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Chroniques politiques françaises

par A. Benelhadj

" Le meilleur moyen de tenir sa parole est de ne jamais la donner. " Napoléon Bonaparte.
 
La France fait l'actualité du continent. Avec cette question lancinante : le pays malade de l'Europe va-t-il précipiter l'Union dans une crise majeure à côté de laquelle, celle de la Grèce ferait figure de galop d'essai pour amateurs de sensations fortes ? Les " performances " françaises mettent en péril la solidité de la construction européenne, menaçant la clé de voûte que constitue le lien franco-allemand, aux limites de la rupture.
 
L'exécutif français accumule en effet tous les revers avec une sérénité qui ne cesse d'intriguer : celle d'un apprenti sorcier qui ne semble se préoccuper ni de son avenir politique, ni de celui de son parti, ni de celui de son pays. Personne n'imagine un retournement économique et financier qui redonnerait au Président et à son Premier ministre une crédibilité perdue. Du moins pas dans des délais raisonnables. Personne ne propose d'expliquer cet entêtement par une profonde conviction patriotique - que les " élites " tiennent pour définitivement surannée-, qui subordonnerait la réussite personnelle à celle du pays.
 
Hollande, plus qu'un échec, un abus de confiance.
 
Le scénario est maintenant parfaitement connu.
 
Hollande s'est fait élire en louvoyant entre des questions complaisantes et des réponses évasives. Aucune parole, aucun mot ne devait compromettre l'inéluctable éjection d'un gouvernement Sarkozy dont personne ne voulait (sur tout l'échiquier politique, des extrêmes aux extrêmes).
 
D'une certaine manière Hollande est arrivé au sommet de l'Etat, en passant par les " primaires " socialistes, dans le plus grand anonymat, sans programme, ni CV idoine, ni lettre de motivation, incolore, inodore, sans saveur, seulement bardé d'un sourire angélique virginal.
 
Mais tous les observateurs attentifs, qui se sont souvenus de sa longue gestion des courants à la tête du PS, connaissaient le savoir-faire de l'architecte roué et vorace qui n'avait qu'un seul objectif, arriver à l'Elysée et un seul programme, continuer l'œuvre de Sarkozy, sans Sarkozy.
 
Quelques semaines à peine après la publication des résultats, le roi est apparu cynique dans toute sa nudité. Avec de surcroît le blin-bling qui fait les choux gras des tabloïds européens, dont on croyait Sarkozy posséder l'exclusivité.
 
En cela, il partage avec Obama, chef de guerre, improvisé Nobel de la Paix, quelques traits d'un singulier profil : soft et séduisant à l'extérieur mais terriblement dur, froid et résolu à l'intérieur.[1]
 
Le royaume des éphémères.
 
Au fond, à en observer l'évolution sur les 30 dernières année, la situation de la France se distingue par une grande clarté : le paysage politique français est très riche en opposants, mais dramatiquement pauvre en majorités stables. Désormais, les Français ne votent plus " pour ". Ils votent " contre ".
 
Il s'ensuit que les gouvernements alternent - sans alternatives, comme un peu partout en Europe - au rythme des déceptions et des amnésies populaires.
 
Même les institutions de la Vème République (passablement érodées sous les mandats de Chirac et de Sarkozy) s'avèrent incapables de conforter la légitimité constitutionnelle par une légitimité politique. Et la Vème, comme beaucoup se sont résolus à le constater après le résultat étriqué du vote de confiance réclamé par Valls II, suivant les nombreuses déconvenues électorales socialistes, commence à ressembler à la IVe.
 
De ce point de vue, l'avènement de Hollande représente une prouesse : il n'a pas attendu les " visiteurs du soir " et deux années pour mettre en œuvre une politique opposée à ses promesses électorales.
 
Contrairement aux analyses qui dominent le monde des commentateurs patentés, l'Elysée n'a pas changé de cap : dès 2012, il a continué à administrer un dilemme impossible de contraintes internes (nécessité d'une croissance impossible) et de contraintes externes (nécessaire respect de critères issues des pactes monétaires européens de Maastricht à Lisbonne). Les conséquences demeurent les mêmes que sous le précédent quinquennat.
 
Pêle-mêle : déflation, croissance en panne, hausse du chômage (500 000 chômeurs de plus depuis 2012), démantèlement des pactes collectifs, déficits commerciaux et budgétaires record, croissance de l'endettement, désindustrialisation et délocalisations, pertes de part de marché, creusement des inégalités de patrimoine et de richesses produites…).
 
C'est bien simple : Hollande n'a depuis deux ans et demi aucune bonne nouvelle à offrir à ses concitoyens.
 
Cependant, si le Parti Socialiste est promis à des défaites cuisantes (certaines mauvaises langues prédisent même sa disparition, annonçant la fin de cycle issu du Congrès d'Epinay), le paysage politique de l'opposition - y compris à gauche - ne baigne pas dans l'euphorie.
 
Dernier événement en date, le " retour " de Sarkozy - ignorant le très sage conseil de Mme Chirac le dissuadant de briguer la tête de l'UMP pour entièrement se consacrer plutôt aux futures présidentielles, accentue des divisions qui valident la formule maintes fois brandie en semblables circonstances : la " Droite la plus bête du monde ".
 
Tout semble favoriser le futur avènement du Front National à la tête du pays à la faveur des prochaines échéances.
 
Et pourtant rien n'est moins sûr.
 
Le Font National ne peut pas gouverner en France.
 
"… l'extrême droite et Marine Le Pen sont aux portes du pouvoir !", a lancé M. Valls dans un discours prononcé à la Fête de l'Unita à Bologne (Italie), dimanche 07 septembre dernier. Oubliant au passage, de souligner la contribution active de la politique de son parti à cet avènement annoncé.
 
Naturellement, comme ses prédécesseurs, le Premier ministre joue là d'un vieux procédé et utilise le FN comme un épouvantail, en particulier à l'intention de ses propres troupes qui s'inquiètent et se rebellent à l'Assemblée Nationale : " Ce sera moi ou le chaos !".
 
A bien y réfléchir, le fait que Hollande se cramponne aujourd'hui à sa chaise, aux crochets des institutions de la Vème République que son parti a toujours combattues (cf. Mitterrand et son " Coup d'Etat permanent "[2]), arrange le Front National qui n'est pas encore prêt pour accéder aux leviers de commande et y rester.
 
Il n'est pas dans l'intérêt du FN de parvenir à court terme au pouvoir, aussi fortement qu'il le désire et le désirent ses électeurs. La dissolution, tout le monde en parle, mais au fond personne ne la souhaite. Ni les socialistes qui seraient laminés, ni la droite éclatée.
 
Le Front National n'a ni programme évaluable, ni structures, ni réseaux pour administrer le pays. Tout son succès lui vient du rejet de la politique de ceux - de droite et de gauche - qui ont administré le pays depuis des décennies. En cette époque de forte instabilité des gouvernants, la question comme on l'a vu est moins d'arriver aux affaires que d'y demeurer.
 
A l'exception notable de la réussite économique de l'Allemagne qui garantit à la chancelière (mais pas à ses alliés libéraux, ce qui a rendu nécessaire un gouvernement d'Union CDU-SPD) une longue période de grâce que lui envie tous les autres gouvernements d'Europe et d'ailleurs. A un Poutine près dont la popularité tient à d'autres raisons il est vrai.
 
Le parti de Marine Le Pen a besoin de temps.
 
1.- Le temps de se constituer un réseau d'élus et de conseillers municipaux, généraux, régionaux. Contrôlables, compétents et expérimentés. Les cadres actuels du Front sont trop jeunes, impulsifs et pas assez aguerris.
 
Le succès a une contrepartie difficile à gérer : un parti attrape-tout qui ramasse tout le bric-à-brac des déçus dépenaillés du hollandisme et du sarkozysme. Tous ces électeurs trompés n'ont ni le même profil, ni les mêmes objectifs, ni les mêmes intérêts.
 
Régulièrement, des élus ou des adhérents qui imaginent déjà leur parti aux affaires, baissent leur garde et ruent dans les brancards, défrayant la chronique par des déclarations intempestives. Ce qui oblige le parti à les renier et à se défaire de ses brebis galeuses.
 
Les dérapages médiatiquement calculés de Jean-Marie Le Pen ne sont pas du même tabac, même s'ils procèdent d'une tactique désormais répudiée par sa fille[3]. C'est peut-être pourquoi il n'y a plus de plaintes déposées contre lui. Ses adversaires préfèrent le silence à la publicité entourant les procès qui amplifient l'audience de ses frasques et celle de ses idées.
 
2.- Le temps de se débarrasser des dinosaures de papa Le Pen et des cadavres historiques dont il a plein de placard : la fidélité aux années 40 et aux guerres coloniales, en particulier aux reliques de la " Guerre d'Algérie ".
 
Le problème de Marine et de son compagnon est que la plupart des politiques qualifiés du parti qui connaissent les ficelles du métier gravitent dans l'orbite de son père et sont par conséquent difficiles à accommoder à des compromissions auxquels ils ne peuvent souscrire, même si on les fait patienter derrière les rideaux, même si on les persuade de ce que la stratégie se paie d'une tactique et d'une communication " hétérodoxes ".
 
Régulièrement, la presse se fait l'écho d'altercations violentes qui secouent les coulisses du FN. Jean-Marie, président d'honneur du Front, prend conscience du marché de dupes auquel il a consenti : l'honneur ne pèse rien sans le pouvoir du président. Mais avait-il réellement le choix ? Il avait le choix entre le Front et Le Pen. Conformément à sa philosophie génétique, il a choisi Le Pen, se demandant -toutes précautions prises- s'il n'y a pas laissé le Front.
 
3.- Le temps que le " système " revienne aux mœurs de la IVème République.
 
La Constitution actuelle ne permet pas à un parti d'accéder au pouvoir sans alliés. Sauf à délirer sur une majorité unanime illusoire. C'était possible en 1933. Pas en 2017.
 
Or, d'alliés, le FN, n'en possède pas. Et pour cause : toute son idéologie, son produit d'appel fondamental, son slogan favori est " Tous pourris ! ". S'allier avec la droite classique lui ferait perdre l'essentiel de fonds de commerce électoral.
 
On peut bricoler localement des alliances " contre-nature ", sur les rives méridionales, où dominent les restes de l'" Algérie française ". Mais l'accession aux principaux leviers nationaux est hors de portée.
 
La seule solution serait que les " élites " actuelles au pouvoir (dont l'anti-gaullisme fédère une part importante d'entre eux, à quelque parti qu'ils adhèrent) consentent à achever le démantèlement de la Vème République et, en particulier - le FN y tient beaucoup, comme on le comprends-, sous un prétexte " démocratique ", que presque tous les pays européens ont adopté, reviennent à des élections proportionnelles à un tour.
 
Ce qui ouvrirait la voie à toutes sortes de tractations et d'arrangements sur lesquels le " peuple souverain " n'aurait plus aucune prise.
 
La seule limite à cette hypothèse très favorable est que tout aussi anti-gaullistes qu'ils soient, les politiques français de droite et de gauche, se refusent encore à se dessaisir d'instruments qui confèrent tant de pouvoir.
Aujourd'hui, Hollande gouverne (encore jusqu'en 2017), avec une popularité de 13%, selon un dernier sondage. Et comme les sondages n'ont aucune effectivité constitutionnelle…
 
Il est des obstacles autrement plus péremptoires à l'arrivée du FN à la tête de l'Etat.
 
4.- L'Euro, l'OTAN et Israël.
 
* Marine Le Pen prône la sortie de l'Euroland et le retour au franc. Il y a d'excellentes raisons à ce choix. Malheureusement, cette décision implique des bouleversements considérables en Europe où l'Allemagne et la plupart des pays qui lui sont liés ne l'accepteront jamais. N'oublions pas que l'euro de Maastricht est l'autre nom du deutschemark et l'Euroland, celui de l'ancienne zone Mark.
 
La France du début de ce siècle, en particulier quand elle prend les couleurs du FN, n'a pas les moyens politiques, économiques et financiers d'un " procès de rupture " à la Jacques Vergès. Et les conséquences, notamment financières, d'une décision de cette nature seraient incalculables à court et moyen terme.
 
Il tombe sous le sens que ce choix n'est pas complètement exclu. Cependant, il engage d'autres choix que les Français - n'ayant qu'une très faible idée de leur portée réelle - ne sont sûrement pas prêts à assumer. Seules l'histoire et ses tragédies offrent les circonstances des ruptures " déraisonnables ", où les hommes et les nations sont mis en face de leur destin.
 
* Le comble de l'incohérence a été atteint par la France qui a décidé en 2008 de revenir sous le parapluie militaire US au moment où paradoxalement celui-ci n'avait plus d'objet.[4]
 
Il eut été logique que les Etats-Unis démantèlent leur système militaire intégré - créé en avril 1949, avant l'explosion de la première bombe A soviétique en août, et mis en place en 1951- après la chute du Mur de Berlin et l'effondrement des Démocraties Populaires. Bien le contraire : non seulement l'OTAN est toujours là, mais son espace s'est élargi bien au-delà de l'Europe et le nombre d'adhérents a augmenté. Au point que l'Union européenne est très vite apparue comme l'antichambre de l'OTAN.
 
La persistance de ce système montre bien qu'il n'avait pas été conçu seulement pour faire pièce à l'Union Soviétique (bien que le Pacte de Varsovie n'avait été édifié qu'en 1955 - et dissous en 1991)
 
La sortie de l'OTAN, avec comme corollaire -annoncent les frontistes- une amitié franco-russe renouvelée, au moment où la France n'a plus de défense crédible ni les ressources nécessaires à sa constitution, est tout aussi problématique.
 
L'anti-américanisme primaire n'est plus d'actualité en France.
 
* Le veto israélien. En 1940, face au Front Populaire et bercées par le projet illusoire d'une Europe monocolore hitlérienne, la droite et l'extrême droite françaises avaient confondu leurs projets, donnant à un des vainqueurs de la " Grande Guerre ", dont on commémore cette année le centenaire du début, les pleins pouvoirs assortis d'un serment de fidélité à sa personne.
 
Aujourd'hui, pour l'essentiel, ce qui empêche le FN de fusionner avec les autres partis de droite comme en 1940, c'est l'existence d'Israël qui dispose - à l'échelle mondiale - des relais et leviers à même de compromettre toute alliance avec les tératologies du passé, même réformées, même adoucies, quels que soient les gages qu'elles peuvent produire ou les garanties dont elles peuvent se prévaloir.
 
Pragmatiques, Américains et Israéliens observent scrupuleusement la géographie politique européenne et computent les coups les uns après les autres avec un principe élémentaire : par-delà le strict respect de leurs intérêts tactiques et stratégiques, il y a des frontières qu'ils ne consentent à voir transgressées par personne. Tout au moins pour l'instant… Les tentatives de domestication mutuelle entre les Le Pen et Israël ne semblent avoir eu de suite favorable.

A (faire) croire et à craindre un Front National qu'il place au seuil du pouvoir, Valls trompe ou se trompe.
 
En réalité, le Front National est déjà au pouvoir en France. Et ce, depuis longtemps.
 
En effet, sous des labels de droite et de gauche, ses idées ont peu à peu été reprises sans citation de marque de fabrique.
 
Fréquemment, Jean-Marie Le Pen s'en gausse et s'en délecte à raison.
 
Après tout, si on laisse de côté le culte infantile des ego, n'est-ce pas dans une confortable " opposition majoritaire " qu'un parti gouverne le mieux, à une époque où les peuples brûlent aux lendemains d'élection les gouvernants inconsistants qu'ils se sont donnés la veille ?
 
" Quand quelqu'un dit : 'Je me tue à vous le dire', laissez-le mourir. " Jacques Prévert.
 
[1] Voir ou revoir à ce sujet l'excellent documentaire : " Barack Obama, au cœur de la Maison-Blanche ". De William Karel 2012 (2x 55 mn).
[2] " J'appelle le régime gaulliste dictature parce que, tout compte fait, c'est à cela qu'il ressemble le plus, parce que c'est vers un renforcement continu du pouvoir personnel qu'inéluctablement, il tend, parce qu'il ne dépend plus de lui de changer de cap. Je veux bien que cette dictature s'instaure en dépit de De Gaulle. Je veux bien, par complaisance, appeler ce dictateur d'un nom plus aimable, consul, podestat, roi sans couronne, sans chrême et sans ancêtres. Alors elle m'apparaît plus redoutable encore. " François Mitterrand - Le coup d'Etat permanent - Paris, Plon, 1964
[3] Dernier esclandre : Alors que Patrick Bruel annonçait son refus de chanter dans les villes remportées par le Front national, il avait déclaré : " On fera une fournée la prochaine fois. " Même si Marine Le Pen a condamné les propos de son père, elle n'entend pas l'éloigner de son parti.
[4] Avant de l'annoncer aux Français et à leurs représentants, c'est le Congrès américain à Washington, où le Président Nicolas Sarkozy se présenta en personne, qui en eut la primeur le 07 novembre 2007. Nicolas Sarkozy valide ainsi, dissipant tout doute éventuel sur ce point, que l'OTAN est bel et bien un système américain. La décision a été soumise à l'Assemblée française le 8 avril 2008 et à un vote de confiance le 17 mars 2009. Les deux votes ont été favorables au gouvernement, entérinant son choix. Les socialistes ont fait assauts de joutes et de circonvolutions. De retour au pouvoir, aucun d'entre eux n'a réclamé la sortie de l'OTAN. Bien au contraire : c'est dans ce cadre que les armées françaises participent - avec zèle et enthousiasme, dans le format très étriqué de ses moyens dont on connaît l'indigence - aux divers conflits qui agitent l'actualité du monde.