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Bouteflika a prêté serment mais c'est le système qui s'est adressé à la nation

par Reghis Rabah *

Juste après avoir terminé de répéter la dernière phrase de son serment «que Dieu m'est témoin de ce que je dis», des youyous retentissent du fond de cette immense salle du Palais de la nation au Club des pins pleine à craquer. Est-ce un signe d'une victoire partisane ou un soulagement de voir le nouveau président passer ce parcours de combattant sans ambages ?

Visiblement très fatigué, l'air grave, parfois évasif lorsque les phrases deviennent longues, il avait répété sous la dictée du président de la cours suprême, 93 mots et dit de lui-même une dizaine pour terminer de lire quelques lignes afin de remercier ceux qui ont voté pour lui sans oublier de faire l'éloge politiquement correctes de ses concurrents malheureux. Une toute première page d'un discours de 14 pages en arabe et 10 en français distribué aux assistants et à la presse et dont la tonalité a été reprise par la présentatrice de la chaîne de télévision publique dans les différents journaux. Ceux qui l'ont commenté ne sont autres que le parti unique et ses excroissances ainsi que les organisations de masse comme l'union des femmes, la jeunesse, les étudiants et les scouts. D'autres personnalités ont aussi rappelé la nécessité d'une stabilité pour pouvoir mettre en place une réelle démocratie. Il s'agit entre autres de Menasra, Louisa Hanoune, la présidente du croissant rouge, les chanteurs laâmari, Cheb Khaled etc. Le discours annonce des réformes « réchauffés », celles de 2011 et notamment celle de la révision de la constitution après avoir bien entendu faire le tout pour renforcer une entente nationale pour franchir de nouvelles étapes cette fois-ci qualitatives vers la démocratie. Toutes les forces politiques devront y participer pour marquer l'importance de cette entreprise vitale dans l'histoire de l'Algérie. Cette loi fondamentale visera selon le discours de renforcer la séparation des pouvoirs, de conforter l'indépendance de la justice et le rôle du parlement. Elle compte affirmer cette fois-ci le rôle et la place de l'opposition et « garantir d'avantage les droits et libertés des citoyens » Les autres chantiers concerneront selon le chef de l'Etat ce qui a été commencé, à savoir, l'amélioration de la qualité de gouvernance et poursuivre la reculade de la bureaucratie sans oublier bien entendu de promouvoir la décentralisation avec une nouveauté qui consisterait « d'associer la société civile dans la gestion de la collectivité locale. » Sur le volet économique, le discours répète le générique de la diversification de l'économie en complémentarité aux ressources fossiles. Ce n'est que de cette manière que son programme luttera efficacement contre les disparités régionales. Ce programme économique lance un clin œil en faveur des wilayas qui étaient au rendez-vous le 17 avril et notamment celles du sud et des Hauts plateaux ainsi que les régions montagneuses. Il confirme le soutien de l'Etat au profit de l'agriculture et des investisseurs potentiels « qu'ils soient publiques ou privés.» l'orientation extérieure et aussi paradoxale que cela puise paraître est le fait que l'Union Maghrébine devient maintenant une priorité et un idéal à réaliser. Pour le président et c'est certainement vrai, ce mandat va être entamé avec un très grand sacrifice pour la patrie étant donné la dégradation de son état de santé. Pour les présents tout cela c'est du déjà entendu sauf lorsque le discours arrive au chapitre de l'Armée Nationale Populaire que « le peuple pourra compter sur elle et ses services de sécurité pour protéger le pays de toute tentative de subversion ou criminelle. » Cela met fin à la guéguerre des clans au pouvoir. Le système sorti vainqueur le 17 avril a réussi de trouver un terrain d'entente pour enterrer définitivement la hache de guerre. Il a donc su faire sa propre purge afin de retrouver son équilibre comme d'habitude. On verra certainement dans les prochains jours les récalcitrants qui ont tenté de fissurer l'ordre établi payer la facture. Donc la démocratie, la liberté des citoyens, le front pour le changement, oui ! Mais rien ne se fera en dehors du système. Il faut souligner par ailleurs que tant que les politologues tenteront de modéliser le régime Algériens, ils aboutiront à des conclusions à côté de la plaque. Il n'y a ni fatalité ni désespoir, le système a réussi habillement à se perpétuer comme de coutume et Bouteflika n'est qu'un pion comme tous les autres. Donc il n'y a aussi ni impasse politique, ni les prémisses d'une révolte et encore moins un danger en perspective. Les candidats malheureux se rangeront dans le système pour d'autres, ils oublieront leurs déboires. Le président prendra le temps qu'il faut pour recouvrir sa santé, les ministres sauf ceux qui désisteront d'eux mêmes retrouveront leurs portefeuilles respectives et tout continuera comme avant. Pourquoi ? Parce que la rente irrigue les vaines du système en place et tant qu'il y aura du pétrole, il n'y aura aucun changement. Quel est le pays au monde où un jeune, pour ne citer que cela se réveille à 10 heures du matin, se targue une concession pour en faire un parc au vu et au su de toutes les autorités qui ferment les yeux pour entretenir un climat social. Pourquoi ce marchand informel, le cambiste du marché parallèle de devise ou cet industriel qui profite des subventions de l'Etat voudront-ils un changement ?

1- LES SPECIFICITES DE L'ALGERIE PAR RAPPORT AUX PAYS DU PRINTEMPS ARABES

Il faut peut être préciser au passage que tous les soulèvements dans les pays dans le cadre de ce qu'on pourrait appeler communément le printemps arabe, ont commencé pour des raisons économiques. L'idée de liberté et de démocratie est venue un peu plus tard à travers un processus communicatif d'échange par le net à travers le monde. L'Algérie n'en fait pas exception à quelques nuances près. En octobre1988, la crise économique due à l'effondrement des prix du pétrole et des cours du dollar ont fortement affecté le pouvoir d'achat des algériens. La grève de Sonacom de Rouiba, l'affaire de l'escroquerie des banques par des fils de hauts responsables ont été les ingrédients suffisants pour un ras ?le- bol de la population. En Tunisie, Bouazizi s'est immolé parce que l'extraversion à outrance de l'économie sous le régime Ben Ali a crée une misère qui a fortement humilié la population tunisienne. L'étalement de la fortune des Trabelsis à travers tout le territoire Tunisien devait accélérer les choses. En Libye, la tribu de Maâmar faisait la loi et transférait une part importante de la rente vers l'étranger et à son propre profit. Le déclic de la révolution devait apparaître à partir d'un cas de Hogra au tribunal de Benghazi. L'Egypte de 2010 était au bord de la faillite économique. Les caisses de l'Etat étaient chroniquement vides. Selon un journaliste libre Abdellah Skandar, vivant actuellement aux Etats-Unis, Moubarak et son équipe réfléchissait sur une possibilité de plantation et de commercialisation de la drogue pour renflouer les recettes publiques. Heureusement qu'il y a eu la révolution de 25 janvier 2011 sinon avec ses 85 millions d'habitants, ce pays aurait pu devenir la plaque tournante du trafique de drogue dans le monde. Avec tout cela, le président se permettait de lancer ses enfants dans la politique pour l'hérédité du pouvoir. En Syrie, les mesures libérales adoptées en 2005 ont eu trois effets négatifs : une augmentation des inégalités sociales ; l'exclusion sociale de plus en plus diffuse dans les banlieues de Damas ; la dégradation des conditions de vie de la population. Au même titre que les autres pays sus- cités, l'étalement des richesses de la famille Assad ont précipité la révolution. La nuance évoquée plus haut est le fait qu'à la différence de l'Algérie, ces pays ont un champ politique rempli. Il y existe une élite politique. Ils se débattent maintenant dans la recherche de compromis pour relancer leurs économies. Cala peut prendre du temps mais ils y arriveront tôt ou tard. Ce n'est pas du tout le cas de l'Algérie, la scène politique, est amorphe, dominée par le système rentier qui s'agrippe au pouvoir. Ce système est formé d'opportunistes du parti unique et de ses excroissances qui en voulant perpétuer l'ordre établi, résistent, voire même refusent les changements. Cette configuration contrairement aux autres pays du printemps arabe est largement entretenue dans le cas de l'Algérie par la rente. Le secteur privé encre ses ventouses pour puiser dans la manne financière en profitant d'un marché tout acquis sans aucun effort de marketing encore moins de créativité. Pendant que les citoyens consomment et s'endettent sans penser au lendemain, ces privés préparent leur avenir outre mer à travers des transferts illicites en faisant fondre cette manne. Les millions de fonctionnaires se sont repliés sur eux-mêmes pour faire « tout » afin récupérer la part qui leur revient de la rente. Les jeunes se confondent dans l'informel, seule voie pour un gain facile. L'effort d'aide des pouvoirs publics aux couches défavorisées à travers le processus de subvention va au bénéfice des habitants des frontières avec les pays voisins dans la contrebande opérée par des algériens eux-mêmes etc. Personne ne produit et tout le monde est content de son sort d'aujourd'hui sans penser aux générations d'après. Dans cet ordre établi, chacun en définitif trouve son compte. Donc il ne peut y avoir de changement tant que la rente est là pour faire fonctionner le système. C'est pour cela que jusqu'à présent il n'y pas eu un engouement populaire pour cette présidentielle pour la simple raison que personne n'aspire ou œuvre pour le changement. Très peu de personnalité charismatique a émergé du champ politique avec un programme pour assurer une autre alternative. Les efforts méritoires du Dr. Benbitour n'ont apparemment pas convaincu grand monde et son sociogramme n'est toujours pas bouclé pour des raisons diverses entre autre son appartenance au système pour avoir gérer avec l'équipe au pouvoir tout au début. Said Sâadi a jeté l'éponge, Hamrouche ne veut pas confronter le système. Enfin Benflis qui rêvait d'une élection libre et transparente s'est trouvé trahi par ses propres surveillants facilement encanaillés par le système. Pendant que les analystes ici et ailleurs se noient dans les scénarios conflictualistes en ennuyant les citoyens avec leurs clans au pouvoir, le système de gouvernance se perpétue en toute tranquillité.

2- TOUS LES MOYENS SONT BONS POUR LA CONTINUITE DU REGIME

Pour des raisons évidentes voire même logiques, on a tenté de démontrer que la démarche politique et économique actuelle n'est pas rejetée par la population comme les boycotteurs le laissent entendre. Comment ? Les troupes au pouvoir ont réussi leur coup de force en s'entourant d'une assise et d'un socle favorable á la continuité d'un énième mandat.

Pendant que les autres concurrents politiques continuent de rêver des élections propres et transparentes, rien que les traditionnels partis politiques alliés au chef de l'Etat, à leur tête le FLN, le RND et le PT auxquels se joindront le TAJ de Amar Ghoul et le MPA de Amara Benyounes, nouveaux satellites de la galaxie présidentielle ont pu assurer une victoire à plus de 82%. Il ne faut pas oublier les effets des différents comités de soutien qui se sont multiplieraient dans l'ensemble des wilayas. Ils ont eu un appui inconditionnel de l'administration local pour faire la fête d'une quatrième victoire comme les scrutins antérieure. Il faut rappeler qu?à chaque affaire de corruption qui surgit, un des proches se trouve cité pour le moment à tord ou à raison (BRC, Khalifa, autoroute est-ouest, Sonatrach I et II etc.). La mise sous contrôle du ministère de l'intérieur, celui de la justice et les services clés de la DRS ont permis dans le contexte politique actuel de coopter ceux qu'on voulait pour seconder le président malade, et ce, dans le cas où les choses n'évolueront pas comme prévu. Sa présence en permanence n'est pas jugée opportune. En effet, il s'est absenté de la scène politique depuis plus de sept mois mais rien ne s'est concrètement passé, même si on évoque des dossiers bloqués, tout fonctionne normalement. Le leader politique, Moussa Touati n'a-t-il pas déclaré il y a de cela 7 mois que l'appareil fonctionnait mieux sans Bouteflika ? Comment une classe politique qui ambitionne un changement peut-elle «gober » un discours de circonstance en rotation de 180 degrés. En effet, le gouvernement remanié dit exactement le contraire de ce qu'il disait il y a moins d'un an et il y arrive à obtenir facilement l'adhésion populaire. Ainsi le secteur de l'habitat qui se débattait pour trouver des assiettes foncières afin de satisfaire les demandes de 2001/2002, prétend aujourd'hui avoir livré 1200 000 logements entre 2004 et 2011 et qu'il est en mesure de répondre favorablement aux 900 000 souscripteurs de l'AADL. Le ministre de l'énergie, le 24 février 2013 au forum d'El moudjahid alertait l'opinion publique sur une croissance importante de la consommation interne qui pourrait, si elle persiste sur ce trend de contraindre le pays de basculer d'ici une décennie du state d'exportateur à celui d'importateur net. Son secteur pourrait, selon ses récentes sorties, doubler les réserves des hydrocarbures en une décennie. Début de l'été de la même année, face à une légère diminution du prix du baril de notre brut fortement concurrencé sur le marché américain par le pétrole de schiste, le ministre des finances devait briller par son appel à la rigueur pour les équilibres budgétaires. Maintenant, selon lui, même si les prix du baril descendent jusqu'au seuil de 71 dollars, il n'y a aucune crainte pour équilibrer les budgets. Selon le nouveau ministre de l'intérieur et des collectivités locales, on peut récupérer sa carte d'identité nationale le temps de prendre un café etc. Ces discours sont très productifs dans notre système social entretenu par la rente pétrolière. Le peu d'Algériens qui ont compris cette situation et pense agir par leur silence en s'abstenant se leurre car abstention ou pas, les comptes y sont.

Conclusion

Dans le contexte actuel de la composition du champ politique Algérien, il est réellement très peu probable qu'un changement du régime puisse venir par le bas. Celui d'en haut, ne fera que réaménager un changement dans la continuité. La solution donc n'est pas à rechercher dans la démarche du pouvoir en place mais dans la redynamisation du champ politique et la société civile. Il faut absolument qu'il ait une émergence de leaders porteurs d'alternatives crédibles pour créer un déclic populaire sous forme d'une prise de conscience pacifique mais politiquement productive en suscitant une adhésion massive. Et tout cela en dehors du système.

* Consultant et Economiste Pétrolier