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Émergence de la métropole oranaise dans sa relation à son arrière-pays

par Abdelkader Khelil *

Est-il raisonnable de penser qu'Oran puisse assurer sa mue en une métropole compétitive à l'échelle des espaces maghrébin et méditerranéen en ne comptant que sur ses atouts propres, c'est-à-dire : son port, son infrastructure de base, sa corniche, son tissu industriel, ses sites et monuments même si forgés par (12) siècles d'histoire, son élite, ses pôles d'excellence et le dynamisme d'une poignée d'hommes d'affaires qui gravitent autour de cette activité en vogue, qu'est l'immobilier ?

Est-il possible de faire porter ce mégaprojet fait d'espérance d'une mise en mouvement de notre pays dans sa partie Ouest, au titre d'une première initiative à généraliser par la suite à l'ensemble des autres espaces métropolitains, par les moyens limités des collectivités locales en matière de conception et d'ingénierie territoriale ? Sans son inscription dans une vision stratégique, l'objectif de prospérité partagée qu'il véhicule à l'échelle d'Oran et de ses interdépendances territoriales peut-il être atteint ? Peut-on croire que sa projection sur les entités du circum méditerranéen puisse se faire, par la seule addition d'équipements aussi nécessaires, que couteux et prestigieux ?

 Mais alors ! Qu'en est-il de la synergie, de la convergence et de la cohérence qui président à la conception de tout projet marqué du sceau de la fiabilité et de l'efficience économique et sociale ? La manne financière du pays et la facilité d'inscription de grands projets insuffisamment maturés, sont-elles pour autant une raison pour faire dans «l'apeuprisme» et «l'amateurisme», au risque d'être traités de mauvais managers de la chose publique et de flambeurs impénitents !

L'ATTELAGE GAGNANT DE L'ARRIÈRE-PAYS !

Peut-on concevoir qu'Oran et sa banlieue puisse se mouvoir par elle-même, telle une «locomotive» performante dans les espaces compétitifs des réseaux des villes et des régions, tout d'abord Maghrébines et ensuite Méditerranéennes, sans accrocher les «wagons» que sont les territoires dynamiques d'Ain-Témouchent, de Sidi-Bel-Abbès, de Mascara, de Tlemcen, de Relizane, de Mostaganem, voire de Saïda et de Tiaret, cet arrière pays profond, fait de richesses multiformes et d'une densité de diversités qui configurent cette identité régionale commune, et apportent une valeur ajoutée à l'image métropolitaine ? Comment est-ce possible que les concepteurs de ce projet puissent faire l'impasse sur tout cela !

Si chaque entité administrative y va de sa propre programmation en acteur esseulé, c'est que nous sommes forcément dans cette démarche empirique faite de cloisonnement, qui n'autorise aucune réalisation correcte de ce que doit être le développement global, solidaire, équilibré et durable. Mais ou est donc passé l'aménagement du territoire dans tout cela ! N'est-ce pas que cette mission horizontale, ballotée de Ministère à Ministère pour être rattachée à l'environnement dans le souci premier est celui de la «gestion» et du «tri» des déchets solides, au lieu d'être domiciliée auprès de la Chefferie du Gouvernement ou tout au moins, auprès du Ministère de l'Intérieur et des Collectivités Locales, est restée comme secteur «alibi» à caractère indicatif et sans obligation de résultat, quant à l'inscription des politiques sectorielles dans son cadre référentiel.

Sinon ! Qu'en est-il du Schéma Régional d'Aménagement et de Développement Durable du Territoire de la région Nord-Ouest, cette déclinaison du Schéma National d'Aménagement et de Développement Durable du Territoire, laborieusement finalisé après (3) décennies de tergiversation, et de sitôt oublié après le départ de ses concepteurs alors qu'il doit être tout au contraire, la source d'inspiration de tout ce que nous devons entreprendre ? Il faut croire que notre administration dans sa discontinuité fonctionnelle et dans son ingratitude légendaire, reste sans mémoire et sans considération pour l'effort intellectuel accompli dans la concertation permanente, ouverte à tous les partenaires de l'aménagement du territoire et de l'ingénierie de ses différentes options, non encore mises en application.

Quel gâchis que la mise en parenthèse de ces instruments et quelle perte, que cette expérience difficilement renouvelable, au regard de l'éclipse du savoir-faire de nos centres d'études et de réflexion, ces bastions de résistance à l'improvisation, aujourd'hui en perte de vitesse, en raison des coups de butoir qu'ils ont subi. Force est de constater, que nous sommes dans cette logique de construction d'une jeune nation par l'effacement et la négation de la programmation intelligence, faite de maturation de projets. C'est pourquoi, nous restons dans cette «valse» à deux temps, d'un pas en avant et deux en arrière, synonyme de régression. Oui ! Il faut croire qu'après un demi-siècle d'indépendance, nous n'avons pas encore assimilé correctement la culture de l'État, dés lors qu'en guise de «gouvernance» nous continuons à réagir par instinct primaire, fait de comportements dirigistes dénudés de tout fondement et de toute règle de bienséance.

Alors ! C'est vrai qu'en faisant abstraction de cet instrument de prise de décision, nous restons ignorants par rapport au fait, qu'au delà de l'interdépendance qui lie Oran à son arrière pays immédiat, elle dispose également d'une relation forte avec les espaces de la Saoura et du Touat-Gourara qui constituent sa profondeur stratégique, ce qui n'est pas le cas d'Alger et de Constantine et à un degré moindre, d'Annaba qui a aussi une relation d'interdépendance avec l'espace saharien d'Oued Souf.

Tout cela pour dire, que la construction d'un authentique projet métropolitain de dimension maghrébine et encore plus méditerranéenne, ne peut s'envisager selon une vision intra-muros, qui ne saurait mener tout au plus, qu'à l'illusion de modernisation de la ville d'Oran par «l'achat» de projets à des entreprises chinoises turques et espagnoles , sans ambition autre, que le souci du lifting urbain, cet effet d'optique qui nous hante, à trop vouloir courir derrière cette mémoire de «Wahrân El Bahia» chantée par Lili El Abassi, Ahmed Wahbi, Blaoui El Houari et bien d'autres voix subjuguées par la beauté de son bâti, le charme fou de ses paysages et par ses soirées festives.

Alors ! Qu'on arrête de rêver et de fantasmer en «solo» dans des espaces administratifs clos et étanches, ce qui est le propre style d'une approche sans partage, nourrie de cette omnipotence du «je sais tout, dans tous les domaines», parce que c'est moi qui détiens le micro l'instant d'un laïus sans débat, et le pouvoir de décision en permanence. Les autres n'ont pour obligation que de suivre ou de se taire ! C'est dire, que dès le départ les dés sont déjà pipés et le jeu n'est qu'une mise en scène, pour faire dans le théâtrale. Qui de nous n'a pas entendu au moins une fois, de hauts responsables sans culture, dire vulgairement je m'en excuse, «idazou maâhoum » à propos de gens outrés par leurs pratiques dirigistes, comme s'ils étaient leurs valets, dans un pays où la fonction de «khammès» a été proscrite voilà de cela quelques décennies, du moins théoriquement !

Cette attitude fortement préjudiciable à l'évolution de notre pays est à bannir si nous souhaitons une vraie adhésion citoyenne qui conforte l'action des pouvoirs publics, comme c'est toujours le cas dans les sociétés évoluées, qui pour avoir su tracer définitivement la trajectoire de leur bien-être collectif dans cette vision, accomplissent constamment des progrès. C'est pourquoi, le projet métropolitain qui renvoie à un «destin commun» pour une communauté d'intérêts soudée autour de sa finalité, devrait tout au contraire prendre appui sur l'arrière pays profond et non pas se limiter à la seule entité territoriale de sa wilaya. Il se doit donc d'être inscrit, dans une dynamique solidaire et complémentaire à l'échelle de la profondeur de ses territoires de soutien.

UNE COMPÉTENCE RÉGIONALE PARTAGÉE !

Aussi, le débat non encore effectivement engagé sur ce mégaprojet, devra nécessairement s'élargir à l'ensemble des wilayas de l'espace tel que défini selon le principe d'une «solidarité agissante» et doit devenir, même si le «pilote» en est bien évidemment la wilaya d'Oran, un projet de Gouvernement construit autour d'une adhésion et d'une synergie fortes entre les institutions étatiques, dans la mesure ou il ne peut s'accommoder de politiques sectorielles qui s'ajoutent, mais ne se conjuguent pas autour d'un même objectif. C'est dire, que le cloisonnement est une vision décalée par rapport à l'esprit de bonne gouvernance, qui dans le monde d'aujourd'hui, est cette garantie de la faisabilité de tout projet ouvert à l'ensemble de ses acteurs et dédié à la prospérité d'une collectivité sans exclusive !

Au delà de sa mise à niveau et de sa modernisation à travers la réalisation d'équipements d'excellence et du pari de métropole, «capitale africaine» de l'économie verte, statut qu'elle se doit de mériter (questions déjà abordées dans le détail dans un article précédent, voir quotidien d'Oran du jeudi 17 juillet 2014), la ville d'Oran doit se réconcilier avec elle-même, avec son cosmopolitisme, avec sa nature, sa gloire passée et son empreinte dans la mémoire collective de nos concitoyens, mais pas seulement. Elle doit reconquérir son image de «Wahrân El Bahia» jour et nuit festive, en souvenir de cet autrefois d'une société algérienne du juste milieu, qui savait conjuguer le spirituel aux saveurs et aux plaisirs de la vie, sans discontinuité durant toute l'année, et sans que cela ne lui soit dicté par quelle qu'autorité que ce soit. Oui ! C'est cela son défi ! Il est d'un intérêt stratégique en termes de marketing urbain.

Il s'agit tout simplement, que nous soyons disposés à ressembler à tous ceux, qui comme les tunisiens, les marocains ou les turques, nous attirent par centaines de milliers chaque année dans leurs pays, en faisant dans la séduction par le sourire et par la convivialité de leurs espaces d'accueil, ces ingrédients si simples qui font toute la différence entre ceux qui savent recevoir, et ceux en quête de civilité qu'ils paient aux autres, à défaut de la pratiquer chez eux. Oui ! Oran la festive a belle et bien existé à travers les activités de son opéra et de ses arènes, son gala de catche, son critérium cycliste du front de mer qui attirait il n'y a pas si longtemps, tous les champions du Maghreb et de la Méditerranée, toutes communautés confondues, sa corniche flamboyante et ses cafés populaires où les cheikhs de la chanson bédouine rivalisaient en prouesses poétiques, et dont les mélodies relookées par des orchestres modernes, sont devenues des produits, aujourd'hui exportables à l'international.

Elle doit aussi gagner de nouveaux avantages de solidarités en s'adossant en premier lieu à cette «puissance agricole» que peuvent devenir les wilayas de son arrière pays, dans la perspective de l'émergence d'agropoles dont elle tirera à l'avenir, une grande partie de son dynamisme. N'est-ce pas que c'est à partir de son port et celui de Mostaganem que transitaient dans un passé pas si lointain, les produits destinés à l'exportation, tels : les vins des zones d'appellation d'origine garantie de Mascara et de Tlemcen, l'orange «Washington navel» de Mohammedia celle «double fine» jadis si prisée, l'artichaut et l'olive de Sig, la viande ovine, la laine, l'alfa des Hauts-Plateaux-Ouest et bien d'autres produits !

Son offre touristique, principalement balnéaire est aussi à élargir dans sa dimension littorale aux zones d'expansion touristique de Mostaganem, d'Ain-Témouchent, de Ghazaouet et de Marsat Ben M'hidi, à inscrire après leur mise à niveau à hauteur des standards internationaux, dans un réseau d'offre complémentaire. À l'échelle de son arrière pays chargé d'histoire, les Wilayas qui servent d'ancrage à l'émergence de son projet métropolitain, disposent de nombreuses curiosités culturelles, architecturales et de plusieurs sites historiques, qui confortent son identité régionale. À ce titre, nous pouvons citer le site de la sablière de Tighennif où furent découverts les ossements du premier homme d'Afrique du Nord, plus de 500.000 ans avant J.C., ainsi que des outils en pierre utilisés par l'Atlanthrope (Homme de l'Atlas).

De nombreux vestiges romains sont aussi présents au niveau des principales villes de la région Ouest, de même que des sites et monuments témoins du rayonnement de Tlemcen, jadis métropole arabo-musulmane du Maghreb central et de bien d'autres cités de cette époque médiévale. Le mémorial de l'Émir Abdelkader et Derdara, cet arbre sous lequel a eu lieu la réunion de tous les notables, chefs de tribus et oulémas de la région de Mascara pour faire allégeance à celui, qui à 23 ans allait devenir le chef de la résistance algérienne, contre l'envahisseur français, sont aussi de hauts lieux chargés d'histoire et d'enseignements, en matière de consultation populaire, de recherche du consensus, de sagesse et de confiance accorder à cette jeunesse dotée du sens du commandement.

Les stations thermales et les réserves naturelles ne sont pas en reste dans cet arrière pays porteur d'espoir et de prospérité. Toutes ces richesses matérielles et immatérielles sont à mettre dans la «corbeille d'offrandes» dédiée à Oran la «candidate» afin de lui permettre de forger son éligibilité au «casting» d'un concours élargi à toutes les grandes métropoles du Maghreb et de la Méditerranée, et où la concurrence n'est pas de tout repos.

A partir de cette intégration spatiale souhaitée, de son maillage infrastructurel en évolution constante, du renforcement de ses pôles d'excellence, et pour peu que les universités de son espace d'influence puissent se mettre en réseau pour y travailler dans la cohérence qui est celle de ce projet fédérateurs des volontés et des initiatives, Oran pourra s'assurer un meilleur positionnement dans la hiérarchie des villes du Maghreb et de la Méditerranée. Il reste que ce projet dans sa dynamique intersectorielle, doit être porté par un nouveau mode d'organisation territoriale, qui est celui d'un espace géoéconomique pertinent de solidarités et de complémentarités et par une ingénierie appropriée à son caractère horizontal, qui peut prendre la forme d'une administration de mission qui fait faire à l'ensemble de ses partenaires, ou d'un observatoire régional de management territorial.

* Professeur