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Chronique d'une explosion annoncée

par K. Selim

Notre confrère El Khabar a fait état, hier, d'un rapport documenté envoyé par des élus locaux et des notables aux autorités centrales du pays sur les risques d'explosion sociale à cause de l'accaparement du foncier à Touggourt par les puissants. Les éléments d'information du rapport dont le journal a fait état sont édifiants et consternants. Ils donnent une image parfaite d'une République à bout de souffle où les plus forts, ceux qui ont des «entrées», se pressent pour partager les dépouilles. Les élus et notables l'avaient, selon l'auteur de l'article, adressé au Premier ministère et au ministère de l'Intérieur en guise d'avertissement : l'accaparement du foncier à Touggourt est devenu une menace grave à la paix sociale.

Le rapport avait été envoyé quatre semaines avant l'explosion vécue vendredi à Touggourt où une manifestation de protestation sur la RN 3 a basculé dans l'émeute. Et où deux jeunes Algériens ont trouvé la mort. Le rapport dont fait état notre confrère aurait pu, sans hésitation, être titré : «Chronique d'une émeute annoncée». Cela dépasse la fiction romanesque. On a tous les ingrédients d'un film explosif. Des Algériens, nombreux mais sans entregent dans l'administration et le pouvoir local et national, qui attendent une problématique distribution de lots de terrain à bâtir et qui constatent de visu qu'on ne leur laisse plus aucune surface. Plus aucun espoir. Des gens dans l'administration, des élus de l'APW jusqu'à l'APN et le Conseil de la Nation qui se font octroyer des lots de terrain au nom de « l'investissement industriel»?

L'accaparement, par le pouvoir et la relation du pouvoir, dans tout son éclat. Le tout se passe de manière quasi ouverte, avec l'arrogance de ceux qui pensent qu'ils n'ont rien à craindre de l'Etat. Car ils pensent qu'ils sont l'Etat ! Une situation bloquée où les perdants, les laissés-pour-compte n'ont plus de solution que de couper la route pour se faire entendre par l'Etat. Ces mouvements de contestation comportent toujours un risque de casse et de dérapage. Et à Touggourt, les esprits étaient profondément choqués et indignés par cette capacité sans limite des « riches» et de ceux qui disposent d'une parcelle de pouvoir de s'approprier le bien commun. De tout privatiser «entre eux». Le rapport dont fait état notre confrère est explosif. Il reflète une situation politique assez répandue qui fabrique d'énormes rancœurs chez les classes populaires. C'est un rapport qui devrait normalement enclencher de manière automatique une procédure judiciaire.

A Touggourt, le ministre de l'Intérieur a annoncé le limogeage du chef de daïra et du chef de la sûreté. Il a, dans une mesure d'apaisement, annoncé l'élargissement des manifestants détenus. Il a également annoncé le déclenchement d'une enquête administrative. Ceux qui sont en charge de cette enquête devraient se procurer ce fameux rapport des notables et des élus sur l'accaparement du foncier. Ils pourront découvrir, déjà, comment une population est violemment provoquée par ceux qui sont dans les «bons» carrefours du système, comment une information disponible sur la menace à l'ordre public ne suscite aucune réaction préventive. Et peut-être, déjà, réfléchir tous à la dangerosité d'un système qui commence trop dangereusement à ne donner qu'aux riches.