Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Europe en panne

par Pierre Morville

Les contraintes européennes ne sont pas étrangères à l'actuelle crise politique française

Il est assez étonnant d'entendre un ministre de l'économie expliquait que la politique qu'il dirige depuis plusieurs, est mois nulle et dangereuse ! Les Français qui ont entendu Arnaud Montebourg expliquer les raisons de son départ du gouvernement présidé par François Hollande, en sont restés un peu pantois.

Bon orateur, volontiers " fort en gueule " mais souvent très " charmeur ", Arnaud Montebourg a su garder de son passé professionnel d'avocat, un bon usage de la plaidoirie, y compris pour sa propre défense, une dialectique redoutable doublée d'une forte conviction pour toute thèse qu'il défend, même s'il en change. Il est en tous cas assez habile pour avoir compris que les propos qu'il distillait dans ses interviews ces derniers jours ne pouvait qu'amener une crise gouvernementale, débouchant sur la démission du premier ministre Manuel Valls, et la nomination d'un nouveau gouvernement. Celui-ci a été désigné toujours sous l'autorité de Valls, mais sans la participation d''Arnaud Montebourg et d'autres ministres de la gauche du parti socialiste, ni celle des écologistes. Et une bonne partie des élus et députés de la gauche ménagent de moins en moins leurs critiques ouvertes ou voilées, rejoints par de nombreux responsables syndicaux.

Le divorce s'est amorcé en début d'année avec le tournant donné par François Hollande à la politique économique du pays, avec le nouveau " Pacte de responsabilité " qui accéléra la politique antérieure. Celle-ci visait déjà à dynamiser une " politique de l'offre ", c'est-à-dire réduire fortement les dépenses de l'état et de la protection sociale, accroitre la fiscalité des particuliers et favoriser au plus les capacités des entreprises à investir. Du coup, les contribuables ont vu leur feuille d'impôt s'allonger, les fonctionnaires, leurs salaires bloqués pour cinq ans, mais surtout les entreprises, notamment les petites, ont eu un mal croissant à écouler leurs produits, faute d'acheteurs, les consommateurs étant devenu très prudents. Du coup, le chômage repart en forte hausse? Le taux de production étant devenue quasiment nul depuis plusieurs mois, combiné avec une inflation elle-même réduite quasi à zéro et c'est la menace tant redoutée par les économistes d'une déflation, spirale négative dont on ne sait jamais bien comment en sortir?

François Hollande conscient des difficultés de ses administrés réaffirme néanmoins garder le cap de la rigueur, voire même le renforcer, plaidant qu'il faut laisser " du temps au temps ", le temps tout au moins que sa politique donne des fruits positifs. Le président de la République française qui bat chaque mois des records d'impopularité (aujourd'hui, 17% des français sont contents de lui), a appris au début du mois d'août une autre mauvaise nouvelle : dans les entreprises françaises, le niveau des dividendes, c'est-à-dire l'argent distribué aux actionnaires avait en un an augmenté de 30% alors que l'investissement avait reculé ! En clair, les mesures notamment fiscales, favorables aux entreprises, qu'il avait ordonnées, ne servaient pas celles-ci à dynamiser leurs activités mais gonflaient massivement " les poches des capitalistes ". Un comble pour un président de gauche !

Les pressions de l'UE

Dans les 1ers sondages d'avant-hier, 8 Français sur 10 pensait que le nouveau gouvernement Valls ne serait ni efficace, ni juste. Pourquoi François Hollande maintient-il cette orientation politique qui fait surgir un flot croissant de mécontents ? Par conviction, tout d'abord. Il fait partie d'une génération de responsables politiques qui ont pris conscience que l'état français dépensait en général beaucoup plus qu'il ne percevait. Il a fait ses premières armes politiques sous Mitterrand lorsque celui-ci, après avoir beaucoup flambé, lançait son célèbre " programme de rigueur ". Ce qui ne l'avait pas empêché à l'époque, de se faire réélire. Plus social-libéral que socialiste, François Hollande se méfie également de l'interventionnisme étatique en matière d'économie.

Mais si le président français maintient coute que coute sa politique actuelle, c'est en grande partie parce qu'il y est contraint. Non pas par l'opposition de droite : celle-ci, aujourd'hui très divisée par des querelles de chefs, menait sous Sarkozy une politique à peu près similaire. Mais c'est la Commission européenne qui impose sa pression.          En quittant le gouvernement, Arnaud Montebourg a réaffirmé avec force que la politique d'austérité imposée par l'Union européenne était responsable de la prolongation de la crise en France, articulant sa démonstration sur de fortes affirmations pour grande partie, justes. La planète a subi à partir de 2008, une crise sans précédent depuis celle 1929 mais tout le monde est sorti de cette crise sauf l'Europe. En accusation pour l'ancien ministre de l'économie, les diktats unilatéraux de la Commission européenne qui impose aux Etats-membres de l'UE des politiques économiques centrés trop uniquement sur la gestion par des politiques d'austérité et de réduction rapide de la dette publique et privée, coûteuses socialement : la compression des coûts salariaux et des prix, la forte réduction des dépenses publiques peuvent entrainer des hausses de productivité mais ne réalise pas de véritable relance de l'économie. Ces pratiques sont très pénalisantes en matière de croissance et d'emploi, et seraient, selon Montebourg, la cause de la prolongation de la crise en Europe, faute de reprise de la consommation.

Facteur aggravant, l'existence d'une monnaie commune : en adoptant l'Euro, les états européens se sont privés d'un outil d'assouplissement des difficultés, le contrôle des changes et la dévaluation. Le fait est que de toutes les grandes monnaies internationales, l'Euro est surévalué alors que le dollar, le Yen, le Yuan et même le rouble sont notoirement sous-évalués. D'où des problèmes à l'exportation?

Intransigeance allemande

L'Allemagne sert ses intérêts personnels, pas ceux de l'Europe " martèle Montebourg. L'Allemagne en acceptant la création d'une monnaie commune, avait fortement insisté pour donner des règles rigides à la politique économique qui devait être menée dans l'UE. Celle-ci repose nécessairement sur l'équilibre budgétaire, le refus de la dépréciation de l'Euro et du financement monétaire des déficits publics, une grande rigueur salariale, une banque centrale à l'image de la Bundesbank, autonome des pouvoirs politiques et construit essentiellement pour limiter au maximum l'inflation, alors que celle-ci comme la dévaluation, peut être une roue de secours très utile, et vient cruellement à manquer à l'heure où l'on rentre en déflation?

Le tournant vers l'austérité en Allemagne a été imposé par un socialiste, le Chancelier Schroeder et fut couronné de succès. Mais la réussite de ces recettes tient également aux particularités allemandes : une industrie forte, une main d'œuvre qualifiée, un chômage faible (notamment dû à une très faible démographie), de grandes capacités à l'exportation, notamment dans le reste de l'Europe et une présence active des capitaux allemands sur les marchés internationaux. Des atouts que ne possèdent pas nécessairement les 27 autres pays membres de l'Union européenne. Mais il n'est pas question de faire changer d'opinion madame Angela Merkel. Au cours de l'été, François Hollande avait plaidé pour un assouplissement des règles, notamment concernant les contraintes d'assouplissement des déficits budgétaires imposées par l'UE : la " Dame de fer " allemande lui avait sèchement adressé une fin de non-recevoir.

Forte de sa réussite, l'Allemagne qui est également en grande partie le banquier de l'Europe, impose donc ses règles. François Hollande n'aurait donc que peu de marges de manœuvre. Mais il a peut-être trop vite cédé à l'intransigeance d'Angela Merkel. D'autres pays comme l'Italie ou la Belgique, commencent à renauder contre les pressions de Bonn. Des organismes internationaux peu suspects d'interventionnisme laxiste et socialisant comme le FMI et l'OCDE ont dès 2013, mis en garde les états européens contre une austérité excessive. Mieux, la Commission européenne elle-même déclarait en avril 2013 que " l'austérité avait atteint ses limites ". Et même en Allemagne, les milieux économiques s'inquiètent de la raréfaction des débouchés en Europe pour les produits allemands d'exportation, ce qui expliquerait l'actuel coup de froid de l'économie allemande. Mais rien n'y fait, Merkel ne changera rien...

Désillusion européenne

Dans cette période de célébrations et de cérémonies accompagnant le centenaire de la guerre de 1914 et le cinquantenaire du débarquement et de la libération de Paris, on aurait pu craindre une remontée de " l'anti-germanisme primaire ". Il n'en fut heureusement rien. C'est l'un des bons côtés de l'Europe : après plusieurs et sanglants conflits mondiaux, les principaux états européens ont définitivement décidés de ne pas résoudre leurs conflits à coups de chars et de canons. En revanche, l'Union européenne n'est plus une idée qui enchante. David Camerone, le 1er Ministre anglais a même promis aux Anglais un référendum fin 2015 sur un sujet brulant : le maintien ou non de l'Angleterre dans l'Union européenne. L'UKIP, le parti europhobe anglais a réussi à glaner 29% des voix lors des dernières élections européennes. Plus généralement, les formations " europhobes " pèsent aujourd'hui 20% des 780 parlementaires européens élus en mai 2014 dans un climat profond d'euroscepticisme. En 2003, l'Europe apparaissait comme une " source d'espoir " pour 61% des Français, ils n'étaient plus, une décennie plus tard, que 31% à exprimer le même sentiment. Parmi les plus sceptiques, les jeunes et les ouvriers, 5 fois plus nombreux que les cadres. Dans l'atmosphère de crise généralisée, l'Union européenne suscite du désintérêt, voire de l'hostilité, notamment vis-à-vis des instances européennes : l'Europe est perçue comme un problème et non plus comme une solution.

C'est l'heure des désillusions : la croissance est plus faible en Europe que dans le reste du monde (+1% en 2014), elle se désindustrialise (la part de celle-ci dans le PIB est passé de 20% à 15% en vingt ans), la situation des PME s'y détériore. Le chômage est général : 12% dans la zone et de plus de 40% pour les moins de 25 ans dans les pays du sud de l'Europe. Plus généralement, les écarts structurels entre les pays du nord (plus riches) et ceux du sud de l'Europe (plus pauvres) s'accroissent.

L'ensemble est géré par des institutions politiques éloignées des citoyens européens et souvent très opaques. Mis à part le Parlement européen, élu mais disposant de pouvoirs limités, les vraies instances de décisions sont le Conseil européen (où s'effectuent les tractations entre pays), la Commission européenne, le pouvoir réellement exécutif, et la Banque centrale européenne. Ces instances ne sont pas élues et ne rendent des comptes à personne et surtout pas aux citoyens européens. Tout cela a généré une forte technocratie peu soucieuse d'expliquer ses décisions.

Or, celles-ci modifient de plus en plus la vie quotidienne des citoyens européens : des myriades de normes, règles, directives.., s'appliquent ainsi uniformément dans les 28 pays alors que ceux-ci connaissent de profonds écarts de richesse mais vivent surtout dans des cultures très différentes. " L'harmonisation " des règles communes aboutit souvent à des régressions pour les pays les moins avancés et les populations les plus vulnérables. Cette prodigieuse activité normative qui régule la moindre activité européenne est de surcroit initiée et définie par des " lobbies " privés économiques et financiers particulièrement actifs tant à Bruxelles qu'à Strasbourg, ville du Parlement, à Francfort, siège de la BCE, qu'au Luxembourg où agit la Cour européenne de justice. Mais surtout dans une Europe à faible démographie, vieillissante (l'Europe ? 7% de la population mondiale, 20% du PIB mondial, 50% des dépenses sociales), l'Union des 28 pays ne constitue pas une " puissance " ni sur le plan militaire, politique ni même sur le plan technologique et culturel.

(Seconde partie : les mystères de la " politique étrangère " européenne)