Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La tectonique des plaques

par Bouchan Hadj-Chikh

En peu de mots, cette évidence, si les plaques terrestres bougent, c'est que, en dessous, la pression exercée sur le magma a besoin de libérer une énergie accumulée. C'est le principe même des révoltes populaires. Elles ne naissent pas dans l'opulence partagée. Ni d'une génération spontanée. Elles ont un fondement. Les policiers ne sont pas dirigés vers le siège du pouvoir pour rien. Ni que, ce que l'on a nommé patriotes, ont décidé d'une démonstration de force comme ça. Les premiers se pensaient brimés. Les seconds oubliés. Aux uns et aux autres, des promesses ont été faites. Dans l'urgence.

ON NE GOUVERNE PAS DANS L'URGENCE

Ce qui nous uni ce n'est ni le patriotisme, ni l'amour de la patrie qui sont innés. Ce qui fait de nous ce que nous sommes, c'est le manque de suivi des affaires. Oh, bien sûr, nous avons, de temps à autres, des idées lumineuses. Mais elles durent ce que durent les bougies allumées. Ces bougies qui, si on n'y veille pas, si on ne leur prête pas attention, peuvent mettre le feu à la maison Algérie. Nous ne savons pas attendre, nous dit-on. Attendre quoi ? Que le temps passe et que l'on passe à autre chose ? Qu'un autre feu s'allume pour servir de contre-feu au précédent ? L'on mette sous les coudes les récentes manifestations dans le M'zab pour se préoccuper des agents de l'ordre, puis des patriotes, des enseignants et demain, d'autres secteurs qui ne se sentent pas au centre des préoccupations des décideurs ?

JUSQU'OU ? JUSQU'A QUAND ?

Fait-on attendre le patronat quand il suggère des mesures dites incitatives pour prospérer davantage ? Non. On suit le dossier pas à pas. L'un d'eux, parmi les plus visibles en termes de déclarations publiques, n'a rien trouvé pour justifier ses investissements à l'étranger, en Italie pour dire les choses, que de nous assurer que l'argent de tous permettra de relancer une unité de production hors du territoire mais que nous en profiterions, qu'il y aura des retombées sur la création d'emplois dans le pays. En clair, nous sèmerons en Patagonie ou dans le Frioul pour notre bonheur à tous. On disait cela de l'Union Soviétique quand elle semait en Ukraine et récoltait le blé au Canada. On se marrait alors, ne sachant pas encore ce qui nous attendait.

D'un autre coté, l'élection du président du Patronat donna lieu à une cérémonie d'intronisation à laquelle des ministres, et non des moindres, ont assisté. Je ne pousserai pas la plaisanterie jusqu'à dire « pour prêter allégeance » au nouveau pouvoir. Celui de l'argent. De la finance. Dont l'origine n'est pas clairement déterminée.

DUR CONSTAT

Lorsque des spécialistes veulent se pencher sur ces questions, toutes les questions, économiques, sociales et politiques, ne serait-ce que pour rendre compte de l'état des lieux et se demander où allons-nous, les arcanes de la bureaucratie se réveillent et flamboient. Cette bureaucratie devient étonnement tatillonne, craintive, « soucieuse de l'intérêt général » pour étouffer les voix qui s'élèveraient, non pas pour appeler à la révolte, mais seulement pour éclairer ceux que l'on voudrait bien croire -parce qu'il nous arrive d'être indulgent et bonne pâte ? pour nous éviter de nous fourvoyer dans une impasse. Alors ces spécialistes se taisent. Et lorsqu'ils trouvent les canaux pour s'exprimer, c'est à se demander si les responsables les lisent, considèrent leur point de vue, leurs mises en gardes.

 Il en est qui militent. A leurs manières. Lors d'échanges informels. Bons citoyens, ils veulent se mobiliser en « cercles » de réflexion. Et là, la bureaucratie, dans toute sa splendeur, se réveille pour « classer sans suite les demandes ». Sans justification. Sans raison. Sinon à nous renvoyer, entre nous, « off the record », hors enregistrement comme disent les anglo-saxons, aux textes officiels que jamais la représentation nationale n'aurait voté si elle représentait la volonté de dialogue et de démocratie.

Un pays c'est une vision. Une politique. Son intervention sur le plan international est la traduction parfaite de sa politique nationale. En ce qui nous concerne, il y a comme un iatus. La participation de l'Algérie à la traversée pacifique des turbulences que risquait de connaître la république sœur de Tunisie aurait été décisive, nous dit-on. Sa contribution à contenir les troubles en Libye, à rechercher une solution est appréciée. Nous sommes convoquées aux frontières sud pour aider à une solution dans les pays touchés par le terrorisme et nous nous en tirons bien, semble-t-il.

DIALOGUE EST LE MAITRE MOT AU-DELA DE NOS FRONTIERES

Le vide démocratique. L'Union Européenne s'invite donc dans le vacuum et propose des sommes importantes pour lancer des Organisations Non Gouvernementales favorisant une vie d'échanges entre les citoyens. Des citoyens dont elle dessine les contours politiques et les objectifs. Faut-il s'en effaroucher ? Dépoussiérer nos patriotisme et nationalisme pour dénoncer cette ingérence ? Ce que nous fîmes. Dans un bel ensemble. Et fort justement. Et au final ? Qui les arrêtera ? Combien d'Organisations « citoyennes », avec ou sans guillemets, vivent, se rencontrent, proposent et agissent ? souvent de très bonne foi ? sans les autorisations nécessaires à leur existence ? Elles sont nombreuses, oui. Dans le vide qu'elles voulaient remplir. Et qu'elles remplissent, souvent, dans l'illégalité selon les critères arrêtés et les blocages.

Elles surgissent du néant et marquent leur existence lors de coup de force. Comme les policiers et les patriotes. Comme au M'zab et ailleurs. Si elles n'étaient profondément nationalistes, elles auraient vendu leurs âmes à ceux qui ne demandent qu'à les encadrer. Financièrement. Tactiquement. Ouvrant toute grande la porte de la violence dont nous sortons à peine. Et que nous réprouvons.

TRISTES TOUT CELA

Il serait raisonnable que la constitution d'une association, qui ne recevrait pas d'autorisation des autorités quatre vingt dix jours après la date de dépôt du dossier soit considérée comme légale. Et légitime pour demander et obtenir les soutiens et financements (public et citoyens) pour opérer. Dans la plus grande transparence. Et le contrôle approprié. Pour libérer les énergies emprisonnées et nous éviter les violentes réactions de la tectonique des plaques sociales dont tout le monde sent les frottements sous les pieds. Avec angoisse.