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Le peuple de seigneurs

par Ahmed Farrah*

Pendant la période où il y 'avait encore, ce qu'on appelait les coopérants techniques, une collègue et amie Française enseignait, dans un lycée où on a travaillé ensemble. Un jour, elle est venue au laboratoire pour faire le tirage de polycopies qu'elle avait préparé pour ses élèves. Elle a trouvé un jeune homme, nouvellement recruté comme agent technique de laboratoire. Pour faire sa connaissance, elle lui a demandé, s'il se plaisait dans sa nouvelle activité professionnelle. Le jeune laborantin, tout content a acquiescé avec sourire béat et lui a répondu : " Bien sûr Madame que ce job me plait, d'ailleurs il n'y a pas grand-chose à faire, c'est le repos total ! ", pas du tout étonnée par ce qu'elle venait d'entendre, elle s'est tournée vers moi en me faisant un petit clin d'œil et a enchaîné, tu vois mon ami, vous êtes vraiment un peuple de seigneurs !

Jeune professeur de biologie fraîchement débarqué de l'université, je n'ai pas eu ce sentiment de venir meubler mon temps au travail, j'ai trouvé des collègues de plusieurs nationalités qui m'ont aidé à faire mon petit chemin d'enseignant, ce qui a renforcé en moi l'amour et ma gratitude pour ce métier. C'était le temps de l'avidité du savoir, on allait le chercher là où il était. Googler et tout se déverse n'était pas notre époque. On a avait pas l'esprit prétentieux et hautain, on demandait ce qu'on ne savait pas. Comme j'ai trouvé un tuteur qui n'était que laborantin mais avec un savoir immense en préparation chimique et pas seulement, il fut pendant la période coloniale un préparateur en pharmacie et tout le monde respectait Si DEROUICHE Baghdad pour ses compétences et ce qu'il nous a transmis.

Ceci, m'amène au constat que tout le monde fait chez-nous aujourd'hui, quasiment peu de personnes ne sont là où elles sont par le mérite ou la vocation. A commencer par les inscrits à l'université qui sont dans leur majorité orientés vers des filières qu'ils n'ont choisies que parce qu'ils sont obligés d'y être ou surtout par refuge.

La crise de l'emploi, fait que les jeunes diplômés, demandeurs de travail vont vers l'enseignement, pas par vocation ou amour du métier, mais parce que c'est le corps qui embauche le plus et surtout pour le mirage de l'emploi du temps et des vacances scolaires. Une fois devant la réalité du terrain, ils sont déprimés et anéantis par la lourde tâche qui les attend. Certains remontent la pente mais beaucoup restent par défaut et espèrent aller vers d'autres destinées. En attendant ils font le service minimum, pour gagner un salaire.

Autres temps autres mœurs, quand l'Algérie des années 70 avait besoin de cadres, il n'y avait pas une ''université'' dans chaque coin de rue comme aujourd'hui, le baccalauréat était réellement la clé de la réussite sociale, les étudiants voulaient réaliser leurs rêves d'abord et avant tout, ils choisissaient les filières qu'ils aimaient.

Il y avait parmi eux des génies en mathématiques qui rêvaient du métier de prof, alors qu'ils pouvaient être de grands ingénieurs ou informaticiens. D'autres férus des sciences ont préféré devenir prof au lycée, que médecins ou pharmaciens alors que rien ne les empêchait, toutes les portes leurs étaient grandes ouvertes et les études de pharmacie ou de chirurgie dentaire n'étaient pas plus longues qu'un DES c'était pareil quatre années. Ces jeunes avaient l'amour du métier et la vocation de le faire. C'était le cas aussi de tous les métiers et professions. Pendant ces années-là, l'Algérien se donnait corps et âme pour son pays il ne comptait pas le temps qu'il restait dans son travail et souvent le terminait chez lui le soir. Et puis vint le slogan " Ni berger ni serf " comme un bulldozer, il a tout écrasé sur son passage et a fait naitre le spécimen " Elle dort et elle mange " ou " Le travail est fait pour les baudets ". L'Algérie du pétrole a donné le peuple de seigneurs, assisté jamais assistant, jusqu'à ce qu'il se réveillera un et sortira de son ébriété, mais dans quel état sera-t-il à ce moment-là ?!

*Ancien Censeur