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Les élites contre le peuple !

par Cherif Ali

La tension est de plus en plus vive entre le peuple et les élites qui gouvernent en son nom. La distance entre les deux s'accroît, parce que celles qui régissent le pays vivent dans un monde de plus en plus abstrait.

Le peuple se méfie de plus en plus d'elles, parce qu'elles paraissent défendre davantage des intérêts autres, prétendument supérieurs que ceux du pays. Des exemples, on peut en trouver dans ces effacements de dettes au profit de l'Irak, de certains pays africains, ou plus encore concernant ces prêts, dont un non remboursable, consentis à un pays voisin, alors même que le peuple n'a pas été informé de ces décisions « prises en son nom ».

Les élites, notamment celles au pouvoir connaissent le pourquoi de leurs décisions et le peuple, lui, n'y connait rien ! Normal, les élites sortent des grandes écoles, donc elles sont forcément compétentes.

Pour les exemples cités, les élites mettent en avant la perversité du « voisinage » avec ces pays, qui leur lie les mains et à laquelle, elles s'empressent de se soumettre et d'y soumettre le peuple.

Le peuple, selon les élites, ignore tout des contraintes liées aux traités internationaux ou à la géopolitique ; il persiste à ne penser qu'à ses propres intérêts.

Pour les élites au pouvoir, qu'il s'agisse de coopération internationale, de normes commerciales ou plus encore, de sécurité, les règles sont implacables et par conséquent elles s'empressent de les appliquer et de se retourner contre le peuple, pour le contraindre non pas à comprendre le fondement de leurs décisions, mais à se taire.

Le peuple, dans l'absolu, n'a pas à commenter, par exemple, le prêt accordé au Fond Monétaire International, à partir du moment où les élites ont décidé d'en faire bénéficier l'Institution de Bretton Woods, celle-là même qui a contribué au démantèlement des entreprises publiques algériennes et à la mise au chômage de milliers de travailleurs.

Tout cet argent « généreusement » accordé aurait servi, selon le peuple, à :

? Construire plus de logements

? Construire des usines et créer de l'emploi aux jeunes

? Moderniser nos villes et nos transports

? Densifier les réseaux du gaz et de l'électricité

? Construire quelques barrages

Les élites persistent à croire que le peuple ignore que le pays ne peut évoluer en vase clos et point n'est besoin de lui rappeler, une fois encore, que le contexte international est crucial !

Les élites au pouvoir, ou encore celles issues des grandes écoles refusent de débattre d'économie, de finances publiques, ou plus encore de défense ou de politique étrangère sachant que ces derniers volets relèvent de domaines réservés.

Elles disposent pourtant de tous les moyens publics et même privés pour communiquer et expliquer leur politique.

Elles pensent qu'elles ont mandat pour agir au nom du peuple et qu'elles ont, de ce fait, toute la légitimité pour faire selon ce qu'il leur semble bon.

Et le peuple n'a qu'à se perdre en conjectures et à supputer comme bon lui semble !

Et c'est ainsi que la défiance entre les élites et le peuple s'installe et se creuse, chaque jour, un petit peu plus !

Cette défiance est d'abord verticale et se nourrit d'un sentiment d'abandon, de plus en plus répandu : les élites, qui nous dirigent y compris celles qui sont élues, cultiveraient selon le peuple, « l'entre-soi », sans se préoccuper, ou si peu des citoyens.

Il serait toutefois naïf de limiter cette défiance aux seuls gouvernants. Certes, elle frappe la classe politique dans toute sa composante mais aussi l'administration publique, les patrons d'entreprises, les journalistes, bref, toute l'élite intellectuelle.

A cette défiance verticale, s'ajoute une autre défiance de type horizontal ; avec l'inflation, la cherté de la vie, les rapports sociaux s'exacerbent et la méfiance, entre pairs, gagne du terrain et met à mal la cohésion sociale. Les syndicats, issus pourtant des classes prolétaires, ou sont-elles alors partie des élites, et à leur tête l'UGTA, sont désavoués.

Les élites ne communiquent pas, ou pas assez quand elles sont au pouvoir, alors qu'elles disposent de l'ensemble des médias, dont la télévision qui reste, pour elles, un espace public « monopolistique » par excellence. Elles s'emmurent dans le silence quand elles le quittent, pensant qu'il est bon pour elles de « se mettre en réserve de la république », sait-on jamais, ou se faire oublier, puisque cela vaut mieux ainsi.

Elles devront, dorénavant, regarder en face le peuple, avec lequel la rupture, si elles n'y prennent garde, pourrait, tôt ou tard, être consommée si elle ne l'est déjà, à voir la courbe vers laquelle s'envole l'abstention, scrutin après scrutin.

Affronter le peuple, dialoguer avec lui, le consulter en recourant, par exemple, au référendum pour cette histoire de gaz de schiste, c'est accepter l'idée qu'il n'y a pas dans le pays :

? d'un côté, un peuple paisible, qui va aux urnes, qui applaudit car content de son sort, semble-t-il

? et de l'autre, un peuple frondeur, abstentionniste, qui rejette tout en bloc au motif qu'il déteste les élites qui ne lui accordent pas toute la considération voulue.

En fait, il s'agit de deux segments « intermittents » d'un même peuple appelés autrefois « forces vives de la nation », qui en réalité travaillent beaucoup, pour peu de choses, et souffrent aussi, énormément, du fait d'un quotidien de plus en plus difficile.

Les élites, elles, n'ont pas de soucis à se faire, non seulement pour le quotidien mais aussi pour le lendemain, car elles détiennent la rente dont elles consentent, de temps à autre, à ouvrir les vannes, soupape de sécurité oblige, comme en 2011, ce qui a permis d'apaiser, un tant soit peu le peuple irrité par le relèvement intempestif du prix de certains produits de première nécessité.

Bien avant, en 2008, l'embellie pétrolière a suscité des augmentations de salaires en masse, et quelques effacements de dettes au profit des agriculteurs, ce qui a donné du répit aux élites.

Aujourd'hui, la prudence est peut-être de mise même si l'on continue à recenser encore, chez le peuple, des mécontents, des angoissés, des mal logés des sans emploi ou des sans moyens suffisants pour vivre.

Pendant ce temps-là, chez les élites, on se prépare à former un nouveau gouvernement, car le précédent, technocrate comme se plaisaient à l'appeler certains, n'a pas répondu aux « attentes » du peuple.

Et cela se passe à huis clos, le peuple n'étant pas convié alors même que son sort est engagé dans les tractations à venir desquelles sortiront des élites sensées, cette fois-ci, œuvrer à son bien être.

Mais il n'est pas dupe pour autant car, le remaniement ministériel obéirait, comme par le passé à la théorie dite de l a «chaise musicale» avec les mêmes ministres qui s'échangeront les maroquins, dans une ambiance de «long fleuve tranquille».

De plus, les élites, n'assument pas leurs échecs politiques, si éprouvant pour le peuple, sinon ça se saurait depuis !

Ce discrédit vaut, aussi, pour la plupart des élites passées qui sont dans l'opposition aujourd'hui, mais qui ont été en situation de gouvernance hier. Elles n'ont pas fait mieux, quand elles-mêmes, intraitables et sourdes à toutes revendications sociales, elles étaient aux affaires !

A croire que leur devise est « ordo ab chao » et ce n'est pas un hasard si, de façon systématique, les gouvernements successifs laissent le pays dans un état pire que celui qu'ils trouvèrent à leur arrivée :

? la violence et l'incivisme sont partout

? l'insécurité routière fait des ravages

? l'école n'en a pas fini avec ses soubresauts

? le tourisme et le secteur de la pêche sont au plus mal, tout comme le football

? la fièvre aphteuse n'est pas éradiquée

? le commerce n'est pas régulé et la mercuriale s'affole

? et les déficits augmentent dans tous les secteurs

En définitive, tout est possible pour les élites qui trouvent toujours à se recycler, et rien ne serait possible pour le peuple, si ce n'est qu'on lui demande, sans cesse, de faire des efforts, quand ce n'est pas des sacrifices qu'on exige de sa part.

Et le peuple en a marre ! Car il a l'impression qu'il paye pour sa protection, mais personne ne le protège de ces élites qui disposent de ses richesses et parfois en usent et abusent, tout en lui déclarant, à tout bout de champ, que «l'Etat providence, c'est fini !».

Et dans la situation de crise que nous subissions, plus que nous traversons, comment mettrons-nous la société en marche, si nos élites sont à court d'idées, persistent à rester dans leur monde abstrait, et refusent d'associer le peuple aux décisions qui engagent son avenir !