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Décalages

par Bouchan Hadj-Chikh

Il est loin le temps où le ministre allemand des Affaires étrangères, M. Oscar Fisher, osait dénoncer, publiquement, les mensonges du secrétaire d'Etat US à la Défense, M. Donald Rumsfeld, en lui lançant «je ne suis pas convaincu par vos arguments» justifiant l'invasion de l'Irak.

Ou d'un ministre français des affaires étrangères, M. Villepin, émettant de sérieux doutes, lors de son intervention au sein du Conseil de Sécurité, quant aux «preuves» produites par le secrétaire d'état US, M. Colin Powell, pour entrainer la communauté internationale à cautionner l'invasion

Aujourd'hui, le refroidissement de la planète aidant, la guerre froide revenu à la mode, le raisonnement est devenu binaire. Washington et l'Europe contre le reste du monde.La capitale américaine dénonce le bombardement d'une école dans la bande de Gaza, l'occident s'aligne pour gonfler ses plumes. Les Ghazaoui défendentleur droit à vivre en voulant forcer le blocus, Washington juge, sans procès,leurs droits à la justice«d'actes criminels». L'Europe s'aligne. Quand Washington demande de la «retenue» à l'envahisseur ? se retenir de tuer moins, moins d'enfants, de femmes et de civils avec les munitions qu'ils avaient fournis aux agresseurs ? ?Des capitales européennes «exigent» l'arrêt du conflit avec la même «force». Du bout des lèvres. Pour moins que ça il en est qui subiraient un embargo serré.

Gaza, depuis, est devenue l'usine à produire des morts et des blessés qui se comptent à présent par milliers. Une usine à fabriquer les Kamikazes de demain. Les dirigeants de ces pays frères ou amis du peuple martyr se taisent, rentrent la tête dans leurs épaules à la moindre explosion dont les échos leur parviennent.

Il y a trois décennies un journaliste algérien, Zouaoui Benhamadi pour ne pas le nommer, rédacteur en chef de la défunte «La République», entamait ainsi son éditorial ; «Seuls. Ils sont seuls. Les Palestiniens sont seuls». Ca n'a pas changé depuis. En désespoir de cause, ils ont même «accepté» un territoire confetti que le vent de Camp David a balayé depuis. Il n'en reste plus rien. Et puisqu'ils continent d'oser exister, aujourd'hui, on recourt au génocide. On déclare que ce peuple, en portant le Hamas au pouvoir, le plus démocratiquement du monde - sous une surveillance serrée d'observateurs internationaux - que ce peuple là donc n'a pas fait le bon choix. Les Palestiniens, eux, se demandent, à part disparaître de la surface de la terre, ce qui devraient-ils choisir pour recouvrir leurs droits et leur terre. Alors, ils résistent. Et à quel prix ! Un peu à la manière des Indiens d'Amérique ? ce qu'à Dieu ne plaise - auquel le défunt M'hamed Yazid, le représentant algérien aux Nations Unies, les compara un jour.

Peu de peuples, pourtant, avec si peu de moyens, ont offert une résistance aussi opiniâtre sur le long terme. Désespérée. Comme les indiens d'Amérique. Pour effacer la perspective des réserves.

Maintenant, regardez bien, quand la télévision vous en offre l'occasion, regardez bien les yeux de l'enfant Ghazaoui, le visage fermé, sur les joues desquelles coulent des larmes. Ou cet autre, plus jeune encore, à peine l'âge de la mémoire, qui crie pour atténuer sa souffrance infligée par un soldat de l'armée d'occupation. Regardez bien leurs yeux. Vous les reconnaitrez dans quelques années. Vous reconnaitrez le regard fou du kamikaze qui tirera sur le détonateur qui le fera exploser pour l'envoyer dans l'au-delàen même temps que des dizaines d'autres personnes, civils ou militaires, de l'autre bord, qui, le croira-t-il, ne lui auront pas reconnu le droit à la justice et à la vie. Et ne le traitez pas alors de fondamentaliste, ni de fanatique si ? poursuivi et coincé dans une impasse par ceux qui ne lui veulent pas spécialement du bien, ni de paix autre que celle des tombes - il choisira de se faire exploser au milieu de ses poursuivants plutôt que se rendre.

L'usine du désespoir, de la négation de l'être humain et de ses droits fondamentaux, n'est pas sa création. Il en est le produit.

Les gouvernements arabes ? si prompt à réprimer leurs nationaux, à bomber le torse pour écraser leurs peuples, si prompt à montrer leurs chétifs muscles devant les manifestants désarmés ? sont devenus aphones. Pour la plupart. De Cisjordanie, rien ne nous est rapporté sur la colère muselée des populations palestiniennes. De Jordanie, peuplée à quatre vingt pour cent de palestiniens, on murmure dans les chaumières. D'Egypte ? pour ne pas perdre le bénéfice des subventions américaines pour nourrir l'armée ? on ne s'enflamme pas. La radio et la télévision d'état n'ont pas appuyé sur le bouton du factice nationalisme panarabe. La rébellion syrienne préfère se nourrir de ses entrailles plutôt que de constituer une menace pour, à tout le moins, maintenir «l'ordre» dans «l'ordre régional» et tenir en respect les génocidaires. Les islamistes d'Irak préfèrent la guerre fratricide à la contribution pour une justice que réclame un peuple voisin. Sans parler de ceux qui ont fourbi leurs armes en Afghanistan. Ainsi va le monde qui nous entoure. En guise de récompense pour notre «discipline» nous sommes autorisés, exceptionnellement, à manifester notre joie d'avoir été éliminés de la coupe du monde de football ? on se contente de peu, et les occasions de réjouissances sont si rares ? pour organiser un triomphe populaire au ballon rond.

AVE le football !

Je ne doute pas un instant qu'il s'en trouve qui regrettent le temps des solidarités agissantes minimum. Collecte de sang, d'argent, de produits pharmaceutiques. Dérisoires, je le sais, au regard des besoins des prisonniers de Gaza. Des martyrs et de leurs familles. Mais Churchill n'a-t-il pas organisé des collectes de casseroles et d'ustensiles de cuisines pour, soit disant, alimenter l'industrie de guerre contre les nazis sachant très bien qu'ils ne servaient à rien sinon à donner à chaque citoyen britannique le sentiment qu'il participe à la résistance farouche au nazisme ?

Pas même donc cette illusion. Lobotomisés.

De crainte que la solidarité ne se transforme en tsunami.        

A l'intérieur nous rongeons notre frein. Ils le savent. Pendant que les Etats-Unis ouvrent leurs arsenaux aux agresseurs pour pulvériser des villes entières, il est des pays qui se contentent d'ouvrir leurs chéquiers.

Chichement.

Abu Maazem aurait dû renvoyer ces chèques. On n'achète pas le silence des braves.

Retourner les chèques avec la mention «inconnu à cette adresse».

Aar aalina. Honte à nous.

Cela s'appelle non assistance à peuple en danger de mort.

Non parce qu'ils sont palestiniens. Arabes ou musulmans. La révolte devant l'injustice n'est pas sélective. Il s'agit là de se lever au nom des hommes, de tous les hommes. De la justice. Toute la justice. Pour tous. Il en est, dans les capitales occidentales et les petites villes qui le proclament haut et fort dans les rues quand ils parviennent à déchirer les baillons qui les étouffent.

«Dussions nous manger des pierres», proclamait l'homme d'état qui affronta, avec succès, le plus fort lobby de tous les temps, celui des pétroliers. «Dussions nous mourir» hurlent les femmes, les hommes et les enfants Ghaazouis. «Dussions nous mourir» plutôt que de subir la spoliation, l'occupation, le mépris, l'impunité, la haine raciale nous crient-ils.

Jusqu'à quand, en effet, allaient-ils attendre ? Jusqu'à quand vivre dans cette prison, cette portion de territoire nommée Gaza ? Jusqu'à quand chaque guerre engagée donne prétexte au sionisme pour multiplier le nombre de ses Mauthausen, Treblinka ? Ses ghettos de Varsovie ? Ses Auschwitz-Birkenau ? Ses Dachau ? Ont-ils l'ambition de faire mieux que le nazisme avec ses 70 camps de concentration à travers l'Europe entière où furent massacrés 4.251.500 d'hommes et de femmes, d'enfants, Soviétiques, Polonais, Français et Juifs durant la seconde guerre mondiale dont on marque, par des rassemblements, le déclenchement ?

Ne croyez surtout pas ceux qui vous parlent de «printemps». Ils veulent nous faire passer la Lune pour le Soleil. Des vessies pour des lanternes. Barak Obama a tenu un discours à l'université d'Al Azhar, un discours qui avait le mérite, pour ceux qui savaient écouter et lire, d'annoncer la mise au pas du monde arabe. Avant lui, un certain George W. Bush «démocratisait» la guerre contre le peuple d'Irak en y invitant des organisations para militaires criminelles, plus nombreuses en hommes que l'armée officielle, à faire le sale boulot. Avant lui, un certain Bill Clinton annonçait une nouvelle génération de leaders africains à Kampala, Ouganda. Qui croule sous les révoltes. Alors, quand on évoque la paix, tout en armant les agresseurs, quand ce dernier prétend assurer la sécurité d'un territoire parmi les rares dans le monde à ne pas connaître de frontières reconnues internationalement, dites vous bien qu'il n'est pas étranger au démembrement de tous les pays arabes. Et s'ils pensent à s'unir, le risque est de connaître le sort de Gaza sous les bombes après s'être entendu avec l'Autorité Palestinienne. C'est clair.Reste l'honneur. La résistance des Ghazaoui. Une fleur dans un buisson d'épines. Pleine de promesses.

Tout de même.