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Le spleen des Français (suite et fin)

par Pierre Morville

Tout va mal ! Et en plus, on n'a pas gagné la Coupe du Monde?

14 juillet ! La « Fête-Nat » française tire son origine d'une double célébration : le 14 juillet 1789, les Parisiens prenaient et détruisaient la Bastille, alors une prison, sonnant le glas de la Royauté et des privilèges exorbitants de l'aristocratie de l'époque. Le 14 juillet 1990, c'est la Fête de la Fédération, qui est censé saluer « l'Union » des Français, vivant dans la liberté, l'égalité et la fraternité.

224 ans plus tard, le compte n'y est pas tout à fait, tant sur la suppression des privilèges que sur une quelconque « égalité sociale ».

Côté Monde, le patrimoine total détenu par les habitants de la planète est estimé à 240 900 milliards de dollars en 2013, selon les données du Crédit Suisse dans son rapport Global Wealth Databook -2013 soit une moyenne de 51 634 dollars par individu. Ce patrimoine est réparti de façon profondément inéquitable : 83,3 % est détenu par seulement 8,4 % de la population dont le niveau de fortune est supérieur à 100 000 dollars. Les 1 % les plus fortunés contrôleraient pas moins de 46 % du patrimoine mondial total. En revanche, ceux dont la valeur de leur patrimoine est inférieure à 10 000 dollars (68,7 % de la population mondiale) disposent seulement de 3 % de l'ensemble.

En France, les écarts sont un peu moins sensibles, mais quand même ! 10% des Français les plus riches possèdent 48% de la richesse nationale ! Ces chiffres sont furieusement proches de la situation à la fin de l'Ancien Régime, avant la Révolution ! Les nobles, le clergé (2,5% de la population) et les bourgeois, (ces trois catégories pesant 10% de la population), s'accaparaient plus de 50% des revenus ; les artisans, commerçants et laboureurs (20% de la population) possédaient 28% des richesses ; les autres actifs, 70% de la population, (domestiques, paysans pauvres, ouvriers?) se partageaient le reste.

L'autre tradition du 14 juillet français est l'inévitable causerie télévisuelle avec le Président de la République. Cette année plus que les autres, la prestation tenait beaucoup de la Méthode Coué, « tout ne va pas bien, mais ça va quand même mieux et ca ira encore mieux demain.. ». La méthode Coué ? C'est une sorte de prophétie auto-réalisatrice qui tire son nom des travaux du pharmacien français Émile Coué de la Châtaigneraie (1857 - 1926), resté fameux dans les annales de l'optimisme a tout crin.

EUROPE : GROSSE PANNE DEMOCRATIQUE

François Hollande la jouait très positif mais pas trop, lors de son entretien avec les journalistes, le 14 juillet. La reprise économique ? « Elle est là mais elle est trop fragile, trop hésitante, trop vulnérable ». La promesse de l'an dernier « d'inverser la courbe du chômage », avec aujourd'hui 3,3 millions demandeurs d'emploi ? « C'est un objectif, ce n'est pas venu. J'aurais pu m'arrêter là. On va au contraire donner une nouvelle impulsion ». La méthode miracle ? Le « pacte de responsabilité », et le Président maintiendra son cap : « soutien aux entreprises, économies budgétaires, baisse d'impôts pour les ménages, tout est connu, rien ne sera modifié ». Si les mesures bénéficiant aux entreprises sont déjà en chantier (sans faire remonter ni les investissements, ni l'emploi?), les baisses d'impôts éventuelles restent très imprécises et seront fort limitées. En revanche, les économies budgétaires pèsent déjà lourd dans l'activité : « Selon Valérie Rabault, rapporteur socialiste du Budget, laquelle aurait pris ses sources auprès des économistes du Trésor, les économies budgétaires que le Gouvernement serait en train de faire voter pourraient conduire à la destruction de 250.000 emplois jusqu'en 2017. En contrepartie, les entreprises, du fait du Pacte de responsabilité, pourraient créer 190.000 emplois en rehaussant la croissance de 0,6% par an. Le bilan serait donc négatif » note l'économiste Jean Matouk.

Si le Président de la République française semble parler dans le vide, c'est qu'il ne veut pas ou ne peut pas sortir du discours libéral européen. Issue de la crise financière américaine de 2008, la crise s'est élargie à l'Europe, plus que dans n'importe quelle autre partie du monde, en devenant une crise économique et sociale. Pour y répondre, rigueur et austérité partout mais le sociologue Michel Wievorka pointe les résultats : « Chômage, exclusion, précarisation à la hausse » et menaces de faillites de certains pays de l'UE. Du coup, les peuples européens « n'y croient plus » comme l'a montré la forte abstention aux dernières élections européennes, et la crise a revêtu deux visages supplémentaires, note le sociologue, d'une part, l'idée d'une panne de l'Union Européenne, critiquée pour son incapacité à assurer la reprise économique, et pour son fonctionnement techno-bureaucratique, au plus loin des citoyens. D'autre part, celui du déclin des systèmes politiques contemporains. « Au désaveu général des élites politiques, vite taxées d'impuissance et de corruption ? « tous pourris » ?, s'est ajoutée l'image de partis et de responsables en place installés dans des idéologies et des modes de fonctionnement interdisant de penser une réelle opposition entre gauche et droite, et favorisant finalement l'accroissement des inégalités et l'abandon des couches populaires. »

Comme le remarque un économiste pourtant très libéral et ancien analyste financier, Charles Gave à propos des phases de dépression économiques, celles-ci « sont souvent marquées par des révolutions ou des émeutes qui sont rarement favorables à la paix civile ou au remboursement de la dette mais qui permettent de virer les incompétents qui sont à l'origine de la situation et donc de redresser la situation. À quel moment va-t-il y avoir ? enfin ? une révolte contre la tyrannie eurocratique, bien malin qui pourrait le dire. Par contre, il est tout à fait certain que la révolte des peuples européens contre cette soi-disant élite que personne n'a jamais élu et qui nous impose un projet dont personne ne veut plus, n'est plus très loin ». Un peu excessif, surtout pour un ancien banquier?