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Otan-Etat islamique : une guerre de cent ans ?

par M'hammedi Bouzina Med: Bruxelles

La décision des Occidentaux, lors du dernier Sommet de l'Otan, rejoints par la Ligue des Etats arabes, de mener une offensive militaire contre l'Etat islamique suffira-t-elle à mettre un terme au chaos qui règne dans la région et au terrorisme ailleurs dans le monde?

Ainsi donc, une coalition internationale se met en place pour attaquer et faire disparaître l'Etat islamique (EI). Cette annonce faite lors du dernier Sommet de l'Otan tenu à Newport (Grande ?Bretagne) a été qualifiée « d'historique » par le SG de l'Organisation transatlantique, Fogh Rasmussen. L'intention, à première vue, honore ses initiateurs et repose sur une offensive militaire contre les hordes sauvages de l'EI. Bien que cette opération militaire soit inévitable, il serait naïf de croire que la paix dans la région Irak ? Syrie passe par la seule force des armes. Ensuite, les occidentaux ont une curieuse conception de cet « Etat islamique » : après avoir fait sa promotion en l'identifiant comme un Etat apparu soudainement dans la région, ils veulent s'attaquer à ses bases dans le seul nord Irakien, principalement dans le Kurdistan.

Exit donc ses ramifications en Syrie parce que s'y attaquer reviendrait à donner un coup de pouce à Bachar Al Assad qui, lui aussi, se bat contre ces mêmes groupes terroristes de l'Etat islamique. Gros problème : que feront les occidentaux dans l'hypothèse où les hordes armées de l'Etat islamique, mises sous pression des bombardements, se replieraient en Syrie ? Eventualité que les chefs des terroristes étudient sérieusement, puisque ils sont informés qu'ils seront traqués, d'autant plus qu'il faut attendre quelques semaines, voire quelques mois, « d'ici la fin de cette année » a déclaré le président américain, pour que cette coalition puisse intervenir. Ce qui laisse, convenons-on, tout le temps nécessaire aux terroristes de penser à des replis tactiques. On assiste à la même logique qui a promis de faire disparaître El Qaida.

D'ailleurs, le même président américain, Barack Obama a répété lors de ce Sommet « historique » de l'Otan : « nous allons éradiquer l'Etat islamique comme nous avons éradiqué El Qaïda ». Mais alors qui fait régner l'insécurité au nord du Mali ? Qui retient en otage à ce jour des centaines de jeunes filles au nord du Nigeria ? Qui fait exploser des bombes humaines au Pakistan, en Afghanistan, et jusqu'en Inde et en Chine ? El Qaïda n'opère pas en Libye ? Etc. Non El Qaïda n'a pas était éradiquée, elle s'est « dispersée » et déplace ses terroristes au grès des circonstances. Et dans le cas de l'Irak, El Qaïda a rejoint tout simplement l'Etat islamique. Elle en est une composante essentielle. Et enfin, pourquoi faire l'impasse sur la composante de l'Etat islamique lui-même. Faut-il rappeler que l'un des fondateurs (pourvoyeur de groupes terroristes est plus adapté), en l'occurrence le jordanien Abu Mus'ab Az- zarkaoui d'El Qaïda (abattu en 2006) fuyant l'Afghanistan après l'invasion américaine de 2001, s'est réfugié au Kurdistan Irakien en 2002 ? Il rallia ses hommes à l'autre groupe terroriste Ansar El- Islam, allié d'El Qaida. Ces groupes multiplièrent les attentats en Irak d'abord, dont celui contre le siège de l'Onu d'août 2003 avant de prêter, « officiellement » à la face du monde, allégeance à El Qaïda en 2004. Puis l'autre horde terroriste « Le mouvement la « Sahwa » (réveil) d'obédience sunnite, composé d'anciens militaires expulsés de l'armée irakienne après la chute de Saddam Hussein et trahis par la promesse du gouvernement Nouri Al- Maliki de les réintégrés à l'armée irakienne, rejoint en 2007 Ansar El Islam et El Qaïda au Kurdistan irakien.

Ce rassemblement hétéroclite de groupuscules terroristes menait leurs actions sous le label « d'Etat islamique en Irak avec comme chef Abu Omar Al Qoraïchi Al Baghdadi. Leurs actions étaient concentrées sur le seul territoire irakien. Mais avec les événements intervenus en Syrie en 2011, ce qui se nomme déjà l'Etat islamique en Irak, envoie des groupes de combattants en Syrie sous le nom de « Djabhat Al- Nosra » ( Front de la résistance). Profitant du chaos syrien, Djabhat Al ?Nosra pris de l'ampleur et remporta quelques victoires tactiques.

Désormais l'Etat islamique en Irak et au Levant était né (EIIL). Son chef, Abu Bakr El Baghdadi le proclame en avril 2013. Devant tant de « succès » sur le terrain de la guerre, les appétits pour le pouvoir suscitent des disputes et divisions internes entre les principaux chefs pour le leadership au point où une guerre féroce a opposé les troupes d'Ansar Al-Nosra à celles de l'EIIL fin 2013, début 2014. Après plusieurs affrontements, une grande partie des Dhihadistes de Djabhat An-Nosra rejoint ceux de l'EIIL, sous le commandement de Abu Bakr Al-Baghdadi. Dès le printemps 2014 (mars), Abu Bakr Al- Baghdadi annonce la naissance de « l'Etat islamique » (EI), à cheval sur les frontières syro ? irakiennes. Aujourd'hui, le commandement de l'Etat islamique est détenu par les religieux irakiens et celui des groupes sur le terrain par d'anciens officiers de l'armée irakienne et des services de renseignement de Saddam Hussein, ceux précisément que l'ex- premier ministre Nouri Al Maliki a trahis et expulsés de la nouvelle armée nationale.

L'HYPOCRISIE OCCIDENTALE

La genèse qui a préfiguré à la naissance de l'Etat islamique est parfaitement connue par les services de renseignements américains et, subséquemment, par ceux des pays occidentaux. Mieux, et dans la perspective de noyauter et de contrer les mouvements terroristes, les USA par exemple manipulent et soutiennent, souvent, un groupe terroriste contre un autre. Ce fût le cas avec le groupe de « la Sahwa », composante de l'Etat islamique. En effet en 2006, les américains ont soutenu financièrement et avec de la logistique les partisans de la Sahwa , majoritairement sunnites, qui livraient bataille aux partisans d'El Qaïda et aux milices chiites en Irak.

C'est pourquoi, laisser croire que l'Etat islamique est une découverte nouvelle et inattendue est un gros mensonge politique. Les Occidentaux, principalement les USA, savent dans le détail qui sont les factions qui le composent, qui sont leurs chefs, qui les financent etc. Connaissant les tenants et aboutissants de l'équation Syrie- Irak, les américains ne peuvent feindre la surprise d'autant plus qu'ils possèdent et défendent leurs propres intérêts stratégiques (énergie) dans la zone, essentiellement au Kurdistan irakien. Cependant, le calcul américain de décapiter El Qaïda en Irak par l'aide apportée au mouvement de la Sahwa a foiré. Les deux ont fusionné au sein de l'Etat islamique. Face à la tournure des événements et la dimension acquise par le désormais « Etat Islamique », les américains déploient une nouvelle tactique : dans un premier temps ils débarquent Nouri Al- Maliki et ses partisans du pouvoir en Irak (lui qui a exclu les militaires sunnites, les poussant à la rébellion et à la jonction avec les anciens éléments d'El Qaïda). Ensuite ils sonnent le rappel des troupes lors du dernier Sommet de l'Otan. Qu'à cela ne tienne et mieux vaut tard que jamais. Car, les premières victimes de l'Etat islamique sont les populations d'Irak et de Syrie, indépendamment de leur appartenance religieuse ou ethnique. Les peuples de la région sont les premiers à acclamer la décision des occidentaux d'intervenir militairement contre l'Etat islamique. D'ailleurs, deux jours après, la Ligue des Etats arabes a annoncé son soutient à la décision de l'Otan de mettre en place la coalition internationale. Cependant, limiter l'intervention militaire à la seule région du nord Irakien (Kurdistan) suffirait-il à éradiquer l'Etat islamique ? Leur repli quasi certain en Syrie garantira-t-il la paix en Irak ? Et enfin, faut-il considérer la solution du problème dans toute la région sous la seule approche militaire ? Pourquoi les occidentaux font-ils l'impasse sur les raisons profondes à l'origine de toute cette violence dans la région du Moyen-Orient ? La violence qui martyrise les peuples arabes de cette région n'est pas une guerre de courants religieux. Elle a des raisons sociopolitiques.

Parce que face aux dictatures en place dans les pays arabes, l'islamisme politique s'est accaparé la contestation sociale des peuples et a engendré la violence terroriste comme mode de conquête du pouvoir. Du coup, tant que de vraies alternatives démocratiques ne soient le mode de gouvernance dans ces pays, la violence politique demeurera dans son expression terroriste. Et puis il y a l'autre « source » de mobilisation que les Djihadistes de l'Etat islamique exploitent autant que les terroristes islamistes partout dans le monde : la question palestinienne. El Qods (Jérusalem) est le troisième lieu saint de l'Islam et pèse de tout son poids historique, religieux et culturel dans le conscient et la mémoire des peuples musulmans.

L'occupation de la Palestine par l'Etat d'Israël est vécue comme une blessure permanente, une humiliation et une honte par les musulmans. Les mouvements intégristes y puisent un précieux argumentaire pour justifier la violence terroriste contre Israël, ses alliés occidentaux et leurs « supplétifs » arabes. Donc, faire croire qu'une simple contre- attaque militaire limitée au nord Irakien contre l'Etat islamique résoudra le chaos qui règne dans cette région est une chimère. Les Occidentaux ont fait croire à la même stratégie en Afghanistan depuis 2001. Puis en Irak en 2003, puis en Libye en 2011 etc. Encerclée en Afghanistan en 2001, El Qaïda n'a pas été éradiquée : elle s'est multipliée et frappe en Afrique, au Moyen ?Orient, au Pakistan, en Inde, etc. Ainsi, bien que l'annonce d'une attaque militaire des coalisés contre l'Etat islamique au Kurdistan irakien fasse l'unanimité de la Communauté internationale, elle ne signifie pas la fin du terrorisme fait au nom de l'Islam. Demain, les terroristes nous surprendront avec un autre label, un autre logo, quelque part dans un pays vulnérable, pauvre, gouverné par une dictature ou des incapables corrompus.

Sources : actualité et Clés du Moyen-Orient (juillet 2014).