre une autre baisse, tant le marché connait actuellement un excédent de production et que la situation économique mondiale ne s'est pas estompée. Ceci, étant dit prédisent les experts, même avec une reprise, le prix du pétrole ne risque pas d'aller au-delà des 60 dollars en 2015. Mais que fait l'OPEP, s'interroge le citoyen lambda ? Elle n'agit pas ; elle se contente d'appliquer les instructions de l'Oncle Sam !

Avant, l'OPEP faisait peur à l'occident et du pétrole elle en a fait une arme redoutable ! Un exemple : la crise du pétrole en 1973 et l'embargo qui s'en est suivi envers les pays occidentaux, principalement, ceux soutenant Israël, provoque une multiplication par quatre du cours pendant cinq mois (17 octobre 1973-18 avril 1973). Par la suite, le 7 janvier 1975, les pays de l'OPEP se sont entendus pour augmenter le prix du pétrole brut de 10% !

Le succès de l'OPEP, et cela a été largement souligné à l'époque, émanait, principalement, de la volonté de l'Arabie Saoudite d'accepter de baisser sa production, lorsque les autres pays venaient à dépasser leurs quotas.

Mais ça, c'était avant ! Aujourd'hui, nous dit-on, l'OPEP ne peut plus protéger le prix du baril, en chute libre depuis janvier 2014. La déclaration émane du ministre de l'Energie des Emirats Arabes-Unis, Suhaïl Mezraoui, qui « estime nécessaire que la production de pétrole de schiste (celui-là même qui pousse nos citoyens du Sud à manifester) soit maitrisée ».

Ce qui a fait « monter au créneau » le président vénézuélien Nicholas Maduro, dont le pays souffre du fait de l'effondrement du cours de pétrole qui lui procure l'essentiel de ses ressources financières, tout comme l'Algérie ; après avoir obtenu un quitus d'Alger et de Téhéran, il s'est rendu à Ryadh pour proposer la constitution d'un « front des pays membres de l'OPEP et tenter ainsi de stopper la dégringolade des prix pétroliers ». Il lui a été opposé une fin non recevoir ! Il ne pouvait en être entièrement de la part de l'Arabie Saoudite, membre influent de l'OPEP qui a refusé que « l'organisation régule la distorsion qui s'est créée entre l'offre et la demande sur les marchés pétroliers en procédant à une réduction adaptée des quotas de production de ses Etats membres ».

Le refus des autorités de Ryadh, s'expliquait, selon les premières interprétations par leur volonté de « punir » la Russie, l'Iran et même l'Irak, pays avec lesquels elles étaient en confrontation. Pour ce faire, elles utilisent « l'arme géopolitique » du pétrole pour handicaper ses adversaires, les mêmes que ceux de ses protecteurs.

Depuis juin 2014, l'Arabie Saoudite joue en solo et fait fi de la solidarité qui a fait les beaux jours et la renommée de l'OPEP en 1973. Ce pays, laisse-t-on dire, aurait la capacité de supporter au moins 10 ans de prix bas et il a décidé donc de laisser jouer les lois du marché, lui qui s'en était privé plusieurs fois dans le passé. Seul le futur pourra dire s'il va laisser les prix chuter davantage dans le but de mettre hors d'état de produire les nouveaux venus américains dans l'industrie pétrolière, (une option avancée par les experts), ou pour combattre, une nouvelle fois, des ennemis idéologiques. Selon les spécialistes, le niveau jusqu'où descendra le prix du baril de pétrole apportera plus de réponses à toutes ces questions. S'il se fige au niveau actuel, les chances sont grandes que la Russie, le Venezuela, l'Iran, la Syrie voire l'Algérie aient été visés. Si au contraire, le baril descendait plus bas que 30$, on saura, affirment les mêmes spécialistes que c'est une véritable guerre des prix et que les producteurs américains sont aussi dans le collimateur des pays du golfe et à leur tête l'Arabie Saoudite.

Et dans les deux cas, l'Algérie est perdante !

Et au citoyen lambda de s'interroger : pourquoi alors, notre pays ne quitte-il pas l'Opep à l'instar de l'Indonésie qui, pour défendre ses intérêts, a claqué la porte de l'organisation en 2008, ou la Lybie qui, dit-on, s'apprêterait à prendre une décision en ce sens, tout comme le Nigéria, sans compter le Brésil qui a décliné l'invitation qui lui a été faite à l'époque du président Lula, ce dernier « estimant plus utile de garder le pétrole du pays dans son sous-sol, pour ne pas hypothéquer l'avenir des générations futures ».

A ce jour, les potentats du Moyen-Orient observent et disent ne pas pouvoir influer sur les prix. Les Saoudiens pourraient-ils maintenir des prix du pétrole uniquement en réduisant leur propre production ? Oui, mais dans l'absolu quel Etat accepterait de voir ses recettes budgétaires chuter de 40% pour rendre service à un autre Etat ?

La solidarité entre les Etats membres de l'OPEP, qui était leur raison d'être n'est plus ! L'OPEP « canal-historique » aussi ! Tout comme la Ligue Arabe.

Pour certains pays qui la composent, cette dernière ne sert à rien. On le savait depuis quelques temps, mais le fait a pris encore, plus d'évidence ; il est devenu flagrant après l'agression israélienne contre Ghaza. Les pays du Golfe qui dominent cette institution ne cachent plus leur volonté de la transformer en instrument des pays occidentaux. Les Palestiniens l'ont bien compris et ils n'ont compté que sur leur action propre et le soutien de nombreux amis, comme l'Algérie, pour faire des pas de géant dans leur lutte. Depuis le 29 novembre 2014, la Palestine est entrée à l'ONU !

Depuis, de nombreuses voix s'élèvent pour dire, haut et fort, qu'il faut quitter la Ligue Arabe incapable d'intervenir en Lybie où elle entretient le chaos, en Syrie où elle soutient, franchement, la rébellion ou encore au Yémen où sa voix ne porte plus. Le ministre Ahmed-Taleb Ibrahimi, ancien chef de la diplomatie algérienne est de ceux-là ; il estime dans des propos repris par un journal en ligne, « que la Ligue Arabe ne sert absolument à rien et qu'il est temps de tirer un trait ; les arabes, a-t-il dit, sont tombés dans le piège du sectarisme ; on parle maintenant de sunnite, chiïte et autres ». L'ancien ministre a souhaité, par ailleurs, que « les dirigeants Egyptiens dont le pays abrite la ligue, fassent preuve de hauteur et dépassent leurs crispations politiques et idéologiques et ouvrent les points de passage pour les ghazaouis ». L'Egypte, faut-il le dire a « phagocyté » cette instance régionale qui est à la solde des pays du golfe et de leurs « alliés » occidentaux. Si l'on excepte l'intermède du Tunisien Chadli Klibi qui avait assuré le secrétariat général de la Ligue Arabe pendant la durée où le siège avait été transféré à Tunis suite à ce qui a été considéré comme « trahison » de l'Egypte (Accords de Camp David ), cette organisation a toujours été entre ses mains. Il faut aussi rappeler la levée de boucliers de la part des Egyptiens et des autres membres influents, lors du sommet de la Ligue Arabe d'Alger, lorsqu'il a été question de réformer cette instance en mars 2005.

Et les charges contre la ligue Arabe, n'ont pas cessées pour autant ! Le quotidien gouvernemental libyen Al-Chams, par exemple, a rigoureusement dénoncé à la veille de l'ouverture du sommet de la ligue Arabe au Qatar, « la division entre l'Orient et le Maghreb Arabe ». L'article observe que « les pays de l'Orient Arabe sont des membres essentiels alors que les pays du Maghreb Arabe sont des membres invités, uniquement, pour atteindre le quorum et remplir les formalités de la réunion et de la charte de l'Organisation ». Al-Chams a appelé « les arabes de l'Afrique du Nord à couper ce lien imaginaire et cette illusion avec l'Orient arabe et à s'attacher au groupe 5+5 (regroupant les cinq pays riverains de la méditerranée d'Europe et d'Afrique) ; les intérêts au sein de ce groupe, écrit le journal de Tripoli, sont plus clairs, plus concrets, plus transparents et plus solides que les promesses falsifiées de l'Orient arabe et ses engagements qui ne se réalisent pas ». En Algérie, après Taleb Ibrahimi, c'est Louisa Hanoune qui donne de la voix lors d'un meeting tenu à Oran, pour dire que « l'Algérie ne tirerait aucun honneur à rester dans la Ligue Arabe « qui a autorisé la livraison d'armes à l'opposition armée syrienne ».

Le débat, comme on le constate, est ouvert :

1. Faut-il quitter l'Opep qui a vu ses murs se lézarder, sérieusement, qui n'en finit pas de compter ses divergences et qui roule pour les occidentaux ?

2. : faut-il sortir de la Ligue Arabe ?

Peut-on aussi et surtout parler de « divisions » entre pays du Machrek et pays du Maghreb ?

Oui à croire ces extraits d'un discours politique prononcé par un dirigeant Arabe qui a dit, sans ambages : (?) Il est vrai que ce qui unit les Etats-Arabes est bien plus important que ce qui les divise. Ces pays sont, en effet, unis par la force de l'histoire et de la civilisation, géographiquement, ils se compléteraient, naturellement, grâce aux ressources humaines et naturelles considérables qu'ils recèlent. Quant aux peuples arabes, leur unité est scellée par la communauté de foi, de langage et de culture, et aussi par les liens de sang, de fraternité et de destin partagé. La complémentarité est, certes là, mais peut-on parler d'union, tant il est vrai que chaque pays arabe est bien plus dépendant et tributaire de sa sous-région géographique que son appartenance à une communauté religieuse et culturelle ?

Et puis, culturellement, et en dehors de la langue arabe classique, quel lien pourrait-il exister entre des arabo-amazighs Maghrébins et des arabes-bédouins de la péninsule ? Peut-on dire, réellement, que l'arabe est un ciment, sachant que pas un seul arabe ne parle l'arabe classique dans la vie quotidienne, chacun ayant développé son dialecte, différent d'un pays à l'autre et d'une région d'un même pays à une autre ? (?)

 A toutes ces questions, on peut s'autoriser à penser déjà que :

1. l'unité arabe, depuis le temps qu'on en parle, ne soit qu'une chimère !

2. Elle est, très certainement, une nécessité stratégique, mais toutes les nécessités stratégiques ne sont pas, nécessairement, réalisables.

3. Il faut quitter la Ligue Arabe. Non, ce n'est pas raisonnable disent des internautes, nous ne pouvons pas nous permettre « pour le moment » de devenir l'ennemi numéro un de l'Arabie Saoudite et du Qatar.

4. Il faut réorienter notre diplomatie, changer de braquet, et regarder du côté des « Brics » pensent les uns, et surtout s'investir dans la sous-région qui est la notre pour renforcer la coopération sécuritaire et économique avec les pays africains comme le Mali, le Niger et le Sénégal, entre autres.

De ce qui précède, quelles conclusions faut-il en tirer ?

Economiquement parlant, il faut s'attendre à une année 2015 très difficile. On peut s'attendre, ensuite, en 2016 à une nouvelle baisse du prix du baril de pétrole, selon les experts. On peut s'attendre enfin, devant la baisse des recettes pétrolières à l'enterrement définitif de réformes longtemps reportées ou de projets si souvent différés.

A moins que le gouvernement annoncé, ne surprenne, par un programme économique salvateur dénué de démagogie et reposant sur plus de réalisme politique. Il n'est pas concevable, affirmait un économiste, que l'Algérie enregistre une baisse des IDE entre 2013 et 2014(1,8 milliards $ durant l'année écoulée contre 1,9 milliards $ en 2013), au moment où les pays de la région sont en proie à des troubles internes peu profitables pour des investissements. Le gouvernement, doit être capable, également, de prendre des actes courageux, comme ceux consistant à dénoncer le traité avec l'Union-Européenne, qui nous est si défavorable, ou décider d'un moratoire concernant l'exploitation du gaz de schiste afin d'apaiser les esprits ! Ceci pour dire que le prochain gouvernement est attendu avec impatience, au regard des défis qui l'attendent.