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Grenoble et notre feuille morte

par Kamel Daoud

Faut-il écrire sur la énième hospitalisation de Bouteflika en France ? Presque non. La maladie de ce président est tombée dans le domaine de l'anecdote. On y retrouve le casting de nos misères et banalités : un hôpital français, un démentit algérien, une ambulance, quelques TV et un nombre d'articles lassés, mêlant astrologie, analyse et observation des horizons. C'est que cette affaire a lassé : elle n'est ni vie, ni mort, mais une routine. La fonction présidentielle ne garde, de son emploi ancien, que la figure figée de ce monsieur, recevant des étrangers pour prouver qu'il y a une vie, après sa maladie, au reste du monde et pas à son pays. Quand à nous, Algériens, enfermés et suspendus par les pieds à nos astres, on s'est accommodé de cette régence, par défaut, assurée par un premier ministre, entouré de quatre autres premiers ministres dont un homme d'affaires, un frère, un Général repêché et un Kabuki, devenu patron du FLN. En Algérie, on a regardé les TV françaises nous parler d'une affaire qui ne nous concerne presque pas. Ici, ce ne fut pas un événement, ni un non-évènement. Mais quelque chose de l'ordre du cycle et de la vie des feuillages : ils viennent, s'étalent, se consomment d'attendre puis se rétractent vers l'éternité. En conclusion, depuis Chadli, on a compris que l'on n'a plus besoin de Président mais seulement de son adresse postale. Même la question de l'après est devenue secondaire : il n'y a pas de vie avant la mort, pourquoi s'interroger sur une vie après la mort ? Après Bouteflika ? On ne sait pas : on va, seulement, continuer, mâcher, marcher et chercher puis rentrer au soir. Le pays est un point d'eau, pas un forum de civilisation : on va presque suivre les puits de pétrole comme les ancêtres suivaient les sources. Il y a eu annulation du peuple et de la Présidence. Au profit de qui ? Une entité aveugle qui dévore et se défend, maquis obscur, une société anonyme avec des actionnaires que l'on change ou déchois. C'est un Pouvoir mou et sourcilleux, maquisard par essence, occulte par mystique de l'autorité. Alger n'a jamais été Capitale au fond, juste un maquis. L'espace d'un Katibat à l'ancienne où le pseudo a des noms de Roi.

Donc, ce ne fut pas un événement. Il est parti, il s'est allongé, on l'a soigné, il est revenu. Entre temps rien n'a bougé : ni nous, ni le temps. Seulement le sable. Il a dessiné un désert. Puis nous nous sommes, tous, endormis.