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La séquence de Grenoble

par K. Selim

Des centaines de milliers d'Algériens d'ici ou d'ailleurs savent désormais qu'il existe un journal français nommé Le Dauphiné Libéré. Un canard qui a raconté des choses algériennes qui se sont passées à Grenoble durant ces dernières 48 heures mais dont on ne trouve nulle trace dans les télévisions publiques du pays. Même ceux qui ne connaissent rien à la communication sont ahuris par la manière dont l'Etat algérien a décidé de ne pas gérer l'information sur la présence du président Bouteflika dans une clinique à Grenoble. Croyait-on vraiment à Alger que cela passerait inaperçu ?

Le journal régional français a fait son travail, il a eu «l'info». Et comme beaucoup de personnels de la clinique se sont occupés d'une manière ou d'une autre de cette visite d'Etat, ce n'est pas vraiment une prouesse. Cela reste un scoop, le début d'une séquence où l'information, toute l'information, était donnée de France. Et pendant qu'à Alger, des sources «proches» démentaient l'évidence, les médias français et aussi Reuters multipliaient les détails sur la présence de Bouteflika. On aura eu droit à toutes les sources possibles, de la police qui s'est chargée d'assurer une sécurité voyante devant la clinique à une confirmation par une «source gouvernementale française».

Sur les télévisions et sur le net, les responsables algériens avaient, en continu, la preuve qu'ils ont fait le mauvais choix de ne pas informer. Mais personne n'a été en mesure de reprendre le fil en main. C'était pénible pour de nombreux Algériens qui ne comprennent pas qu'on puisse être aussi léger avec la notion d'Etat. Hier, des télévisions algériennes privées «étrangères» et très «sources proches» persistaient encore dans le déni. En affirmant avec un incroyable aplomb que le chef de l'Etat était à Alger alors que les télévisions françaises montraient le convoi «du président Bouteflika» en train de quitter la clinique. Ces «nouveaux médias» ont fonctionné sur le mode classique de l'entêtement absurde : «oui, c'est une chèvre, même si elle vole».

La prestation de ces TV algériennes-étrangères est si grotesque qu'on en arrive à trouver des qualités au silence de l'absent de l'ENTV et de l'APS. Après tout, se taire est moins grave que de dire des énormités démenties en direct par des télévisions qui ont installé leur caméra devant la clinique d'Alembert qui, elle aussi, a gagné une célébrité et une pub gratuite. On en arrive à regretter ce bon vieux communiqué langue de bois qui fait enrager les journalistes. Après tout, même s'il ne dit presque rien, il donne l'info basique sur le lieu où se trouve le président et vaguement ce qu'il fait.

Les services de presse gouvernementaux du pays savent faire ce genre de communiqué ultra-minimaliste depuis l'indépendance. Certes, ces communiqués langue de bois n'empêchent pas les spéculations. Mais celles-ci sont encore plus massives quand on est devant une dissimulation d'autant plus contreproductive qu'elle est devenue impossible. On aurait pu épargner à l'Algérie cette séquence qui nous rappelle un sketch de Fernand Raynaud intitulé «Ne me parle pas de Grenoble». Oui, on aurait pu éviter d'avoir à en parler !