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Meurtre par décret et ordonnance et pot-de-vin

par Mimi Massiva

La santé des Algériens est de plus en plus à l'image de celle de leur pays. Malades ou en bonne voie de l'être toutes générations confondues. Il ne faut pas compter sur eux pour une quelconque révolution hivernale encore moins printanière. Il ne faut pas compter sur des statistiques non officielles pour savoir où est passé le sida, combien d'enfants le cancer tue, combien de bébés échappent à la vaccination, combien d'erreurs médicales sont commises, combien de médicaments, d'aliments, de vêtements, de produits frelatés, nocifs circulent en toute sécurité etc.

Il faut compter sur les statistiques officielles pour se rassurer que le sida n'a jamais existé chez nous, le cancer n'a tué que celui que Dieu a bien voulu rappeler auprès de lui et idem pour les erreurs qui sont kif-kif avec le mektoub. Seule la perfection est divine. N'oublions pas la fameuse main étrangère qui manipule une presse harki heureusement marginalisée par la majorité. Tout est javellisé et le produit star de la masse c'est bien la bouteille de javel. Mais qui sont ces énergumènes à bout de souffle qui se bousculent dans les salles d'attente, des soins, des consultations, des analyses, des pharmacies, de la poste le jour de paie, des consulats et de leur contraire, la barque du clandestin ? On ne va pas à l'étranger pour visiter les musées, mais souvent pour se soigner dans un Val-De-Grâce pour sans-papiers ou pas trop cher, consulter un toubib qui au lieu du « que Dieu vous guérisse » préfère « je ferais tout mon possible pour vous guérir ». Conscient qu'à la moindre erreur, il ne pourra pas incriminer le diable. Acheter un médicament introuvable, pas trop trafiqué, respirer un peu de chlorophylle, de propreté, histoire de dépolluer les poumons le temps d'une évasion au royaume des citoyens. En Algérie, on a singé la grenouille qui voulait être aussi grosse que le bœuf et qui a oublié d'éclater, résultat, elle continue à enfler mécaniquement. Question : où est passée la grenouille ? Ne cherchons pas, elle a disparu en nous laissant les moustiques qui se gavent de notre sang été comme hiver malgré la santé florissante de l'industrie «anticancéreuse» des insecticides. Plus on va au médecin plus on est malade, plus on va chez le dentiste plus nos dents pourrissent. Plus on dit qu'on aime l'Algérie plus on la quitte sans le dire. Le grain de sable a atteint le cerveau. Exemple 1 : Début octobre 2014, nous sommes au centre d'une grande ville à quelques dizaines de km d'Alger, un endroit où ont fleurit beaucoup d'intellectuels, de m'as-tu-vu et diplômés de l'or noir. Il est 7h du matin dans un laboratoire d'analyses, moderne efficace et numérisé jusqu'à l'inévitable télévision écran plat branchée sur Jazzera-doc. Il y a foule sous la surveillance du veilleur de nuit bon chic bon genre à l'image des malades qui attendent patiemment le personnel soignant qui arrive à 8h et quelques minutes. L'ambiance est fébrile, pas de jetons, à chacun sa débrouille dans cet aquarium aseptisé désespérément étroit. Il n'y a même pas d'horaires affichés encore moins les tarifs comme partout d'ailleurs. Il n'y a que la pub et le documentaire sur les animaux qui n'arrive même pas à distraire les enfants. Personne ne sait donc s'il est en retard ou en avance.

Heureusement les toilettes trônent au centre, flamboyantes tel un billet de 2000 dinars. Le hic : aucune goutte d'eau même pas dans la chasse d'eau. Vous pensez alors à votre grand-mère analphabète qui n'a jamais entendu parler de Pasteur, qui puisait son eau à une source martyrisant ses pauvres pieds abimés, ayant toujours un seau d'eau propre à l'endroit où l'hygiène est indispensable surtout quand vous le partagez avec des malades. On ne sait pas si une grande télé écran plat coûte moins cher qu'une réserve d'eau. Quelques bouteilles en plastique remplies d'eau courante auraient fait l'affaire surtout que le commerce semble bien rentable. Personne ne proteste, les W. C sont là, c'est l'essentiel. Alger s'est bien débarrassé en douce de sa décharge en l'offrant à Boumerdes qui a construit sa nouvelle maison écolo à sa porte pour souhaiter la bienvenue à ses visiteurs. Soyons optimistes, pour des gens qui ont déjà dit adieu à leur santé, un microbe de plus ou de moins?Mais c'est le pessimisme qui noircit les feuilles, tape sur le clavier surtout quand on nous dit que le propriétaire du centre d'analyses médicales est un microbiologiste. Exemple banal. Partout où il y a foule, il y a manque d'hygiène d'oxygène d'organisation, un personnel dépassé, blasé, méprisant s'il n'est pas indifférent. Les victimes sont condamnées au silence et à la queue leu-leu. Dans le pays du voile et de la virilité c'est souvent des femmes, ces « codées inférieures » qui sont mises en première ligne pour épargner les « Précieux », ces hommes qui détiennent le pouvoir absolu à tous les niveaux. Invisibles, injoignables, en réunion en mission pour le bien de la Nation. Quel que soit leur pedigree, ces travailleuses forment un décor idéal. Impossible de les questionner sans se ridiculiser, de les bousculer sans en payer le prix, car elles appartiennent à une servitude supérieure. L'affaire Khalifa, le Procès de l'Algérie indépendante, le juge était une femme, juridiquement mineure à vie. Un scénario réglé comme un feuilleton brésilien avec en finale larmes et soulagement. Dans ce laboratoire d'analyses, on ne parle pas d' « indigènes », on parle de patients qui sont généralement des cadres, des couples au double salaire, des commerçants bien établis, des bénéficiaires d'une solidarité familiale, ceux qui se soignent hors système public qui ne carbure qu'au piston et bakchich. Pourtant, chacun à sa spécialité pour affoler la tension de ses patients, booster leur diabète, les mettre en liste d'attente d'un asile ou aplatir carrément la courbe de leur encéphalogramme.

Le privé avale la paie du smicard en une seule bouchée, mais il n'a pas d'ordinateur sans réseau, de matériel d'ambulance en panne, de médecin absent ou en train de roupiller, de pénurie de coton, d'alcool... Nombreux s'y précipitent parce qu'ils n'ont pas le choix quitte à vendre les derniers louis en or hérités de l'aïeule et échappés à la Caisse de solidarité ( Sandouk tathamoun) de Ben Bella. Vendre la voiture qui assure le pain quotidien, s'endetter, faire la quête à la mosquée, braquer une banque même si elles sont conçues pour être braquées de l'intérieur. Un vaccin pour bébé gratuit dans le public s'il a la chance d'en bénéficier, atteint au privé le salaire d'un smicard d'un retraité ordinaire et 3 à 4 fois la pension d'un handicapé. .. Les Chinois qui sont les plus nombreux se méfient de la foule surtout dans le domaine santé. Ils pensent qu'un médecin qui a trop de malades est un mauvais médecin. Pour les disciples de Confucius, un bon toubib prévient la maladie, s'il est obligé de la soigner c'est qu'il a failli. Chaque année, des milliers de publications apparaissent sur les bienfaits de cette médecine plusieurs fois millénaires ainsi que celle de l'Inde avec le phénomène yoga. 2000 ans avant Pasteur, les sages indous avaient tout compris du corps humain et ce n'est pas par hasard qu'on trouve chez eux la fameuse tribu himalayenne, loin de toute civilisation, n'ayant jamais connu la maladie y compris la fièvre. Des études cliniques dans les années 1990 ont conclu que 75 % des consultations chez le médecin sont dues au stress qui est un facteur de risque plus grand que le tabac que dire du % après 2008 et ceux qui échappent à la thérapie officielle par le suicide. 25 % des malades abandonnent leurs médicaments en cours de traitement et 14 % ne prennent même pas la peine de les acheter. D'après le Journal of American Medical Association, 40 % des Américains se soignent régulièrement avec les médecines parallèles forçant plus de 2 sur 3 facultés à ouvrir ses portes à la thérapie asiatique jusqu'à obliger la sécurité sociale et les mutuelles à suivre le mouvement. Loin de cet esprit « rationnel », de ce souci aveugle de la rentabilité, les yogis sont restés fidèles à la leçon simpliste de leurs ancêtres : tout le mal vient du ventre, cet organe complètement occulté par la médecine moderne jusqu'à ce qu'on prouve qu'il contient 80 % des cellules qui protègent des maladies. Et l'inverse, c'est-à-dire qu'il est la cause généralement de toutes nos maladies.

À la fin du 19e, le docteur autrichien Franz-Xaver traitait systématiquement toutes les maladies de ses patients en soignant le ventre malgré leurs protestations. Au fur et à mesure que cet organe se désintoxiquait, les autres maux disparaissent comme par miracle. Le ventre est notre second cerveau affirme un spécialiste d'anatomie et de biologie cellulaire, Mickael D. Gershon ( The Second Brain). Donc nos aliments produisent des toxines qui sabotent notre santé. On ne meurt plus de faim, mais de malbouffe. Ces poisons de moins en moins onéreux, importés des poubelles de l'étranger qui inondent depuis les années 1990 nos magasins nos marchés souks et supérettes. Les vieux ont souvent meilleure santé que leurs enfants et leurs petits-enfants n'ayant jamais connu la famine et habitués généralement aux blouses blanches dès le ventre maternel. Dans son livre Corruption et démocratie en Algérie, Djillali Hadjadj écrit dans « la mafia de la santé : « les gouvernants successifs, soit qu'ils aient visé des objectifs irréalisables, soit qu'ils aient cédé aux charmes dorés de l'économie mafieuse, ont mené jusqu'à aujourd'hui une politique sanitaire sans rapport avec les besoins et les possibilités du pays.

Les Algériens, dans leur grand nombre, sont victimes de ces « errements » ». Il précise qu'en 1988, le code de la santé a été modifié et dès 1990 apparurent les épidémies, les « obstacles à l'accès des soins », les magouilles en tous genres qui n'épargnèrent même pas les bébés : lait infantile infecté par des streptocoques fécaux « au vu et au su des autorités sanitaires concernées ». La mafia de l'alimentation et la mafia de la santé se sont découvertes sœurs siamoises. Un père de famille lambda se voit obliger par manque de moyens de goinfrer ses rejetons de friandises fabriquées par des machines et conçues dans des laboratoires à des milliers de kilomètres. Donc au moment même où les terroristes remplissaient les cimetières, la santé des Algériens se dégradait par décrets ordonnances et pots-de-vin. Ajoutons à tout cela, l'impossibilité de recourir comme les Indous et les Chinois à une médecine des Anciens. Les causes : environnement pollué, espaces verts cimentés, forêts brûlées saccagées ou accaparées, montagnes infestées de terroristes au propre et figuré où jadis fleurissaient les plantes, ce doux remède naturel sans contre-indication. Ajoutons la liquidation d'un savoir pour cause de concurrence. On a bien brûlé des sorcières durant le siècle des Lumières en Europe alors qu'elles étaient en réalité des guérisseuses. Une menace pour une médecine rationnelle en gestation, mais pleine de promesses. Pourtant, préserver la santé de ses sujets c'est possible puisque des pays mis en quarantaine depuis des décennies comme Cuba, l'Iran ont réussi ce pari. Ce qui montre que s'il y a volonté politique, les buts sont réalisables sauf l'immortalité. D'après les lois de l'esclavage, le maitre doit veiller à la santé de son esclave, question de rentabilité. À l'occasion du 60e de la Révolution, Al Jazeera doc a eu pour notre Boumediene les yeux de Chimène pour le Cid. C'est pourtant ce nouveau héros d'Al Jazzera qui a détruit une agriculture auto-suffisante qui alimentait même l'Europe. Au slogan « c'est permis de tout interdire » de Boumediene, Chadli l'a remplacé en copiant maladroitement celui de mai 68 : « c'est interdit d'interdire ». Quand on passe d'une température extrême à une autre, les cailloux explosent que dire d'un fragile corps humain. Parlant de l'époque ottomane E. Vayssettes écrit dans l'Histoire des Derniers Beys de Constantine : « l'Arabe courbé sous le poids du plus brutal despotisme, oublia entièrement les productions de l'intelligence, pour ne songer qu'à soustraire ses biens ou sa vie à la rapacité des oppresseurs? »Quel recul en ce 21e siècle où l'Algérien continue à se courber et a oublié de soustraire ce qui lui restait de biens, de vie à la rapacité de l'oppresseur et par dépit se mue en oppresseur de plus oppressé que lui. Exemple 2 : Nous sommes à quelques pas de la daïra de la même ville, à quelques mètres de la wilaya dans le seul endroit ouvert pour les soins un vendredi matin. La foule a déjà rempli la salle déborde le hall d'entrée et noircit les escaliers qui bordent la chaussée. Il est 9h30 et les cris d'un bébé brûlé à la jambe déchirent les tympans.

Depuis une heure qu'il patiente sagement dans les bras de sa maman, d'autres avant lui ont eu leur accès de « rage » avant de se calmer. Enfin apparaît la déesse, dédaigneuse, ni bonjour ni excuses. Quelqu'un, sans doute un émigré ose : « pourquoi vous êtes en retard ? La « messie » fulmine : « Les transports? On ne m'a pas donné un logement? Je ne vais pas dormir ici?» Rapidement, un agent arrive en renfort en cas d'attaque de la meute. Ils sont partout ces vigiles dont le seul boulot est d'occuper l'espace autour de l'unique fonctionnaire en service. L'homme se retrouve seul, la masse se regroupe aplatie autour de ses puissants adversaires. Depuis trop longtemps elle a intériorisé son infériorité à la rendre génétique. Pire c'est elle qui jettera la première pierre en cas de lynchage... Exemple 3 : La femme a été bien malade, toute pimpante, elle retourne chez son docteur comme convenu après la fin du traitement, carte chiffa en main. Elle est en surpoids pour ne pas dire obèse comme la majorité des femmes algériennes aujourd'hui.

À peine 20 ans et déjà un corps vieux de plusieurs décennies, empoisonné par des aliments non « cuits » comme disent les yogis c'est-à-dire non digérés non expulsés depuis des années. Vers la fin de la visite, elle profite pour lui demander un certificat en double parce qu'une âme charitable lui a conseillé de faire du sport. Le docteur se contente de signer pour 800 dinars en expliquant que la carte chiffa c'est pour les soins pas pour le sport qu'il juge sans doute une lubie de bonne femme fantasmant sur les starlettes des séries télé. Stupeur et déception, la somme représente plus de la moitié d'un mois de cours. Elle paie et jette une fois dehors la paperasse désormais inutile. Le sport est devenu un luxe même dans les écoles où le poids des élèves ne cesse de croitre avec la vente, à portée de leur main et de leur argent de poche, des friandises : chips bonbons biscuits chocolat et fruits secs en paquet périmés à l'emballage. En Indonésie, une population de 250 millions une densité de 940 habitants par km2, 6 religions reconnues et une économie bien diversifiée c'est-à-dire compliquée à gérer, en janvier 2011 d'après Le Jakarta Post, le vice-président a lancé une campagne nationale contre la « gourmandise » des petits « indonésiens ». Il s'attaque à ces friandises en déclarant que « 40 % ne répondent pas aux normes de santé nutritionnelle ». L'Indonésie, le pays musulman le plus peuplé, l'Etat va jusqu'à utiliser le football pour lutter contre le sida où les bébés ont du lait frais où les vaccins sont fabriqués d'une façon autonome etc. Avec 16 habitants au km2, 38 millions d'habitants une superficie uniforme et presque deux fois plus grande, une économie et une société « monoculture », le « vice-président » algérien peut en faire autant avec mille fois plus de facilité et de temps libre. Seulement il n'existe pas pour se soucier de la santé de ses sujets. Il n'existe pas pour s'inquiéter de la santé des Algériens, encore moins de celle de leurs rejetons. Le bénéfice est justement dans leur mauvaise santé. On ne sait même pas quelle mouche a piqué le ministre qui a un jour fait campagne contre le sachet noir qui existe toujours et gratuit en plus.

Que faire à part se plaindre et prier ? « Si on ne peut bouger horizontalement, on bouge verticalement. »Le ciel est avare concernant les miracles surtout pour ceux qui attendent tout de lui. Face à un avenir de plus en plus incertain, aujourd'hui dans les pays occidentaux les gens s'organisent pour vivre différemment malgré la fiabilité de leur système social. Contre l'individualisme, la solitude, ils ont mis au point les logements inter générations où chacun a un service à rendre et une aide à offrir quel que soit son âge. Des logements participatifs ont vu le jour au Canada où les familles mettent en commun les moyens et les compétences dont elles disposent etc. Ils réinventent la tribu qui a su traverser les millénaires en toute quiétude. Avec le réchauffement de la planète, les experts conseillent la diète avec moins de sucre et de graisse c'est-à-dire de malbouffe. Vivant sur une planète hostile, les Algériens, ces orphelins d'un Système normal, devraient méditer sur ces initiatives. Ils n'ont le choix que de se reformer de l'intérieur. Pour l'extérieur c'est déjà trop tard puisqu'ils ne peuvent même plus différencier un opposant d'un supporter au Pouvoir : clonés tous les deux à partir de la même cellule. Encore moins un député d'un SDF : tous les deux ont besoin d'un logement et d'un crédit à zéro intérêt?