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De la difficulté de manifester pour la Palestine à Paris

par Pierre Morville

600 morts, pour l'immense majorité, des civils palestiniens, et plus de 3000 blessés, c'étaient les chiffres recensés mardi des pertes consécutives à l'opération «Bordure protectrice» lancée le 8 juillet dernier.

Partout dans le monde se sont déroulées des manifestations condamnant la nouvelle agression d'Israël contre la bande de Gaza. A New-York, Chicago, Las Vegas (!), Londres, Bruxelles, Berlin, Madrid et même à Tel Aviv, on avait le droit de manifester contre l'intervention militaire parfaitement illégal de l'armée israélienne, c'était en revanche interdit à Paris, samedi dernier, contrairement même à l'autorisation donnée dans de nombreuses autres villes de France. Du coup, comme dans toute manifestation interdite, des affrontements ont eu lieu, opposant dans la confusion, les forces de police, une poignée de " radicaux " parfois plus antisémites qu'antisionistes, isolés dans la manifestation pro-palestinienne, et des excités de la Ligue de défense juive, organisation d'extrême droite, interdite aux Etats-Unis et en Israël même, mais curieusement tolérée en France. François Hollande avait invoqué alors des "risques pour l'ordre public" pour justifier l'interdiction de la manifestation pro-palestinienne à Paris. "Il ne peut pas y avoir d'importation du conflit en France, il ne peut pas y avoir des manifestations qui se font face et des risques pour l'ordre public", avait expliqué le chef de l'Etat.

Comme importateur de polémiques inutiles et externes, le Chef de l'Etat n'avait pourtant pas brillé. La première réaction officielle de l'Élysée arrive par voie de communiqué, mercredi 9 juillet, après un entretien téléphonique entre François Hollande et Benyamin Netanyahou. Selon Le Monde, le premier ministre israélien avait été agacé par la position exprimée par le gouvernement français quelques heures plus tôt, à l'issue du Conseil des ministres. Le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll avait alors dénoncé "une accélération à la fois des tirs des Palestiniens et de la riposte de la part d'Israël".

Dans son communiqué, le chef de l'État prenait clairement parti, en exprimant "la solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza" et en condamnant "fermement ces agressions".

"Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces", ajoute Hollande, martial. De tels propos lui valurent les critiques ouvertes ou (très peu) voilées de nombreux députés de sa propre majorité. S'en suit dans les jours qui suivent une phase de " rétropédalage " médiatico-politique, renvoyant alors dos-à-dos, les roquettes du Hamas (un mort recensé) et les missiles israéliens (beaucoup, beaucoup plus efficaces).

Restait l'inévitable épouvantail de l'antisémitisme pour interdire des manifestations pro palestiniennes, brandi plus que de mesure par Manuel Valls, 1er ministre de son état et qui se déclarait en 2011, " lié, de manière éternelle, à la communauté juive et à Israël ". Se lier de façon éternelle à la communauté juive française, c'est un devoir pour tout citoyen français, et a fortiori pour un 1er Ministre. Le " lien éternel " à Israël en revanche, est plus problématique?

Les perpétuels excès du gouvernement Netanyahou

Rappelons une nouvelle fois, au cours de cette énième polémique à l'occasion de toute critique à l'égard de l'état israélien, qu'il faut condamner toute forme d'antisémitisme comme il faut lutter contre toute forme de racisme. Rappelons également et une nouvelle fois que les Arabes sont des sémites. Notons enfin que l'imbécillité réactionnaire n'est l'apanage d'aucun peuple et que les déclarations de nombreux représentants du Likoud, de Netanyahou, et surtout de son ministre des Affaires étrangères, l'ultra Avigdor Liberman, feraient passer Marine le Pen pour un gentille démocrate, un brin trop progressiste :en 2009, Liberman critiquait ainsi l'opération " Plomb Durci " (qui précédait l'opération " Bordure protectrice ") pour l'insuffisance des moyens employés pour vaincre le Hamas et appelait implicitement à détruire Gaza par l'arme nucléaire en déclarant : " Nos devons continuer à combattre le Hamas comme les États-Unis ont combattu les Japonais durant la Seconde guerre mondiale? La conquête du Japon alors n'avait pas été nécessaire ".

Si de très nombreux juifs dans le monde se sentent naturellement solidaires de l'Etat d'Israël, beaucoup ne sont pas pour autant aveugles. Le 9 juin 2013, s'est déroulée à New York, l'une des plus grandes manifestations critiques vis-à-vis de l'Etat israélien que le monde n'ait jamais connues.

Des dizaines de milliers de citoyens juifs américains, majoritaires dans le défilé, et nombre d'autres américains de souches différentes ont traversé la 5ème avenue, protestant contre l'occupation illégale des territoires palestiniens. Cette manifestation est passée inaperçue en raison du mutisme aussi bien des médias américains qu'internationaux.

Pas un seul mot sur un événement sortant de l'ordinaire dans un Occident toujours officiellement " repentant " pour ce qui s'était passé en Allemagne nazie et ailleurs...

La "repentance" vis-vis de la tradition antisémite occidentale, explique-t-elle cette solidarité continue avec le gouvernement de Netanyahou, le plus réactionnaire qu'est connue la démocratie israélienne ? La géopolitique donne des clés plus réalistes. Face à un Orient plus que troublé par des conflits inter-islamiques, notamment avec des guerres civiles en Syrie et en Irak, la persistance d'une exigence démocratique généralisée dans le monde arabe, Israël malgré sa quête perpétuelle de nouveaux territoires à coloniser et son irrespect total des droits de la population palestinienne, apparait néanmoins comme un " avant-poste " sûr du même Occident. Mais les Israéliens eux-mêmes devraient se méfier du cynisme des grandes puissances, toujours prêtes à sacrifier par réalisme, leurs troupes supplétives?

Une " manif " pour la Paix et la création d'un Etat palestinien, se déroulait hier soir à Paris. Espérons que les Parisiens ont pu défiler dans le calme, pas sous la pluie et dans le respect du droit de manifester?