Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Comment maîtriser la peur de nous voir en pays émergent ?

par Abdelkader Khelil *

Si nous donnons l'impression de faire du « surplace », et que, malgré les moyens colossaux mobilisés, les résultats de notre dynamique de développement restent en deçà de nos espérances, c'est que visiblement nous sommes comme pris de panique et effrayés à l'idée que nous pouvons, nous aussi, franchir le mur de la peur si on voulait croire en nos capacités et à cet immense potentiel de ressource humaine mise en « jachère », de par la faute de ceux qui la craignent !

Oui ! Tout se passe comme si nous étions paralysés par cette peur de nous voir changer de statut pour devenir des citoyens d'un pays développé pour ne pas dire émergent et de pouvoir garder constamment ce statut en déployant un effort continu, alors que nous avons pris goût à la facilité, à l'assistanat et son corolaire la paresse. Et rien n'y fait ! Nous sommes tétanisés à l'idée que nous puissions ressembler un jour aux gens qui tirent leur revenu des activités réellement productives, en un mot à être appelés à vivre d'autres biens que de la rente pétrolière et gazière, c'est à dire du travail de la terre et d'autres métiers manuels, de nature à faire perler nos fronts en sueur, comme c'est le cas chez tous les autres. C'est pourquoi, nous continuons à tout faire pour retarder cette échéance, encouragés en cela par les dispositifs mis en place à travers les agences budgétivores de l'ANSEJ, de la CNAC et l'octroi d'autres avantages qui couvent tous ceux parmi nous, qui appréhendent les difficultés des taches pénibles et le « lève-tôt », c'est à dire tous les adeptes du gain facile.

C'est que nous sommes de toute évidence insuffisamment préparés à devenir productifs de par le confort bien qu'éphémère, procuré par notre statut de rentiers qui fait percevoir à chacun de nous un revenu à la faveur de la « location » de notre sous-sol aux multinationales et tout le monde y trouve son compte, tout en sachant que cette voie est porteuse de risques, parce que sans issue. Pas besoin de se « fouler la rate » ! Dans notre sommeil profond, l'État providence veille à notre bonheur, et nos gouvernants ne sont nullement pressés de déranger dans leur léthargie, les « marmottes » que nous sommes devenus, de cette « crèche » d'adultes à ciel ouvert, qu'ils ont pu faire de cette Algérie, juste pour avoir la paix sociale, à défaut d'être plus imaginatifs, plus exigeants vis-à-vis d'eux mêmes et de leurs gouvernés à travers un projet durable de développement réel !

LE PRIX ÉLEVÉ DU SOUCI DE PLAIRE !

Devenir productifs, ne consiste pas seulement à le décréter et à le décider ! C'est tout d'abord mettre entre parenthèse l'instant d'une mobilisation sans faille pour un sursaut salvateur et surtout durable: les chicaneries, les palabres stériles et sans fin, les animosités, l'invective, les faux problèmes et toutes ces tentatives grossières de clans et de groupes d'individus et d'intérêts communs, animés par des desseins pour le moins qu'on puisse dire, opaques, pas très clairs et certainement sans retombées positives, pour un pays qui se doit de corriger au plus vite sa trajectoire, en mobilisant toutes ses forces, et ses moyens sans exclusive !

Si nos gouvernants n'arrivent pas, ou ne veulent pas siffler la fin d'une « récré » qui n'a que trop duré pour s'engager avec détermination et sincérité dans la voie du travail correctement accompli en apprenant à se rendre utile à sa société, c'est que le « brouhaha » semble être l'option la plus confortable pour eux, et le maintien du « statu quo » - à défaut d'imposer une discipline qui rend chaque citoyen comptable de son apport à la collectivité nationale - leur permet de gagner la paix sociale, tant qu'ils auront encore quelque chose à distribuer, à ceux qui ne leur sont même pas redevables. Et c'est pourquoi, la gestion des affaires publiques reste fortement marquée par une approche de séduction pour ne pas dire de « corruption » du « petit peuple » sans qu'aucune contrepartie de travail ne soit exigée, et bien au contraire accompagnée souvent par cette ingratitude qui consiste : à défier continuellement l'autorité des pouvoirs publics, ou à porter atteinte aux symboles et institutions de l'État !

Mais jusqu'à quand, devrions-nous rester dans cette situation de léthargie, même si le recours à la dépense publique atténue quelque peu les effets pervers d'une telle pratique, qui pourtant n'empêche pas, que des routes soient constamment barrées et des pneus souvent brûlés, mettant à chaque fois dans la gêne les collectivités locales ? Il faut se le dire sans risque de se tromper, qu'aucun de nous et quelque soit sa compétence et/ou son expérience, ne peut détenir à lui seul la vérité qui éclaire la marche d'une nation vers son destin.

C'est là plutôt, l'affaire de tous ! Ce qui suggère forcément une prédisposition à l'ouverture au dialogue, à la consultation, à l'avis des femmes et des hommes de savoir, et la remise en question de certitudes arrêtées de façon dirigiste par les gouvernants, parce que l'évolution de toute société, ne peut se concevoir que dans un perpétuel changement qui sous-tend bien évidemment, une permanence dans la négociation, dans le dialogue et dans la recherche d'un consensus autour des questions majeures, déterminantes pour l'avenir et la de notre pays en tant qu'entité dont la souveraineté et la place dans la région et le monde seront défendues.

Sinon, comment expliquer qu'avec tous les atouts matériels et humains dont elle dispose, l'Algérie reste enlisée dans un sous-développement structurel, alors que des pays moins nantis enregistrent des progrès appréciables dans beaucoup de domaines ! De toute évidence, obnubilés qu'ils sont par le maintien de la « paix sociale » à n'importe quel prix, les pouvoirs publics ont peur du conflit, peur des arbitrages, peur des débats, peur de l'échec, peur de communiquer, et peur d'être ou de devenir impopulaires, de par le fait qu'ils soient obnubilés par ce souci de plaire à tout prix, même au risque d'être à contre courant de l'intérêt actuel et futur de toute la collectivité nationale.

Ils restent alors dans une fonction distributive de la rente à fonds perdus, sans trop songer à un lendemain fait d'incertitudes, puisque chacun réclame sa part comme par peur que tout soit pris par les autres ! Mais après ? Que faire quand il ne restera rien à distribuer de la carcasse Algérie, lorsque sa chair aura été totalement raclée par les « charognards », à ne rien laisser pour les fourmis ? Oui ! Visiblement nous sommes dans une impasse, et pas prêts de s'en sortir, parce qu'il n'y a aucun signe fort qui puisse nous le faire penser !

QUI A PEUR D'AVANCER RECULE ET NE PEUT PLUS SE RELEVER !

Cette attitude de « frilosité » revient très chère à notre pays, qui à défaut d'avancer, recule ! Alors ! Ne vaut-il pas mieux apprivoiser ses peurs, plutôt que de passer son temps à les fuir, et faire de la sorte grandir le courage, la ténacité et l'ardeur au travail productif ? Cette façon de faire, n'est-elle pas la seule voie responsable qui mène à la confiance en soi et à l'épanouissement de la personnalité algérienne qui s'est fortement dépréciée au fil du temps, et à l'ombre des largesses de l'État providence et de ses inconséquences ?

On prend peur quand il faut engager de véritables réformes pour une école sinistrée, et que les syndicats manifestent et prennent en otage nos enfants à la veille de leurs examens ! On prend peur quand il faut prendre des mesures pour remettre les gens au travail et améliorer le niveau de prestations de nos institutions tous corps confondus ! On prend peur quand il faut distribuer des logements, ou quand les gens manifestent et qu'il faille discuter avec eux, pour les convaincre ou pour mesurer le degré d'efficacité des réponses apportées à leurs préoccupations ! Oui ! Il faut finir par admettre, que nos peurs sont de mauvais guides lorsqu'elles prennent la barre de nos vies, s'érigent en style de gouvernance du compromis et nous empêchent d'avancer !

Mais après tout, y a t-il une vie qui vaille la peine d'être vécue sans peur ? Le stress qu'elle peut induire n'est- il pas dans certains cas, fort utile pour alerter d'un danger comme celui que pourrait faire naître l'exploitation du gaz de schiste par exemple ? Ne peut-il pas nous apporter l'énergie qu'il faut pour transcender nos angoisses et franchir l'obstacle de l'ouverture d'un débat national et une consultation d'experts nationaux la plus large possible, comme pour cette question cruciale et d'actualité, dont certains disent qu'elle peut engager les intérêts des générations futures ?

Si on tarde à le faire, nous sommes alors en droit de penser, qu'on veuille nous cacher des choses ! Mais de quoi s'agit-il, au juste ? Exerce t-on des pressions sur nos gouvernants pour rendre effective cette option énergétique si controversée ? Il faut bien qu'on nous l'explique ! Nous ne sommes pas des locataires de la « maison » Algérie, mais ses enfants qui ont grandement besoin de savoir, ce qui se passe chez eux, pour pouvoir vivre dans la quiétude de l'esprit apaisé et se mobiliser pour aller de l'avant ! Négocier des choses sans informer l'opinion publique, n'est sans doute pas un présage de bon augure !

Si l'eau est si importante pour un pays totalement inscrit dans l'aridité, alors forcément la probabilité quant à sa pollution devient une préoccupation légitime, d'autant plus que notre sécurité alimentaire est loin d'être assurée ! Par conséquent, l'ouverture d'un débat sérieux et non partisan s'impose comme premier pas que doivent faire les pouvoirs publics pour ramener de la sérénité dans les régions sensibles du Grand Sud, afin d'éviter que la grogne populaire induite par l'absence de communication, ne soit exploitée à d'autres fins, par des esprits pyromanes d'ici et d'ailleurs !

L'Algérie a trop souffert, pour prêter encore une fois, le flanc à tous ceux qui cherchent à la déstabiliser ! L'incompétence des uns, l'entêtement et la méprise des autres, nous coûtent chers et nous mettent en danger ! À trop vouloir jouer avec le feu, l'on finit par se brûler ! La sagesse doit être le seul guide dans ce type de dossiers sensibles, et l'intérêt national doit être au-dessus de toutes autres considérations, connues ou cachées.

Alors ! Oui ! Le courage, n'est pas d'ignorer les peurs motivées par cette question liée aux intérêts des générations futures, mais d'avancer avec elles, à partir de l'ouverture d'un débat conduit par un collège d'experts nationaux de haut niveau, d'ici et d'ailleurs, à la probité avérée, qui sauront défendre les intérêts suprêmes de leur pays, face aux appétits féroces de ceux qui risquent de nous entrainer dans une aventure périlleuse, ne plaise à Dieu.

C'est là une manière d'aller de l'avant sans se laisser paralyser, en prenant pas à pas le sentier du courage, qui place au-dessus de tout, l'intérêt national. Sans cela, nous resterons là, recroquevillés sur nous mêmes à consommer le peu qui nous reste de richesses, alors qu'autour de nous, tout le monde s'active pour s'assurer une place dans le concert des nations qui avancent, alors que pour nous, demain sera fait du sauve qui peut, vers un nulle part, tout étant par ailleurs verrouillé ! Mais rien n'est perdu ! Il faut juste se ressaisir, et marcher d'un pas résolu et avec détermination vers l'horizon d'un avenir meilleur !

LA LEÇON DE LA GUINÉE ÉQUATORIALE !

Après le refus du Maroc d'accueillir l'organisation de la coupe africaine des nations de 2015, le défi de Hayatou, président de la CAF a été de ne pas reporter cette grande manifestation sportive et a négocié avec plusieurs pays, avant de tomber d'accord avec la Guinée équatoriale, avec tout le risque que ce choix pouvait comporter. C'est qu'il voulait montrer au Maroc l'étendue de son tort, en s'engageant avec fermeté dans ce défi qu'il a voulu réussir.

La Guinée équatoriale, ce micro-pays d'à peine 778.000 habitants, soit l'équivalent de la population de Relizane, et d'une superficie égale à celle de la Wilaya de Naama, a du mettre à niveau ses infrastructures sportives, en ramenant du gazon d'Europe ainsi que de grands pylônes pour l'éclairage des stades de Mongomo et Ebebiyin, tout en assurant l'installation d'un réseau internet à haut débit et une couverture sanitaire, à hauteur de cet évènement continental, et tout cela dans un délai record de deux mois.

Le défi du temps a été donc relevé, et c'est là un second succès après celui du président de la CAF qui a assuré comme prévu, le coup d'envoi de cette grande manifestation continentale, en ce 17 janvier 2015, à Malabo.

Dans cette coupe africaine tout à ses débuts, l'on retiendra que si des succès ont été enregistrés, c'est parce que chacun à sa manière a vaincu sa peur. La première étant celle de différer cette manifestation sportive, la deuxième de ne pas être au rendez-vous. Tout cela pour dire, que l'importance n'est pas dans la taille d'un territoire et les richesses de son sol et de son sous-sol, mais dans la volonté d'hommes et de femmes déterminés à honorer leur pays.

Et cerise sur le gâteau, les reporters sportifs nous ramènent le témoignage d'une population éduquée, faisant patiemment la chaine à l'entrée du stade sur 200 mètres, sans bousculades ni violences et sans intervention des services d'ordre, comme si chacun se sentait concerné par l'image de son pays. La Guinée équatoriale qui à surmonté l'handicap de la peur de l'échec renvoie au monde qui la regarde, l'image d'un peuple qui a montré une détermination à relever un grand défi, même s'il est vrai que la posture de son président qui arrive à la 8ème place dans le Top 12 du classement des dictateurs dans le monde, laisse un arrière goût d'amertume.

Mais ce n'est pas là l'objet de mon propos ! Mon inquiétude à moi est de voir que l'Algérie, alors que quatre vingt cinq fois plus grande en superficie, cinquante fois plus peuplée, mieux équipée et nettement plus riche, aurait été dans l'incapacité à pouvoir relever un défi similaire, même si elle était il n'y a pas si longtemps, l'exemple africain par excellence dans ce genre de défi. Il faut croire que bien des choses ont changé depuis !

Dans l'hypothèse de l'organisation de cette fête africaine chez-nous dans les délais impartis à la Guinée-équatoriale, c'est à dire juste deux mois, cela aurait donné lieu à des morts et des blessés comme à l'habitude bien avant le coup d'envoi, juste au niveau de l'autoroute et des guichets. Il m'attriste de dire, que nous sommes très loin en termes de standards de civilité, et nous avons ici, la preuve que la pauvreté et le chômage ? comme indiqué dans le tableau ci-après -, ne sont nullement des explications plausibles pour justifier le comportement de nos jeunes, particulièrement au niveau des stades.

Alors merci à toi peuple Équato-guinéen, pour avoir souligné de la sorte, toute l'ampleur de notre déficit en matière de comportement sociétal, qui nuit à l'image de notre pays ! Notre égo et notre vanité légendaire en prennent certainement un coup, mais c'est là, une triste vérité ! Abstraction faite du cadre dictatorial qui veille à un déroulement tout au moins acceptable de la fête, la leçon donnée par la population mérite d'être retenue.

Si l'on s'était fait peur de la même manière, en mettant un plus de « Nif » et moins de « l'san touil » et de vanité mal placée, l'aménagement du stade du 5 juillet n'aurait pas trainé en longueur, et avec les moyens matériels et humains nettement plus importants que ceux de nos amis Équato-guinéens, l'on aurait pu mettre à niveau les infrastructures sportives dans les mêmes délais, pour accueillir cette édition de la CAN, d'autant plus que les capacités d'hébergement sont nettement suffisantes, ce qui aurait été aussi, un véritable challenge pour la relance du secteur du tourisme, qui continue à justifier son incapacité par des questions de foncier, celle de l'insécurité n'étant plus crédible.

Alors ! À défaut de cela, la peur toujours présente dans sa face négative, fait dire aux gestionnaires du secteur des sports, que nous ne pouvons être prêts, qu'à l'horizon 2017. Oui ! Avec nous, Hayatou aurait certainement perdu son pari ! Quelle honte pour notre pays, que cette leçon nous soit donnée par ce micro-pays qui mérite pourtant, tout notre respect ! Pour tout cela, je souhaite de tout mon coeur, qu'une médaille du mérite soit discernée à titre de récompense à ce peuple qui a bravé sa peur, tout en donnant la meilleure image de lui même ! Cela fait déjà très longtemps, que les Algériens ont perdu ce réflexe de gens civilisés !

Alors imaginons l'instant d'un rêve que nous soyons pris de peurs fécondes, salvatrices et mobilisatrices, mais dans notre cas : de ne plus pouvoir payer nos factures alimentaires, de l'éventualité d'une pollution de la nappe albienne, de la disparition de tous les métiers, du départ de ce qui nous reste de ressource humaine, de ne plus pouvoir assurer une couverture énergétique, de ne plus pouvoir soigner correctement nos concitoyens, de ne plus assurer les retraites de nos cheveux blancs et bien d'autres choses.

Face à cela, que faut-il alors faire ? Dans une sorte d'appel d'offres national, il faut d'abord recruter hors des canaux habituels fonctionnant selon les principes éculés et non productifs de quota, d'équilibre régional, de copinage et d'allégeance, des cadres supérieurs de la nation d'ici et d'ailleurs, frappés du sceau : de la probité, de l'intégrité, de la moralité et de la compétence, capables de relever les défis sous-tendus par nos peurs, dés lors que les budgétivores qui se sont jusque là succédés à la tête de nos institutions, et à quelques rares exceptions, ont beaucoup plus brillé par leurs attitudes de gaspillage et de prédation des deniers publics, que par leur contribution à augmenter des valeurs ajoutées mesurées en taux de croissance et de bien être pour notre pays! Oui ! Notre angoisse collective ne peut-être atténuée que par des femmes et des hommes de valeur, qui sauront mettre leurs savoirs au service d'un développement à hauteur des ambitions d'un pays, qui se doit d'être émergent.

* Professeur