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Audiovisuel : Et maintenant... Que faire ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Fin mars 2014, on dénombre près ou plus de 30 chaînes de télévision «algéro-étrangères» diffusées par satellite (dont 1 sportive qui a déjà réservé l' emplacement, mais qui n'émet, pour l'instant, aucune émission, 1 spécialisée dans la mode et la cuisine, 1 autre spécialisée dans les émissions destinée aux enfants, 3 diffusant de la réclame (des cartes de visite publicitaires fixes sur fond musical) , 3 circonstancielles liées à l'élection présidentielle (une avec des images «en mouvement» soutenant franchement le candidat A. Bouteflika et deux autres, avec seulement des images fixes sur fond de musique et de discours, et que l'on dit «cadeaux» - imposés sans l' accord préalable des concernés, dit-on, mais que ne dit-on pas en cette époque de rumeurs et de vérité effarantes - d'un homme d'affaires ( un malin qui a le sens des affaires !Mais, c'est quoi, pour lui, 4 à 6 000 dollars par mois au total durant un ou deux mois ?) aux deux candidats Bouteflika et Benflis? et toutes les autres, pour la plupart, faisant de l'info'....en continu ou non(et parfois des films, de la musique assurément, et des incontournables prêches religieux...). Quant aux radios, il n'y en a, pour l'instant, que sur la Toile.

Alea jacta est ! Le sort en est jeté. Il faut seulement espé-rer que ce ne soit pas le plus mauvais et que nos décideurs politico-administratifs ne fassent pas traîner plus que de raison l'application du texte récemment promulgué sur l'activité audiovisuelle en Algérie (Joradp n° 16 en date du 23 mars 2014). Bien d'entre eux rétorqueront qu'après 24 ans de disette communicationnelle (c'est-à-dire depuis la loi d'avril 90 qui avait libéré, aussi, le paysage audiovisuel, mais qui, juste au moment où elle allait être mise en œuvre pour cet aspect-ci, et l'état d'urgence aidant, tout avait été renvoyé aux calendes grecques? «algériennes» serait un terme plus approprié, les pauvres grecs étant dans une autre mélasse), ce ne sont pas quelques petits six mois ou douze qui causeront du mal.

De toutes façons, la loi si attendue est, par ces hasardeuses situation et démarche économiques qui ne se rencontrent qu'en Algérie, (regroupé sous le terme générique «l'informel»), devenue presqu'inutile, sauf pour les juristes «pinailleurs» et les éternels chercheurs de poux sur les têtes de chauves.

Aujourd'hui, en pleine campagne électorale pour les présidentielles, on ne compte pas moins d'une trentaine de chaînes (ou programmes) de télévision «algériennes», dont 27 (si le compte est bon) ont pour siège social une adresse à l'étranger (Jordanie, France, Emirats, Suisse...), les cinq autres étant les programmes de l'unique chaîne du secteur public. Et qui, par le plus simple des tours de passe-passe (encore peut-on franchement qualifier de «tour» une pratique largement usitée, celle de l'informel, presque officialisée, dans notre économie : le change de devises en plein jour dans la plupart des grandes villes avec des lieux et des cambistes connus de tous, services de sécurité y compris, le système éducatif parallèle avec ses cours de soutien offerts contre paiement par des enseignants, la médecine parallèle avec ses médecins qui diagnostiquent dans le public et opèrent dans le privé, des ministres ou des hommes de pouvoir qui décident à l'avance qui doit avoir tel ou tel marché et ce bien avant que l'appel d'offres ne soit lancé...) sont bien présents sur le marché national de l'information (avec ou sans des bureaux et personnels accrédités selon la législation en vigueur régissant les journalistes étrangers opérant en Algérie, la seule qui existe de manière permanente, pour l'instant). La production audiovisuelle étant totalement libre sur le sol national, la magie d'internet aidant, la publicité passant par les maisons de production et/ou de publicité installées en Algérie, la cause est entendue. Ni vu, ni connu? La loi, bien que n'étant pas respectée, est largement contournée. Bof, le pays n'est pas à un viol près !

Plusieurs interrogations dont deux essentielles : Pourquoi tout ce «remue-business» ? Et, surtout, comment se sortir de ce bourbier du «trabendo audiovisuel» pour emprunter à Salim Ferdi, et retrouver sans casse les chemins de la légalité (surtout pour les employés, entre autres, qui ne souhaitent nullement voir se renouveler l' «expérience» de Kalifa Tv et qui viennent de connaître, récemment, le chômage après l'arrêt d'Atlas Tv. On sait, aussi, qu'après les élections, et un ministre, fervent soutien de A. Bouteflika, a déjà laissé entendre que beaucoup de «comptes» seront réglés par la suite. Gare aux tièdes, aux opposants, aux contestataires et à tous ceux qui veulent rester objectifs ou au-dessus de la mêlée !)? Faudra-t-il «régulariser» tout le monde et n'appliquer les textes que pour les tout nouveaux acceptant de s'installer en Algérie (comme cela s'était fait avec le Csi qui avait validé l'existence de tous les titres de presse écrite, pour la plupart en français, parus avant son installation, alors que le texte de loi exigeait, aussi, une édition en langue arabe ) ? Faudra-t-il obliger tout l'existant à revoir sa copie organisationnelle ? Un véritable sac de nœuds.

Première question ! Les plus sceptiques d'entre les observateurs et analystes spécialisés sont catégoriques. Tout a été fait (comme dans d'autres domaines) afin de permettre aux amis et autres soutiens, politiques et/ou affairistes, journalistes, publicitaires, réalisateurs, artistes et chanteurs... de se préparer, de se placer (marchés de la diffusion, mais aussi de la production des programmes et de la publicité? les plus juteux, en tout cas les plus prometteurs), de se positionner et d'en profiter (et de faire profiter, cela va de soi)

Les moins sceptiques favorisent la thèse de l'incompétence et de l'incapacité de l'Etat à gérer des situations innovantes ou délicates, préférant, comme d'habitude, et ce malgré le nombre de ses diplômés, s'appuyer sur «la gouvernance du bon sens paysan», laisser le terrain faire et défaire les situations? et n'intervenir qu'en fin de parcours. Coup double ! Apparaître en sauveur de situations désespérées ou entremêlées et, dans la foulée, imposer sa façon de faire et de voir à des gens soit repus, soit lassés ou acculés.

En tout cas, en matière de communication, il n'était plus question de laisser se renouveler l'expérience de la presse écrite qui avait profité de la (courte et petite) parenthèse hamrouchienne des réformes pour prendre son envol, et du même coup, se libère, peu à peu, difficilement mais sûrement, de l'emprise de l'Etat. Tous les jeux ou manipulations et autres manœuvres ou menaces des pouvoirs n'ont jamais pu faire revenir tout ce beau (et jeune) nouveau monde à «l'âge d'or» (sic !) de la presse (écrite) aux ordres et des «fonctionnaires de la vérité». Chat échaudé craint l'eau froide, dit-on. L'Histoire de la communication nationale reste à écrire... mais l'on sait déjà que c'est juste au moment où le Csi, créé par la loi d'avril 90, avait commencé à travailler sur la libéralisation de l'audiovisuel, qu'il avait été «supendu» sans explications (l'état d'urgence étant une excuse facile) et ses attributions tranférées au ministère de la communication de l'époque. Plus de 20 années de disette audiovisuelle!

Seconde question ! Pour la future Autorité de régulation qui ne saura pas où «donner de la tête», tout particulièrement quand il s'agira d'examiner les dossiers des chaînes existantes, déjà bien placées (bien introduites ! bien soutenues !) sur l'échiquier politique national (le public étant une autre affaire) : Vont-elles déménager en Algérie... avec siège social... et comptes en banque ? Vont-elles accepter, facilement et rapidement, de changer de contenu afin qu'il soit adapté au futur cahier des charges (un cahier des charges ? qui réglemente une mise en œuvre - qui sera encore plus précis que la loi elle-même qui ne fait qu'énoncer des fondamentaux), tout particulièrement en matière de thématique (s) traitée (s) ? Ne vont-elles pas vouloir continuer à avoir un pied ici et l'autre ailleurs? pour ne pas être totalement sous la coupe d'un Etat encore assez «interventionniste» (exemple récent d'Al Atlas), pour conserver un certain «pouvoir d'influence» à partir de l'étranger et aussi, parce qu'elles n'arriveront pas à se déshabituer d'une «harga» qui leur a, jusqu'ici, bien réussi. Certaines chaînes ont déjà commencé à expérimenter leurs «doubles». Principe de précaution !

Toutes les Autorités de régulation prévues n'y pourront rien? au départ et mettront bien du temps, et avec beaucoup de dégâts, avant d'enregister des succès bénéfiques pour la société et l'intérêt général? comme pour le service public du secteur public.

Le politologue Chérif Dris a bien résumé la situation, en conclusion d'une étude récente sur le marché de la presse en Algérie, sur la loi relative à l'information de 2012 et sur le système de régulation («ni une co-régulation, encore moins une autorégulation? et, forcément, une hétéro-régulation») : «Même dans une économie qui se dit de marché, l'emprise de l'Etat reste prégnante (?). En aucun cas, l'Etat ne semble disposé à laisser le marché de la presse se réguler lui-même. In fine, l'autonomie du marché algérien de la presse (?) reste une perspective bien lointaine».

Mais, l'essentiel n'est?il pas de commencer ?

En espérant de véritables «Assises» ou «Etats généraux», sorte d'Assemblée constituante, de la Communication, faut-il donc attendre que la vague de l'informel, dans le domaine de la télévision et de la radio (il ne faut pas l'oublier, celle-ci, encore tapie, «mahgoura» et attendant son heure? et des fréquences), grâce tout particulièrement à l'utilisation combinée satellite-internet, et à des coûts de diffusion de plus en bas, nous inonde? ?

Le drame, c'est que parmi nos «trabendistes de l'audiovisuel», beaucoup sont plus préoccupés par leurs «affaires» (commerciales et politiciennes) que par l'intérêt général. On le voit déjà : sur la trentaine de chaînes de télévisions algéro-étrangères satellitaires, cinq ou six sont strictement commerciales et publicitaires. Ne manque plus qu'une chaîne spécialisée dans le courrier du cœur (le «soft» existe déjà au sein même de certaines chaînes avec un cheikh Chemssou assez osé bien souvent) et plus (du «hard» ?), si affinités. On y pense, on y pense ! On peut freiner le progrès d'une société, mais rarement l'arrêter et encore moins l'usage? avec ses dérapages, par les individus, des technologies (en constant renouvellement) de la com'.