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La personnalisation et l'individualisation du pouvoir

par Yazid Haddar

La personnalisation du Pouvoir existe en même temps que la démocratie. Mais leur coexistence n'est pas pour autant définitive. La personnalisation du Pouvoir est-elle un nouveau signe de l'affaiblissement des régimes en voie de la démocratisation ?

Pour répondre à cette question, il est important de faire une distinction primordiale entre l'individualisation et la personnalisation du Pouvoir. Le phénomène de l'individualisation du Pouvoir a été observé par les auteurs contemporains sur l'exemple des dictatures fascistes. Un individu exerce le Pouvoir en dehors des cadres habituels de l'Etat. Ce n'est pas un hasard qu'Hitler comme Mussolini, Kadhafi et d'autres aient choisi leur qualification en dehors des titres traditionnels des régimes constitutionnels; le Führer, le Duce, le Guide ou le Père de la nation, voulaient être des chefs au sens le plus absolu et non pas seulement des chefs d'Etat ou de gouvernement.

Dans cette perspective l'individualisation du Pouvoir s'oppose directement au Pouvoir institutionnalisé. Il n'en est pas de même de la personnalisation du Pouvoir. L'homme d'Etat qui détient le Pouvoir se place dans les cadres constitutionnels.

Sa personnalité émerge sans doute des institutions, mais n'en fait cependant pas abstraction. Le Pouvoir personnalisé s'accommode des structures constitutionnelles; le Pouvoir individualisé les détruit ou les ignore. C'est seulement en considération de cette différence fondamentale qu'on peut déterminer l'influence de la personnalisation du Pouvoir sur les régimes démocratiques. La rencontre du Pouvoir personnalisé et de la démocratie ne date pas seulement du siècle dernier, elle était à l'époque romaine.

La personnalisation du Pouvoir est un paradoxe des sociétés politiques contemporaines. Au moment même où l'exercice de l'autorité devient plus complexe, qu'elle s'étend par force à tous les domaines, on confie à un homme seul la tâche redoutable de diriger l'Etat, écartant l'avantage du partage du travail institutionnel (par la séparation des trois pouvoir : juridique, législative et exécutives) qu'assuraient des institutions variées et coordonnées.

L'avènement des dictatures avait permis aux auteurs libéraux, aussi bien que fascistes, de démonter le mécanisme de la succession d'un Pouvoir individualisé à un Pouvoir institutionnalisé. Si le processus n'est plus aujourd'hui exactement le même, puisque la personnalisation du Pouvoir n'a pas détruit le régime démocratique, mais cherche au contraire à s'y intégrer, les causes ne sont pourtant pas tellement différentes. Il faut d'abord tenir compte d'une constante, la tendance naturelle des gouvernés à réclamer que l'autorité s'incarne en un homme. Cette tentation toujours présente s'est trouvée actualisée par une nouvelle crise de la démocratie. Les hommes ont toujours éprouvé le besoin de voir l'autorité s'incarner en une personnalité. Les sociologues, qui en avaient déjà fait l'observation dans les sociétés primitives, ont retrouvé la même tendance dans les régimes politiques modernes. Un siècle de lutte contre le gouvernement personnel et le triomphe à peu près total de la démocratie à la fin du 19ème et de début de 20ème siècle allaient amener paradoxalement les penseurs libéraux à regretter - sans le dire- le temps où le Pouvoir s'identifiait à un individu, humainement responsable de la conduite de l'Etat. Le regret de la disparition des personnalités manifestait aussi la tendance naturelle à vouloir qu'existe un responsable, un être humain qu'on puisse louer et surtout blâmer de la réussite ou des échecs du gouvernement de l'Etat.

Alors qu'une élite, pourtant entraînée à la pensée démocratique et institutionnelle, se laissait aller à la tentation d'identifier le Pouvoir à un homme, il aurait été contraire à la nature des choses que l'opinion non avertie puisse y résister. On a souvent affirmé l'inclination permanente dans certains pays à confier l'exercice et la responsabilité du Pouvoir à un « homme providentiel ». Cependant, les conditions institutionnelles est garante d'une stabilité politique et elles permettent de limiter l'exercice d'un « homme providentiel ». Le leader doit respecter les règles fondamentales de la démocratie. Néanmoins un tel principe n'est pas sans poser quelques problèmes d'application délicats. C'est ainsi que l'élection populaire ou le referendum, qui trouvent leur place dans le cadre du leadership, comportent le risque de tourner au plébiscite.

A terme de cette réflexion, comme je l'ai souligné dans mes précédant articles, le temps est venu pour préparer une nouvelle forme de gouvernance, en conséquent la naissance d'une seconde république est primordiale. Ceci dit, cette nouvelle forme de gouvernance devrait être soumise à des règles et au suffrage universel, c'est-à-dire, le vote. Puisque le citoyen doit être acteur de la gestion politique et la solution ne peut émane endors de sa volonté. Sans responsabilité de la gestion de la cité, il n'y aura pas de maturité de la citoyenneté.