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Riches, mais pour quoi faire ?

par Ahmed Farrah

Incroyable ailleurs, mais pas dans l'Algérie de tous les antagonismes, stérile mais aussi procréatrice, tout de même ! L'ostentation, l'exposition et l'étalage de ce que possèdent aujourd'hui les nouveaux riches sortis de nulle part, dans un pays qui ne sait que flamber le combustible que la nature a mis des millions d'années pour le faire : c'est ahurissant et sans limite, tous se servent, même ceux qui se sont fait allouer le droit, de l'adopter. La tirelire suffit à tout le «grand monde», ils prennent sans intérêt, mais ne rembourseront quand même pas! Pourquoi le feront-ils, ils ne sont pas les seuls à se mettre pleins les panses, d'ailleurs ceux qui thésaurisent la pomme de terre le font aussi : tout est à leur honneur! Hier encore, Ils vivaient dans l'indigence la plus totale : dans l'exigüité et la promiscuité, mal vêtus, mal chaussés, mal nourrit, illettrés, souvent ruraux et en très mauvaise santé. La raison est connue et ne demande pas à être démontrée, c'était l'Histoire et la colonisation !

A l'indépendance du pays, les Européens, pour la plus part d'entre eux, ont quitté la terre d'Algérie pour des raisons plus au moins objectives : pour eux c'est selon, ont laissé leurs biens, vacants : avaient-ils le choix ? Surement pas, mais pas pour tous ! L'Histoire devait impérativement apporter des correctifs et rendre Justice aux damnés qu'étaient les indigènes, les terres agricoles récupérées et exploitées en autogestion par des paysans; la grande distribution, les manufactures, l'industrie, les entreprises, les banques, les assurances, les salles de spectacle, etc... furent nationalisées. Un basculement civilisationnel de la société s'est opéré à ce moment là, suite à la reprise en main par l'état embryonnaire, de l'administration et de l'outil de production de richesses. Le choc violent, dû au rattrapage du seuil correct de la qualité de vie et de la dignité retrouvée, a grisé tant de monde et a modelé un nouveau spécimen, l'héritier logique, par la force des choses et l'ayant droit.

Les privilèges compensatoires assimilés à des butins de guerre par leurs bénéficiaires, ont créé deux collèges de citoyens avec des ressentiments et rejets plus au moins extériorisés en retour. Des villas, appartements, bars et bistrots, commerces, etc... ont été cédé en concession puis en propriété, par la loi à leurs occupants. Grâce aux royalties puis à la rente pétrolière, l'état a créé les grandes entreprises nationales qui ont fait le plein emploi aux algériens au détriment de la logique économique. L'économie était encastrée dans l'état gestionnaire qui a commencé à ce moment là, à redistribuer la rente, pour instituer une sorte de justice sociale. Ce système avait ses limites ; il a engendré la bureaucratie, les passe-droits et l'enrichissement frappant et inexpliqué d'une certaine catégorie de citoyens aux commandes des affaires publiques, les apparatchiks étaient nés. Le temps d'une mi-temps, la faillite économique mise au grand jour, la dette extérieure faramineuse, la brusque chute du prix du baril de pétrole en 1986, a fait basculer le pays dans le cyclone des années rouges et noires. Des centaines de cadres gestionnaires sont passés devant la justice, les uns écartés les autres internés ; les entreprises fermées puis cédées à l'exemple du complexe sidérurgique d'El Hadjar. Une pratique nouvelle est apparue à grande échelle, celle de la caste des importateurs tout azimut. Depuis l'avènement des «réformateurs» des années 1990, les ports algériens n'ont cessé de recevoir les milliers de conteneurs: de meubles, de médicaments, de produits agroalimentaires, de matériaux de construction,? et de voitures, d'engins, de machine, de pacotilles..., venant surtout d'Asie et plus particulièrement de Chine.

Aujourd'hui, la production nationale se limite seulement, à quelques usines de montage des kits importés pour réduire les taxes douanières à leurs importateurs, mais chose positive, créent l'emploi et transfèrent le savoir faire. Les puissances de l'argent montent, les groupes d'intérêt et les lobbies entrent peu à peu dans la sphère de la politique, et deviennent incontournables et influents.

A chaque étape son Golden Boy, le premier est dans sa geôle, les autres sont encore des Silver Boys, ils n'ont pas de banques ni de compagnies aériennes, mais ils ont beaucoup de Dollars. L'oligarchie clonée à la russe étend sa toile comme la tarentule, finalement rien ne s'invente tout s'importe même les idées qu'ils n'ont pas. La suspicion le ressentiment et le rejet de l'entreprise privée, a été tellement ressassé durant des décennies, que c'est ancré dans la mémoire collective des algériens, qui vivent une contradiction insensée et ubuesque mais qui s'explique, détestent le privé et adulent la société de consommation. Ceci réveille les vielles rancœurs et l'anticapitalisme issu du nationalisme anti-colonial et anti-féodal qui fait que l'autorité publique (Beylicat) doit toujours s'imposer à l'intérêt privé, ce qui perpétue l'illusion du sentiment de l'algérien nabab dans son pays. En 1962, il était impossible de poursuivre l'option capitaliste sans les colons qui détenaient le capital, contrairement à aujourd'hui, où il n'est plus possible à l'état d'avoir le monopole de la gestion de l'économie à cause des conflits d'intérêt insidieux, qui ont vu le jour suite à l'accointance du monde «politique» avec les affaires. Les richesses amassées durant les années fastes, sont titanesques et très apparentes (la partie émergée de l'iceberg), souvent placées à l'abri dans les paradis et l'immobilier ici et ailleurs sous d'autres pavillons.

En Algérie le culte de la richesse a affaibli l'état au lieu de le rendre fort, prospère et puissant, contrairement aux Américains? qui ont une tradition capitaliste créatrice de richesses. L'Américain est fier de participer à la prospérité de son pays par ses impôts, finance l'art, la culture, reconnaissant envers l'université où il a fait ses études, crée des fondations, participe à des actions caritatives et fait le mécénat etc... L'Algérien s'il le fait, c'est souvent pour tranquilliser son âme et sa conscience en finançant le sacrée, les nécropoles et en épargnant pour l'au-delà; en faisant des dons pour construire et équiper les mosquées, cimetières etc. Quel est cet entrepreneur algérien qui a institué un prix littéraire ou scientifique ? Connaissent t-ils ce que c'est que le mécénat ? Savent t-ils au moins donner ? Pas l'aumône et non plus au football récupérateur, mais pour l'intérêt général, sans rien attendre en retour !

«En Dieu nous croyons» : «In God we trust» devise inscrite sur le billet vert, sacralisant le Dollar et confirmant l'admiration de la réussite et des chefs d'entreprises créateurs de richesses, vénérés et héros aux yeux des Américains (Les Bill Gates, Steve Jobs, Larry Page, Mark Zuckerberg,? aujourd'hui et Ford,? hier), honnis en Algérie, assimilés à des vampires, parasites et cupides. Et comment ne le seront-ils pas ? Quand dans la réalité une entreprise privée fait travailler des diplômés universitaires dans le cadre du dispositif d'insertion des jeunes payés par le trésor public (15000 Da) !

L'injustice serait juste, si ces nouveaux riches savaient être des patriotes économiques et créateurs de richesses pour rendre le pays qui les a faits, prospère et développé.

Le salut ne viendra ni du ciel, ni du politique : viendra t-il de ces nouveaux riches ? On l'espère, mais de ceux qui ont du respect envers la culture, la science, le savoir, l'universalisme de la pensée et la morale intellectuelle ! Pas de ceux, dont l'infirmité culturelle est manifeste, l'attitude rétrograde et l'immaturité cérébrale ridicule ; ceux là, ne seront que les serviles des richesses qu'ils ont amassées, qu'ils gardent comme des vigiles momifiés et qui ne les emporteront pas avec eux dans l'autre monde ; comme le faisaient les Toutankhamon, Akhenaton et autres Pharaons, parce que ce n'est plus l'époque et leurs noms ne seront jamais retenus par l'Histoire.