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Des chaînes, une éducation pour tous

par Rachid Brahmi

« Après le pain, l'éducation est le premier besoin d'un peuple » (Danton)

L'émission prochaine (1) par la télévision publique de cours de soutien pour les élèves de deux classes d'examen, afait l'objet d'un accord signéentre le ministère de l'Education nationale (MEN) et celui de la Communication qui mentionne que trois heures de cours seront diffusées chaque semaine sur la chaîne 5.

Si l'on oublie cette mesure tant annoncée, dans les tiroirs maintenant classée, celle qui devait doter chaque élève d'un PC, et en attendant le cahier numérique et les autres outils de formation à distance, cette diffusion est réconfortante si elle ne constitue qu'un prélude à son élargissement à court terme, car elle demeure nettement insuffisante, comme nous le verrons ci-dessous. Ces cours de soutien télévisés constitueraient donc un bon palliatif, puisque l'investissement s'y afférent paraît le moins coûteux, une initiative qui pourrait remédier partiellement et temporairement à des carences, dont celles manifestes de la formation de formateurs.

Notons d'autre part, que l'enseignement télédiffusé (2) dans le monde avait débutédès 1945, sinon avant. Pour l'anecdote, des cours de « géographie » composés de films et illustrés par des cartes, croquis et graphiques ont été télédiffusés, durant l'année scolaire 1951-1952, par la France coloniale et se rapportaientà ses multiples colonies, dont l'Algérie. Avant de revenir sur ces émissions TV pour les candidats au BEM et au baccalauréat, il est probablement utile d'évoquer quelques points de la définition opérationnelle fournie en 2007 par l'Unesco(3), celle de l'éducation de base, dite également l'éducation pour tous (EPT), prônéepar les instances internationales, à travers des textes adoptés par l'Algérie notamment.

Il y est spécifié alors, que l'éducation de base est gratuite et obligatoire, sans discrimination aucune ni exclusion, et s'étend sur 9 ans au minimum pour atteindre progressivement 12 ans. L'EPT est « offerte aux jeunes et adultes qui n'ont pas eu la possibilité d'obtenir ou compléter une éducation de base à l'âge approprié ».« L'éducation de base prépare l'apprenant à une formation avancée, à la vie active et à la citoyenneté.Elle doit satisfaire aux besoins éducatifs fondamentaux, y compris apprendre à apprendre,apprendre à écrire et à compter ainsi que la connaissance d'éléments scientifiques et technologiquesdans leur application à la vie quotidienne. Elle doit atteindre le plein épanouissementde la personne humaine. Elle développela capacité à la compréhension, à l'esprit critique, et inculque le respect des droits de l'homme etdes valeurs humaines, la solidarité, la tolérance, une citoyenneté démocratique, le sens de la justiceet de l'équité ».Voilà donc quelques points de la définition de l'Éducation pour tous.

Nous pouvons également relever que « l'EPT est un engagement global visant à assurer une éducation de base de qualité pour tous les enfants, jeunes et adultes » et que l' un des six objectifs clés à atteindre d'ici à 2015, comme préconisé par l' Unesco, consiste à« Améliorer sous tous ses aspects la qualité de l'éducation dans un souci d'excellence de façon à obtenir pour tous des résultats d'apprentissage reconnus et quantifiables - notamment en ce qui concerne la lecture, l'écriture et le calcul , et les compétences indispensables dans la vie courante. »

Il faudra noter ici, pour ce qui est de l'Algérie, qu'en dehors des trois ministères (l'Education nationale, l'Enseignement Supérieur et la Formation professionnelle), constituant ce qui est appelé de coutume, le système éducatif, les missions éducatives relèvent également, d'autres institutions telles celles à caractère culturel, sportif et autres. En d'autres termes, une EPT nécessite la pleine implication d'autres structures, puisque , brièvement définie, l' éducation consiste à élargir un ensemble de connaissances et de valeurs morales, physiques, intellectuelles et scientifiques, de façon à développer la personnalité de l' individu et l' intégrer socialement.        

Pour revenir à ce volume de trois heures hebdomadaires des cours de soutien, si nous consultons le site du MEN, l'on apprend alors, dans le cas où les informations y sont actualisées, qu'il y a six(6) filières en troisième année secondaire, dont celle de Technique mathématiques subdivisée en quatre sous-filières. On peut dire en fait, que nous avons neuf classes de terminale différentes, ou neuf branches, même si l'on retrouve parmi elles, des matières communes pondérées avec le même coefficient à un point près. D'autre part, le volume horaire hebdomadaire d'enseignement, oscille entre 29 et 36 heures, et si nous rajoutons la classe unique de quatrième année moyenne où il est indiqué onze matières enseignées, nous nous retrouvons, au total, avec dix programmes différents, soit dix branches à soutenir par ces enseignements télévisés. Sinon, le MEN comptabilise seize matières enseignées, pour les diverses branches, sans compter l'éducation physique.

Comment dès lors, est-il possible de combler les lacunes des établissements scolaires qui dispensent au moins 29 heures d'enseignement pour chaque branche,et seize matières enseignées au total, en trois pauvres petites heures de cours télédiffusés pour les dix branches réunies ?Et comment sectionner les 3 heures d'enseignement télévisé entre les seize matières ? Et puis même si ces cours de soutien ne portent que sur les matières fondamentales, ces dernières restent encore nombreuses (4), leur assimilation nécessitant plus de trois heures de soutien.

De surcroit, certaines matières ne sont pourvues d'enseignants, que de façonirrégulière ou tardive, dans certains établissements tel que connu et reconnu. En outre, il est clair que cette initiative ne va pas réduire de manière significative les cours privés dans les caves qui font saigner les parents d'élèves et corrompre la conscience de certains enseignants. C'est une augmentation franche du volume des cours de soutienqui peut alors pallier à des carences.

Sinon, un syndicat d'enseignants s'est demandé « comment est-il possible que des pays en guerre (Syrie, Irak?) possèdent des chaines thématiques réservées exclusivement à l'éducation et qui émettent 24H /24 alors que chez nous dans un pays en paix et de surcroit très riche, on nous annonce que ces cours auront lieuseulement Mardi et Samedi et ne débuteront qu'à partir de janvier ? ».

Ce qui est souhaitable et qui peut certainement remédier, à un moindre coût, aux besoins éducatifs d'une population jeune dans sa grande majorité, et parer à maints dysfonctionnements telsla livraison tardive d'infrastructures scolaires ,ou la mauvaise gestion du temps pédagogique dans les établissements, c'est de réserver une chaine à plein temps , à l'éducationnationale, c'est-à-dire à tous les élèves sous la tutelle du MEN. Car tout examen est le résultat de tout un cursus, d'un processus continu d'apprentissage, mais pas seulement d'une année de bachotage à la Pavlov.

Il s'agit en outre, de penser à d'autres personnes dont celles exclues du système scolaire qui voudraient reprendre leurs études, leur intégration ne pouvant être que bénéfique pour la société.En effet, si nous considérons les apprenants d'autres structures éducatives, tels les centres de formation professionnelle, le centre national d'enseignement à distance semblant utiliser surtout les moyens classiques de formation, l' université de la formation continue (UFC ) qui dispense des cours au volume réduit pour les travailleurs, le centre national d'alphabétisation, et puis les formateurs et autres adultes qui ont eux aussi, besoin d'un recyclage permanent, il ne fait aucun doute alors, que plusieurs chaines thématiques éducatives relèvent d'une nécessité qui pourrait bien répondre par ailleurs , aux exigences d'une EPT, d'autant plus que nous sommes à quelques semaines de 2015, cette année où l'Unesco espère atteindre six objectifs , dont l'un a été cité plus haut.

Alors que les besoins en matière d'éducation sont énormes, comment se fait-il donc, que sur cinq chaines TV publiques et nationales, diffusant des programmes communs, sinon similaires, aucune d'elle n'est réservée à la thématique éducative ? Par ailleurs, on pourrait toujours envisager de faire appel à la contribution des nombreuses chaines TV algériennes privées. Nous croyons savoir aussi, que l'Algériedispose de trois stations de radio nationales, deux stations thématiques, une internationale et 46 autres stations régionales, soit 52 au total, dont aucune n'est consacrée à l'éducation, alors qu'ailleurs, des émissions radiophoniques scolaires avaient eu lieu dès les années trente ?

En vertu des recommandations de l'Unesco évoquées ci-haut, et nonobstant le contenu des programmes, les méthodologies et les défaillances de l'école algérienne, le tout apparemment en cours d'études , et en attendant la réduction sensible de la fracture numérique, pour mieux asseoir une éducation pour tous, il faudrait donc, non seulementplus de trois heures de cours de soutien, pour ces deux classes d'examen, mais également plus qu'une chaîne de télédiffusion, avec un renfort conséquent de la radiodiffusion.

Pour les enfants, pour moins de déperditionsscolaires, pour les analphabètes, pour la formation continue et le recyclage, pour les exclus, les détenus à réintégrer, pour les recalés, pour les candidats libres, et pour d'autres,il est question d'exploiter à fond les réseaux de communication disponibles et opérationnels. Sachant les ressources existantes, il faudra plus qu'une chaîne éducative, pour un pays libre qui refuse d'être enchainé, agenouillé, en cette époque où «L'éducation est l'arme la plus puissante qu'on puisse utiliser pour changer le monde » comme l'avait si bien dit Nelson Mandela.

(1) L'APS avait annoncé que cette diffusion débutera « à partir de janvier prochain » , alors que le site du MEN précise qu'elle sera lancée le 20 décembre 2014 sur la cinquième chaine de l'ENTV (TV Coran) et concerneles candidats aux examens du BEM et du baccalauréat.

(2) http://www.lamaisondeclaudine.com/?cat=22

(3) http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001833/183370m.pdf

(4) En comptant au pifomètre, il n'y a pas moins de dix matières fondamentales pour les seules branches de terminale réunies soit : Math, génie électrique, génie mécanique, génie civil, génie des procédés, Arabe, français, autres langues étrangères, philosophie, sciences naturelles et sciences physiques.