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L'Algérie dans la Méditerranée reconfigurée *

par Rabeh Sebaa

Il faut se hâter, l'Histoire va fermer ! (Henri Michaux)La Méditerranée comme espace d'appartenance partagée, n'est-elle au fond qu'un mythe d'origine, condamné à l'évanescence ? Existe-t-il, réellement, une identité méditerranéenne en partage ? Et pourtant. La mediterraneïté géographique et historique de la région Nord de l'Afrique ne souffre aucun doute. Peut-on imaginer un Maghreb sans Méditerranée et vice-versa ? S'achemine-t-on vers une Méditerranée sans Europe et une Europe sans Méditerranée (1) ?

De toute vraisemblance, les politiques méditerranéennes de l'Europe sont indissociables, voire inconcevables sans les sociétés maghrébines. Le Maghreb a, de son côté, toujours associé étroitement la Méditerranée à l'Europe. Bien que, depuis l'expression de la préférence, affichée et assumée, par celle-ci, pour son flanc Est, une dialectique charriant une vision euro centrée, et non euro-méditerranéenne, s'est mise, ostensiblement, en branle et ne s'est guère démentie depuis (2). Dialectique confortée par le verrouillage forcené des frontières, conjugué à des débats intérieurs récurrents sur les démons de l'Intrusion (minarets, burqua, polygamie, identité nationale?), et qui sont autant de symptômes, au sens clinique du terme, du malaise épouvanté, d'une citadelle, prétendument, cernée de toutes parts. Une citadelle qui assure se prémunir autant des référents culturels envahissants et menaçants, que des appétits aiguisés, que son aisance matérielle suscite, ou attise chez les populations des pays qui l'entourent (3). Depuis la fin du vingtième siècle, cette méditerranée, vue d'Europe apparait de plus en plus comme une palissade roide, hissée sur les vagues agitées du déni. Une muraille bétonnée qui aspire à l'hermétisme (4). Même la binarité géographique référentielle, Nord-Sud, a transmuté en dualité culturelle de confrontation, voire d'affrontement, annihilant tout projet de partage de l'être-là méditerranéen, dans la convivialité(5). Dans cette vision euro centrée, la Méditerranée se présente comme un espace de contingentement, d'imperméabilité, de bannissement et d'obturation, nourrissant un imaginaire de surprotection. L'imaginaire d'une Europe recroquevillée, repliée sur elle-même, clôturée, claquemurée, cloitrée dans sa frousse et son ignorance grandissante de l'Altérité immanente, les voisins de son flanc sud, en l'occurrence. Dans ces conditions, il n'y a aucune surprise à observer l'amenuisement ou l'érosion de sa présence dans cette partie de la Méditerranée, et par voie de conséquence, l'évanouissement ascendant du projet de construction d'une aire euro-méditerranéenne, décemment partagée. Un projet remis au goût du jour par la création de l'Union pour la Méditerranée le 13 juillet 2008 à Paris, mais vite tombé en désuétude. A telle enseigne que le prochain sommet de l'UPM aura lieu le mois de juin 2010 à Barcelone, lieu totémique, s'il en est (6). Ce sommet intervient dans une période cruciale, car l'Union européenne vient juste de mettre en œuvre le traité de Lisbonne. Ce sommet a, indubitablement, pour préoccupation focale, de remettre en selle une UPM moribonde.

Faut-il, alors, s'étonner de voir certains de ces pays réagir à cette volonté entêtée d'obstruction des pores de la Méditerranée ? A la forclusion obstinée de ses horizons ? Et au rétrécissement drastique infligé à ses rivages, qui confine à l'exigüité et à l'étouffement ? Il n'y a aucune surprise à voir un pays comme l'Algérie s'engouffrer dans les brèches d'une « troisième » rive de la Méditerranée reconfigurée. Pour respirer, et échanger avec de nouveaux partenaires, autrement mieux intentionnés. Des partenaires sachant conjuguer partenariat et parité. Cette immersion de l'Algérie dans la rive-tierce amorce ou annonce un mouvement de rupture avec l'Europe, cette Europe.

L'exception algérienne

Dans le triptyque Méditerranée-Europe-Maghreb, l'Algérie a toujours occupé une posture particulière. La société algérienne conserve, encore l'essentiel des divers apports successifs, des différentes dominations qu'elle a connues, tout au long des cheminements tortueux de son histoire. Des dominations de différentes puissances méditerranéennes, toutes accompagnées de représentations culturelles différenciées, en fonction des contextes historiques. Il est à se demander, dès lors, pourquoi des siècles plus loin, les pays européens, et notamment la France, pour des raisons de psychanalyse historique, encore peu explorées ont, souvent, détourné leur regard de l'Algérie ? Préférant souvent l'orienter, voire le poser fixement, sur ses voisins immédiats. Y a-t-il une exception algérienne ? Existe-t-il une représentation particulière ou particularisée de ce pays central du Maghreb, dans l'imaginaire européen ? Ou alors s'agit-il d'une vision fondée sur des calculs politiques et économiques sciemment réajustés ou réévalués en fonction des conjonctures, des intérêts et/ou des enjeux ?

Une triple rupture

Cette attitude, réitérée par nombre de pays européens, vis à vis de l'Algérie, l'accule à une triple rupture avec l'ensemble du vieux continent.

1- Sur le plan politique, notamment par le fait d'être, sempiternellement, considéré comme le mauvais élève de la classe, en matière d'Accord d'association , par analogie avec son voisin marocain, qui bénéfice du statut de membre avancé ou de la Tunisie, qui n'est pas moins choyée. L'Algérie compte aborder avec l'Union européenne la possibilité de revoir certaines clauses de l'Accord d'association lors de la prochaine réunion du Conseil d'Association qui aura lieu le 15 juin 2010 au Luxembourg. Une révision qui s'inscrit dans le cadre du partenariat « gagnant-gagnant » défendu, depuis plusieurs années, par l'Algérie et pour lequel s'exprime une certaine intransigeance (7). La disparité de traitement régional n'en demeure pas moins patente.

A titre illustratif et pour la période entre 2007-2008 on peut noter les écarts suivants : Au titre de l'aide officielle en faveur des pays méditerranéens, financée par le budget de la Commission européenne et par le fonds européen de développement, la distribution(en Millions d'Euros) est la suivante : Tunisie : 103 engagements, 98 paiements ; Maroc : 190 engagements, 225 Paiements ; Algérie : 64 engagements, 63 paiements. Au chapitre de l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP/ENPI), pour 2008, le rapport est le suivant : Tunisie 73, Maroc 163, Algérie 55 Millions d'Euros (8). Les exemples sont légion. Le traitement inégal des trois pays du nord de l'Afrique n'est pas récent et se manifeste dans différents registres économiques et culturels et par différentes attitudes politiques vis à vis de l'Algérie. Ce qui pousse, naturellement, ce pays à élargir son horizon, en diversifiant ses partenaires et ses sociétaires. C'est ce qui se fait, de plus en plus activement, en direction de trois parties du monde, non européennes et non méditerranéennes, constituées par l'Asie, l'Amérique et le monde arabe (infra).

2/ Sur le plan culturel, avec des rejets et des reflux identitaires, changeant de forme et de contenu, selon les conjonctures, et qui ont pour point constant de récuser tout projet euro-méditerranéen, immanquablement confondu ou réduit à sa dimension occidentale. Ce rejet est d'autant plus aisé qu'il n'existe pas de socle méditerranéen ancré dans l'imaginaire sociétal de ces pays, se considérant d'abord comme arabes et musulmans. Hormis un vague sentiment de proximité ou de mitoyenneté géographique, la méditerranée est restée absente de la symbolique d'identification et d'appartenance arabo-musulmane, qui a plutôt priorisé l'unité arabe et la consolidation des liens dans la Ûmma, fondés sur la religion et la langue communes. De ce fait la méditerranée comme espace d'identification n'a jamais été pensée et encore moins célébrée. Il n'existe aucun Braudel dans le monde arabe (9). Il existe, en revanche, des adeptes de l'exhumation cyclique et ritualisée de certaines valeurs prétendument culturelles, puisées dans le fonds arabo-musulman diffus et sustentant bien des ressentiments, parfois exacerbés, contre l'Europe, symbole de l'Occident suffisant et dédaigneux. Des ressentiments qui surgissent, souvent, à l'insu de l'Europe, malgré le tintamarre rugissant sur les démons et les symboles de l'Intrusion, cités plus haut. Ces ressentiments qui sont l'expression actualisée d'un legs civilisationnel fortement embrouillé, revêtent des caractères éminemment culturels, parfois religieux. Mais au-delà des bornages multiples qui existent entre les deux flancs, la plus importante est, sans conteste, d'ordre mental. Elle procède d'une vision d'éloignement délibéré voire d'exclusion déclarée, à l'instar de l'euphémisme, à courte sémantique, subi-choisi, qui confine les rivages extérieurs au nord, dans une altérisation durable conçue comme intrinsèquement incompatible avec la culture européenne. La polémique autour de l'adhésion de la Turquie à l'UE, demeure un exemple édifiant. On ne semble aucunement tirer les conséquences de ce casus belli.

Ce qui amène à reposer constamment l'inévitable question, mentionnée plus haut, de l'Identité culturelle de l'Europe et à laquelle le récent débat français sur l'identité nationale, a ajouté quelques strates épaisses d'opacité et des sédiments denses d'inanité.

En revanche, la volonté de concevoir le projet d'un univers méditerranéen dans sa culturalité plurielle et diversifiée, revient à reconsidérer sérieusement la configuration, et partant la représentation actuelle des relations culturelles euro-méditerranéennes et par extension le rapport d'ambivalence timorée de l'Europe au reste du monde méditerranéen, voire au monde tout court.

3/ C'est sur le plan économique que le divorce, ou tout au moins la séparation de corps, entre l'Algérie et l'Europe est la plus intimement consommée. Même si, deux pays européens, en l'occurrence, l'Italie et l'Espagne, renforcent de plus en plus leur présence, tant sur le plan économique que culturel, au détriment de la France. La diversification des partenaires de l'Algérie, qui s'était déjà amorcée avec les Etats-Unis et le lointain Canada, s'est amplement élargie aux pays de l'Asie, notamment la Chine, la Corée du Sud, le Japon et l'Inde et depuis peu aux pays arabes, rejoint par la Turquie et l'Iran, déjà solidement implantés.

Tous ces pays, et d'autres encore, qui ont pour point commun d'être non européens, sont attirés par les gouffres abyssaux du marché algérien et bien évidemment par la « nouvelle richesse » de l'Algérie, qui est passée, de 2000 à 2010, de pays fortement endetté (près de 35 millions d'euros en 2000) à un tiroir-caisse disposant de 150 milliards de dollars de réserve de change. Situation financière lui permettant d'investir, annuellement, plus de 35 milliards de dollars répartis entre les différents programmes de reconstruction. Le programme quinquennal 2010-2014 est doté de 286 milliards de dollars. Les plus grands bénéficiaires de cette opération de reconstruction tous azimuts sont, sans conteste, le groupe asiatique composé de la Chine, la Corée du Sud, le Japon et l'Inde. A la tête du groupe, la Chine qui s'est imposée dans deux chantiers titanesques, que sont le bâtiment avec des millions de logements et l'autoroute est-ouest couvrant une longueur de 1200 kms pour un coût dépassant les 13 milliards de dollars. Depuis 1999, la Chine, suivie des autres membres du groupe asiatique, a diversifié ses activités les étendant aux barrages, aéroports, hôtels de haut standing, automobile, textile? Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, la Chine vient de ravir, à plusieurs groupes européens, le contrat de reconstruction d'une raffinerie à l'est du pays, pour un montant de près de 400 millions d'euros. Avec cette nouvelle activité, l'Empire du milieu se place au centre névralgique de l'économie algérienne, les hydrocarbures. Le meilleur indice de cette progression s'illustre dans les échanges commerciaux algéro-chinois qui sont passés de 432,7 millions de dollars en 2002 à prés de cinq milliards de dollars en 2009. La Corée du Sud, le Japon et l'Inde, se partageant l'industrie automobile, l'électronique, l'informatique et l'industrie sidérurgique mais affichent leurs appétits pour d'autres secteurs, jusque là investis par les pays européens, comme l'équipement électronique, les télécommunications ou les technologies agricoles.

Le second groupe qui a nouvellement investi l'économie algérienne se compose des pays arabes notamment l'Egypte, l'Arabie Saoudite et les Emirats, répartis entre les télécommunications, les banques, l'hôtellerie et le logement.

Les investissements d'origine arabe en progressé de façon tangible entre 2004 et 2009. Selon l'agence nationale de la promotion de l'investissement, 457 projets d'investissements directs ont été enregistrés, représentant un montant de prés de 26 milliards de dollars. D'une présence discrète, voire détachée, les entreprises des pays arabes ne s'impliquent que rarement dans la vie sociale et culturelle. Ils ont opté, d'emblée, pour le monde de la finance où l'Europe a toujours fait montre d'une frilosité crispée.

L'Amérique balise, l'Europe s'enlise

Le troisième partenaire, non européen, et qui consolide activement sa présence en Algérie, sont les Etats-Unis. En une décennie, soit entre 1999 et 2009, les échanges bilatéraux ont été multipliés par dix et se chiffrent par dizaines de milliards de dollars (10). Les USA ont traditionnellement été présents dans les secteurs des hydrocarbures et la pétrochimie, mais contrairement aux deux autres groupes, asiatique et arabe, cette présence n'obéit pas prioritairement à des logiques économiques. Additivement à la position géostratégique de l'Algérie, deux faits récents, en l'occurrence la lutte contre le terrorisme et les réactions à la création de l'Union pour la Méditerranée, avec les prétentions de leadership français, semblent réorienter la politique américaine dans la région. La lutte antiterroriste devenue, depuis l'attentat de septembre, la préoccupation focale, a vite fait de supplanter le cheval de bataille traditionnel qui était la démocratisation des régimes et la promotion des droits de l'Homme, selon la vision américaine. Sur ces deux volets de la démocratisation des régimes et des droits de l'Homme, notamment au Maghreb où beaucoup reste à faire, les Etats Unis sont de moins en moins regardants, voire frappés de cécité et de mutité. Tout en conservant des relations étroites avec le Maroc et la Tunisie, alliés dociles et inamovibles, les Etats-Unis semblent de plus en plus résolus à traiter l'Algérie en partenaire d'importance. Sans se départir de la nouvelle-ancienne arrière-pensée, consistant à phagocyter les velléités de suprématie de la France, dont les tergiversations et les atermoiements récursifs vis à vis de l'Algérie ne sont pas pour contrarier ce froid et pragmatique calcul (11). Un calcul qui se pare, tant sur le plan diplomatique que commercial, de nouveaux habits que sont la sécurité dans la région et le développement des énergies renouvelables (12). Et comme pour d'autres dossiers stratégiques, l'Europe tergiverse et les USA avancent. Les USA balisent et l'Europe s'enlise. Parmi les réponses américaines récentes aux inconstances pusillanimes de l'Europe, la création du Commandement militaire des Etats-Unis d'Amérique pour l'Afrique -AFRICOM- en 2007, et qui compte s'imposer comme acteur incontournable, pour le traitement de nombre de questions de sécurité, allant de l'Afrique subsaharienne en passant par le Maghreb et s'étendant jusqu'aux confins de la partie Nord de la méditerranée, au détriment d'une Europe de plus en plus ensablée dans un eurocentrisme ankylosé (13). A ce rythme les Etats-Unis d'Amérique, ces non méditerranéens, sont en passe de devenir l'acteur déterminant en Méditerranée, même si celle-ci est, apparemment, scotomisée de leur littérature stratégique. Une attitude qui tranche avec celle de l'Europe, dont l'inflation discursive sur la Méditerranée est inversement proportionnelle à la parcimonie des initiatives en sa faveur. Une Europe qui se noie dans son nombril latin, tandis que son altérité intérieure, ses voisins, et néanmoins anciennes colonies, se sentant délaissés et d'une certaine manière trahis, se tournent, inexorablement, vers d'autres protecteurs qui ont l'intelligence, toute diplomatique, d'endosser la tunique du partenaire ou du sociétaire. Ainsi, l'Europe figée dans ses stéréotypes et succombant à ses propres truismes, semble incapable de saisir ce train d'évolution qui menace sa propre existence en tant que puissance. Un exemple fort illustratif est bien celui du traité de libre échange signé entre les Etas unis et le Maroc, abonné européen féal, dit à statut avancé. Les Etats-Unis, déjà fortement présents dans la région, en Egypte avec la fameuse aide annuelle de deux milliards de dollars, en Algérie avec tous les projets cités plus haut et dans toute la Méditerranée avec la VIe flotte, à laquelle s'ajoute, à présent, l'Africom, enfoncent un autre clou géostratégique, grâce à ce traité de libre-échange avec le Maroc, pourtant européophile patenté. Par ailleurs, le projet américain de Grand Moyen-Orient, du Maroc aux Etats du Golfe, et qui devait, normalement, sonner l'alarme en Europe, n'a suscité que quelques réactions mitigées. Et même si ce projet de Grand Moyen Orient semble connaître, en apparence, une phase de latence, l'intention qui lui avait donné naissance est toujours en effervescence. Ce qui est notable dans cette offensive américaine, et contrairement à la vision globalisante de l'Europe, il existe pour les USA, un système de places, pragmatiquement distribuées entre les différents pays du Maghreb. Après la signature de cet accord de libre échange avec le Maroc, offrant des aides substantielles du compte Millennium Challenge, la Tunisie est devenue la nouvelle plaque tournante américaine pour le soutien logistique des gouvernements impliqués dans la lutte antiterroriste. L'Algérie, quant à elle, et en passe d'endosser le rôle de nouveau pôle de la double sécurité énergétique et maritime dans l'échiquier régional. Cette percée américaine dans la région, intègre intelligemment la Lybie et la Mauritanie pour jouer d'autres rôles et remplir d'autres missions dans ce système de places savamment élaboré.

L'Euro-méditerranée, une promesse inaboutie ?

Pendant ce temps, le projet d'une aire euro-méditerranéenne, appelée à devenir à l'horizon, décalé, 2010-2020, une vaste zone de libre échange et de prospérité économique (ZLEEM), est encore à l'état d'abstraction. Encore une échéance qui restera, sans doute, lettre morte, comme bien des serments et des jurements mort-nés, de la charte du processus de Barcelone. De toute évidence la promesse euro-méditerranéenne ne saurait se réaliser tant qu'une vision ou une représentation d'antagonisation, voire d'antinomisation habite durablement les rapports de l'Europe avec ses partenaires méditerranéens. Cette représentation d'opposition, qui tend à se banaliser, anéantit toute possibilité d'une mediterraneité apaisée. Une mediterraneité retrouvée. Elle ruine les fondements des attaches complexes et diversifiées qui se sont tissés à travers l'histoire. Des attaches qui se trouvent, fortement embrouillées, mais qui refusent de s'estomper, malgré les dissonances et les discordances proclamées. Il est patent que des différenciations et des diversifications, de toute nature, habitent et agitent les rivages chamarrés de la méditerranée. On ne se lassera jamais de le répéter, elle est le lieu d'un entrelacs enchevêtré où s'imbriquent des nuances et des dissemblances, mais c'est aussi un nœud d'interstices où s'accomplit rituellement, mais séparément, un même amarrage. Il est, par conséquent, toujours possible de concevoir, au-delà des invocations du rite et des évocations du mythe, un dessein euro-méditerranéen en partage. Il est, surtout, souhaitable de se donner, Hic et Nunc, les moyens sincères et loyaux de le réfléchir ensemble. A charge pour l'Europe de « se reméditerranéiser », selon la belle formule d'Edgar Morin (14). Car si l'Arc latin est en passe de perdre la mémoire, l'âme vaillante de la Mare Nostrum semble, pour le moment, encore inaltérée.

Notes

* - Une partie de ce texte a fait l'objet d'une publication dans la revue Confluences-Méditerranée N° 74

1- On consulter avec intérêt les numéros de la revue Confluences-Méditerranée, consacrée à la question dont notamment N°12, Mouvements islamistes en Méditerranée, N°28, Méditerranée, l'inévitable dialogue ; 2000, N°35 Euro-méditerranée, un projet à réinventer ; 2002, N°40 La Méditerranée à l'épreuve du 11 septembre ; 2006, N°58, Eau et pouvoirs en Méditerranée ; 2007, N°63 La France et la Méditerranée, sans compter l'ensemble des numéros qui ont pour substantifique matière les questions méditerranéennes..

2- Voir le texte, plus actuel que jamais, de Thierry Fabre l'Occident contre la méditerranée, éléments pour une approche géoculturelle in l'Europe et la méditerranée, CM ° 7 Eté 1993, pp 143-153

3- Selon les données admises par l'U.E, la Méditerranée de l'Union européenne, représente près de 20% dans le commerce mondial, la Méditerranée du dénuement, à peine 4%. En termes de produit national brut par habitant, la Méditerranée européenne pèse six fois plus que l'ensemble des pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée réunis.

4- Il est à se demander pourquoi une certaine Europe s'insurge, à juste titre, contre la muraille israélienne érigée en Palestine et semble frappée de cécité devant la barricade européenne dressée en méditerranée ?

5- Voir Claudine Rulleau et Paul Balta, La Méditerranée berceau de l'avenir, Les Essentiels, Ed Milan, Toulouse, 2006, pour la fibre culturelle enthousiaste qui traverse tout l'ouvrage

6-Sur les inquiétudes, les incertitudes et le chemin qui reste, encore, à parcourir depuis Barcelone, voir Bichara Khader L'Europe pour la Méditerranée : De Barcelone à Barcelone (1995-2008) Ed. L'Harmattan, Paris, 2009 ainsi que Roberto Aliboni et Fouad Ammor, Du PEM à L'union méditerranéenne, Euromesco papers N°77, 2009

7- « l'Algérie n'intègre pas la Politique européenne de bon voisinage, mais nous poursuivons le dialogue sur l'ensemble des chapitres...

Sur les 110 articles que comprend l'Accord d'association, il nous est permis de réclamer des adaptations lorsque cela est nécessaire. », déclare le Ministre des affaires étrangères algérien, lors de la visite du Commissaire à l'Elargissement de la politique européenne de voisinage à Alger, début juin 2010 in El Watan du 07 juin 2010 pp5.

8- Ces données sont extraites des tableaux A1 et A2 in Med.2009-L'année 2008 dans l'espace Euroméditerranéen,- Institut Européen de la Méditerranée (IEMED-CIDOB), Pages 409-410. Sur bien des aspects, ici, à peine effleurés, on consultera avec intérêt cet ouvrage fort documenté de l'IEMED-CIDOB-2009.

9- Fernand Braudel a consacré l'essentiel de son effort intellectuel à la Mare Nostrum, au point où son œuvre est devenue synonyme de la méditerranée. Dans l'un de ses ouvrages, au titre évocateur, pour cette livraison, Mémoires de la Méditerranée, (Editions de Fallois 1998), il souligne, déjà, l'existence de deux parties méditerranéennes différenciées, l'une occidentale l'autre orientale, qui n'ont pas évolué conjointement et dont les divergences civilisationelles sont allées crescendo. Les ratages euro-méditerranéens présents sont-ils l'une des formes de manifestation actualisée de ces divergences ?

10- Les données chiffrées et les rapports financiers, concernant les trois groupes, en compétition dans l'arène économique algérienne, livrés dans la présente contribution, tirent leur source de l'Agence Nationale pour le Développement de l'Investissement (ANDI), des rapports du Conseil National Economique et Social (CNES) et des bulletins des Ministères des Finances et du Commerce.

11- Hayète Chérigui, La politique méditerranéenne de la France, entre diplomatie collective et leadership Ed. L'Harmattan, Paris, 1997, avait bien indiqué les points de précarisation de cette politique, qui ont l'air de perdurer.

12- Fin avril 2010, s'est tenue à Oran la conférence des 5+5 regroupant l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Lybie, la Mauritanie, la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et Malte, consacrée au dossier des énergies renouvelables. Cela montre bien que l'Europe a, enfin, compris l'importance de l'enjeu. Ce sommet s'est soldé par la décision de création d'un Observatoire méditerranéen des énergies nouvelles situé à Oran. Encore un mirage.

13- Sur les volets sécuritaire et stratégique voir Lesser,

Ian O Rediscovering the Mediterranean:

A Transatlantic Perspective on Security and Strategy, GMF Policy Brief, 2008.

14- Edgar Morin Penser la méditerranée et mediterranéiser la pensée in Méditerranée, l'inévitable dialogue CM N°28 1998-1999 pp 33-47