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Achâacha, l'Algérie profonde

par Mohammed Beghdad

D'année en année, l'engouement des Algériens pour la mer ne cesse de grandir. On peut dire qu'il est devenu le premier loisir. Il est tout à fait exceptionnel en ce mois d'août de cette saison estivale version 2014, du moins dans la wilaya de Mostaganem, dont la fréquence des plages du littoral du département bat, à vue d'œil, tous les records.

Les juilletistes des années précédentes se sont mués aux aoûtiens de cette année, amplifiant ainsi la concentration. Les vacanciers algériens se sont donc rués vers la méditerranée aussitôt le carême du mois du Ramadhan accompli.

Il y a ceux qui se sont organisés en réservant leurs places dès le début de l'année en cours. Ils sont très rares. Les retardataires comme à leurs habitudes, et c'est la très grande majorité, commencent à bouger dans tous les sens sitôt le thermomètre s'affole vers le haut. Ces retards dans la préparation des congés sont aussi dus au manque flagrant de circuits de réservation pour la grande bleue qui est un filon extraordinaire mais malheureusement inexploitable. On peut dire que c'est par le bouche-à-oreille que les vacanciers d'été dénichent leur havre de paix s'ils arrivent à le trouver avec cette croissance démesurée et des services de plus en plus défaillants.

LE CALVAIRE DES SQUATS DES PLAGES

Cet été est marqué par une certaine anarchie qui existait les années précédentes mais qui s'est de plus en plus accrue au cours de cette année. Elles peuvent causer d'énormes dégâts si les autorités ne maîtrisent pas à l'avenir la situation. On a lu dans la presse que des plages entières ont été squattées par des groupes qui ont installés parasols, chaises et tables en toute impunité au vu et au su des autorités occupant tout l'espace public. On t'interdit de poser ton parasol même loin des leurs. Tu es obligé de le ranger avec amertume et d'en louer un contre une somme dépassant l'imaginaire pour bénéficier de son ombre.

Attention, si tu rouspètes, tu es vite cerné par une bande ni foi ni loi qui ne recule devant rien pour appliquer sa loi d'hors-la-loi. Finalement, tu abdiques en se résignant à débourser encore de l'oseille afin que ta journée ne soit pas gâchée par des altercations dont toi seul serait le grand perdant. Désormais, c'est la loi du bras musclé et du bras long qui fait office sur la plage. Tu es agressé de partout par des hommes armés de gourdins qui se s'associent en nombre pour exécuter leurs codes. Par un manque incontestable de l'autorité publique, ce sont ces nouveaux maîtres qui se sont érigés en nos nouveaux chefs de l'ombre. Ils n'ont peur de rien et ne reculent point. Ils gagnent de jour en jour du terrain, en ville comme en campagne.

Sur le littoral mostaganémois, il y avait des plages qui étaient vierges jusqu'à quelques années auparavant. J'étais surpris que jusqu'à la limite de la wilaya, à Ouled Boughalem, Kherbat et Bahara, aucun vide ne résiste à l'avancée terrible des estivants, polluants de plus en plus ces beaux coins. On en voit de tous les matricules du pays surtout à Petit-Port et Ain Brahim. C'est la foule des grands jours surtout les week-ends. A proximité du nouveau port, il y a une plaque qui indique que la baignade est interdite mais des parasols de même couleur sont étalés de partout sur le sable. Le parking est évidemment payant mais inévitablement illicitement. Un manque à gagner incontestable pour la commune.

LE CALVAIRE DE LA CIRCULATION

C'est un vrai calvaire le vendredi en partant comme en revenant de Petit-Port. Un embouteillage monstre peut vous retenir durant au moins une bonne demi-heure sur une huitaine de kilomètres seulement qui vous sépare de la ville de Sidi Lakhdar (Ex-Lapasset). A cela s'ajoute, l'indiscipline d'une catégorie d'automobilistes dont certains forcent le passage en se permettant toutes les dérives. Ils empruntent sans aucune conscience la voie de gauche, gênant ainsi les voitures venant en sens inverse comme ceux roulant dans le même sens qu'ils sont censés rouler derrière eux lorsque l'ordre est établi. Dès la vue d'un gendarme motard, ils forcent subitement le passage à droite. Ils n'ont nullement la crainte de se faire rattraper par les agents de l'ordre qui règlent comme ils peuvent la circulation. On constate que leur nombre est disproportionné par rapport à celui de la fréquentation routière en cette période des grandes chaleurs.

Il faudrait que leur nombre soit plus conséquent pour pouvoir verbaliser ces chauffards qui empestent la vie aux paisibles et prudents conducteurs et dont la patience n'est que trop grande face à de telles situations désagréables. Au vu du nombre insuffisant des gendarmes pour une population qui peut quadrupler en un mois, les délinquants pilotes pensent certainement qu'ils ne seraient pas arrêtés sinon ce serait une véritable pagaille. C'est pour cette raison qu'ils profitent sans doute de cette situation de pointe. C'est en amont que le contrôle de la circulation, devrait se faire comme à des points équidistants pour éviter ces débordements et sanctionner les réfractaires. Tout cela devrait se concilier à une certaine pédagogie pour éduquer ces boucaniers de la route qui causent chaque année des milliers d'accidents avec autant de tués et d'invalides à perpétuité.

ACHÂACHA, LA PAISIBLE

Les amoureux de la nature cherchent les coins les plus reculés et les plus vierges pour échapper au brouhaha de ces plages où vos oreilles sont contraintes à écouter à fond la musique, que vous l'apprécier ou non, du matin jusqu'à tard la nuit. Le respect du repos d'autrui est banni à jamais. En sortant vers l'est de Sidi Lakhdar et à quelques dizaines de kilomètres de là, vous abordez la belle vue de Oued Zerifa, vous aurez l'impression de quitter un monde pour se transposer dans un autre. Oued Romane vous éjecte définitivement dans ce nouveau monde, donnant la sensation que vous pénétrez dans une nouvelle dimension. L'isolement débute à partir d'ici en laissant derrière soi le tapage de la ville.

En montant l'ultime côte, vous vous approchez d'un croisement qui vous donne le choix de poursuivre tout droit vers Achâacha, soit de tourner à droite vers Nekmaria qui en passant vous pouvez visitez le mémorial des enfumés de la Dahra sur lequel un papier serait nécessaire pour narrer cette histoire du sacrifice des Ouled Ryah ou bien à droite vers la plage de Sidi Lâadjel (Ex-Port Mesnard). Une curiosité dont la visite plonge soudain votre âme dans la méditation avec un endroit pur de tout béton. Comme si vous êtes le premier à découvrir ce lieu mythique surtout à droite avec ces pêcheurs agglutinés pour leur plaisir sur des rochers à perte de vue. Quelques belles criques peuvent recevoir le temps d'une belle journée quelques restreintes familles ferventes de puissantes sensations.

CHERAIFIA EN LEADER

En continuant directement votre chemin et avant d'arriver à Khadra (Ex-Picard), une forêt d'Eucalyptus vous ouvre la voie vers ce beau village qui a gardé quelque peu intact son charme avec ces arbres de ficus qui bordent superbement la grande rue. La ville est rapidement traversée. Dès sa sortie, vous avez l'envie de ne pas rassasier la jouissance de votre vue. Tous les chemins mènent maintenant à Achâacha. Vous avez l'embarras du choix. Vous foncez directement vers Cheraifia (Ex-Scambra) qui vous souhaite à bras ouverts la bienvenue. Des haltes permanentes s'imposent sur son marché journalier pour vous approvisionner en fruits et légumes et en alimentation générale. Ses commerçants sont d'une disponibilité exemplaire. Ils se plient en quatre pour vous vous permettre de choisir les meilleurs produits en leur possession. Vous achetez votre poulet vif, on vous l'égorge sur place. Il est déplumé, vidé en deux tours et empaqueté. Le goût est évidemment différent avec cette viande livrée toute fraîche.

Quant aux gens, ils sont prompts à vous saluer avant que vous tentez de sortir un seul mot de votre bouche. Vous avez l'impression que vous agressez le paysage environnant avec des comportements vous paraissant anodines importés de la ville mais peuvent choquer l'ambiance dominante. Nous sommes en plein profond pays de l'Algérie profonde. Le respect des us et des coutumes de la région s'imposent. Il faut noter avec fierté que le lycée de Cheraifia qui a été bâti il y a à peine 6 années dispose du taux le plus élevé de réussite à l'examen du Baccalauréat. Les cours privés qui sont généralisés dans les villes mais quasi-inexistantes ici n'ont sans aucun doute rien à avoir avec ces excellents résultats. Cet établissement ne possède certainement pas les meilleurs moyens de ceux des villes mais leurs armes sont la motivation et la volonté qui les animent. Pourtant, Achâacha, ce n'est qu'un transit pour les enseignants qui y sont affectés principalement pour ceux qui sont originaires des contrées proches du chef lieu de la Wilaya. C'est une très belle revanche de la campagne sur la ville.

MARDI, LE SOUK HEBDOMADAIRE DE ACHÂACHA

La région de Achâacha est une région essentiellement rurale qui vit au rythme des produits agricoles. Le souk hebdomadaire du Mardi vaut le détour. A lui seul, il vous donne le pouls du terroir. On en trouve de tout. Du blé, de l'orge, du foin sont à proposer. On en trouve aussi des poulets vifs, fermiers et industriels ainsi que des canards et lapins. Les prix sont à débattre. C'est l'offre et la demande qui les fixent. Lorsque le vendeur et l'acheteur n'en conviennent pas à s'entendre, ce sont d'autres personnes qui interviennent en arrangeant le tarif qui satisfait les deux parties. Des ovins et surtout des caprins sont égorgés sur place et dont la viande est accrochée sur trois troncs d'arbres reliés en haut par une ficelle et librement espacés en bas. C'est la vitrine. Fièvre aphteuse oblige, il n'y avait pas de viande rouge cette semaine sur le marché. Ah ! J'allais oublier, il y a aussi des bonbons que l'on appelait bonnement dans le passé par les bonbons du souk, cuits à la semoule et au sucre. Elles sont vendues à toutes les couleurs. Le visiteur peut acheter également de la menuiserie, des ustensiles agricoles, des meubles, etc. La curiosité du souk, ce sont ces multiples guitounes-cafés disposés à différents points. Les consommateurs sont assis en groupe sur de longs bancs. Le thé et le café sont préparés avec du bois chauffé. En hiver, ils sont agrémentés en plus de beignets chauds, faits aussi sur place.

Les enterrements des morts, s'ils coïncident avec le mardi, sont annoncés au sein du marché même. Tout le monde se tait subitement pour écouter les dépêches diffusées à l'aide de haut-parleurs dispersées au coin du marché et qui sont accueillis très religieusement. L'information sera répandue telle une traînée de poudre à travers toutes les zones du territoire. A l'heure de la levée du corps, c'est une marée humaine qui vient présenter ses condoléances à la famille du défunt et assister à ses obsèques. On y revient en force le soir pour la veillée religieuse. Dans ces situations de douleur, la solidarité et l'entre-aide des 35 douars qui peuplent la région sont de mises.

Elles ne différent guère de celles des mariages avec ces processions de voitures du cortège dans tous les sens. Des magasins sont là pour vous louer des trônes pour le marié sur lequel il s'assoit pour accueillir convenablement ses amis. Le Barok (aides financières offertes par les invités) est à l'honneur pour aider la famille à amortir le choc budgétaire des dépenses. C'est une marque assez forte de la bonté et de la sincérité pour apporter leur soutien et leur bénédiction au mariage. Il n'y a pas d'invités au sens propre du terme, on s'invite comme un frère au mariage de son voisin. Au point de vue développement, Achâacha attend avec impatience l'ouverture de son tout nouveau hôpital.

Espérons que les médecins spécialistes ne rechignent pas à rejoindre cet établissement sanitaire pour le plus grand bien des malades de la cité. Le secteur employeur étatique n'est en général visible que dans l'administration et l'éducation. Comme nous l'avons cité plus haut, l'agriculture est la première activité. Néanmoins, les habitants de la région ne possèdent de grandes terres pour cultiver de grandes surfaces mais ils ne détiennent que de petites parcelles qui s'amenuisent de génération en génération du fait du partage de l'héritage familier. S'il l'on rajoute le besoin de d'habitations individuelles, il ne reste pas grand-chose pour faire subvenir les besoins de la population de la daïra. L'aide de l'état est plus que nécessaire afin de fixer toute la masse dont la jeunesse souffre plus qu'aucune autre du chômage dévastateur. Au point de vue de certains appuis, on remarque que l'Ansej a creusé une petite brèche à la vue discernable de ces nombreuses camionnettes, surtout de marque Toyota Hilux, qui sont très prisées par les utilisateurs locaux.

A suivre...