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Nation en otage, condescendance et dévotion

par Mazouzi Mohamed *

Pour l'union des Algériens. Pour leur union autour de la rente et du profit. Qu'ils soient reconnaissants au sauveur de leur nation. Qui les a nourris, logés et délivrés de la terreur! Voilà ce à quoi nous avons accoutumés et assujettis les algériens. Et tel sera ce logos/leitmotiv de cette campagne présidentielle et de toutes les précédentes. N'oubliez jamais ce qu'on a fait pour vous, les miracles et les faveurs, les largesses et les privilèges. Non, détrompez-vous ! Ce ne sont pas des droits. Vous resterez éternellement débiteurs à l'égard de vos seigneurs et maîtres .On vous fera constamment sentir que vous êtes rivés au statut de mendiant dont le sort ne dépend que de la magnanimité de vos protecteurs, de vos sauveurs.

Hélas ! Le monde n'a pas tellement changé. Nous pensions très loin ce système féodal avec sa tourbe insignifiante qui vivotait à l'ombre des seigneurs, guettant désespérément ce que leurs mains généreuses pouvaient laisser choir.

On peut aisément expliquer n'importe quelle fatalité de ce genre, il suffit pour cela de faire l'inventaire des rouages qui lui sont intrinsèques : Une menace (endémique si possible). Un peuple aux abois (en permanence si possible). Un sauveur. (qui en appelle d'autre de toute évidence). Et c'est ainsi qu'apparaissent les cultes, la dévotion et les divinités. Et c'est ainsi que prospèrent des systèmes politiques immuables dans le fond et dans la forme. Tel fut pitoyablement le destin de ce pays.

En 1962, on a voulu éviter une guerre civile à ce peuple qui venait de s'affranchir de 130 années de servitude. On a donc remis en place un culte de la personnalité avec les tares qui lui sont propres, une véritable calamité qu'on s'est auparavant échiné à combattre avec tant de peine.

Quelques années plus tard le destin y met son grain de sel et contrarie la volonté des hommes. Les monarques autoproclamés s'entredéchirent. Certains finiront leur parcours glorieux assignés à résidence tandis que d'autre subiront une interruption de règne inopinée due à une maladie hélas imprévisible.

En 1977, personne ne pouvait prévoir ce scénario catastrophe pour un peuple aux abois face à une menace opiniâtre. Suite à des tractations dont le peuple était complètement exclu comme toujours, le système pondra le dirigeant le moins désavouable. Un répit provisoire pour un peuple avide de gadgets. Le temps passe en tissant insidieusement la trame de la débâcle et de la discorde jusqu'au jour ou un sauveur d'un autre type frappera à la porte. Autoproclamé émissaire plénipotentiaire de Dieu il replongera le pays dans l'inquisition et la terreur du moyen-âge.

De nouvelles tractations se mettront en place et les affaires reprennent car la menace est toujours là, le peuple est toujours aux abois et le sauveur bivouaque dans les parages.

1999 - Une époque pleine de promesse s'annonce, le nouveau régime s'installe, miné de l'intérieur car trop méfiant, possessif, vindicatif et berné. De l'argent coule à flots instillant dans le cœur des gens de la convoitise et de la haine. Nous pensions que cet " Etat pourri " sur lequel le président avait trébuché en 1999 allait disparaître par enchantement. Ni ses menaces, ni son regard courroucé, ni son doigt pointé vers le ciel ne parviendront à nettoyer la saleté morale qui régnait et qui règne toujours.

2014 - Aujourd'hui les menaces sont multiples et multiformes, elles sont au Sahel, de part et d'autres chez nos voisins et frères limitrophes, à l'intérieur du pays. Des narcotrafiquants, des terroristes, des islamistes d'importation, des barons de l'import-import, des envieurs de tout bord, Bref ! On se ligue pour la razzia et la décadence. Une nuée de sauterelles ravageuses.

Un fléau qui incite de nouveau à la prudence, à la cohésion et nécessairement encore une fois à un sauveur et à un " statu quo " reconduit jusqu'à nouvel ordre.

Il ne s'agit pas de savoir si notre société est ou pas pour un quatrième mandat. Il s'agit de savoir si un jour cette nation serait en mesure de produire des hommes d'état interchangeables et enfin aisément disposés à nous concocter un autre sort loin de ces fatalités menaçantes et infantilisantes.

La disparition du prophète n'a ni hypothéqué l'essor de l'Islam ni empêché d'autres serviteurs et hommes d'Etat de voir le jour et de régner dans un esprit de lumière et de justice. Ce n'est pas le prophète qui a trimballé l'Islam aux confins de l'Indus, installé les merveilleux jardins de l'Alhambra, inauguré la Maison de la sagesse à Baghdad. C'est tout simplement le message d'un homme qui n'a fait que transmettre la volonté de Dieu sans essayer à aucun moment de se substituer à lui. Le prophète n'a jamais pensé que sans lui la terre cesserait de tourner. Au contraire , pour mettre fin à la panique et au désordre qui risquaient de se propager à l'annonce de sa mort, son plus fidèle compagnon, Abû Bakr As-Siddîq eut l'extrême intelligence et sagesse de balancer ces vérités que chacun de nous devrait méditer longuement : " Quiconque adorait Muhammad qu'il sache que Muhammad est mort et quiconque adore Allâh qu'il sache qu'Allâh est Vivant et qu'Il ne meurt jamais. " Il récita ensuite la Parole d'Allâh : " Muhammad n'est qu'un Messager - des messagers avant lui sont passés -. S'il meurt ou s'il est tué, retournerez-vous sur vos talons ? " Sourate- Âl `Imrân- verset 144

Alors, à mon tour de vous poser la même question, comptez-vous procéder à la cryogénisation de vos présidents ?

Peut-être que le prophète Moïse croyait-il qu'il réussirait de son vivant à introduire son peuple dans cette foutue terre promise dont tout le monde bavait de désir. Dieu en a voulu autrement. Nous pouvons penser que le libérateur des Hébreux a du avoir quelques déceptions sachant qu'il allait mourir sans avoir accompli entièrement sa mission, enseveli dans l'anonymat en plein désert, coincé entre cette maudite Egypte et cet Eden qui refusait de surgir, laissant son peuple indiscipliné et impénitent sans foi ni boussole. Dieu y pourvoira. Les hommes ne sont que des instruments.

Nous disons à nos présidents immortels, à nos partis uniques, à nos sauveurs et à nos hommes providentiels qu'ils peuvent aller en paix, le peuple algérien sera capable de retrouver sa voie ou d'affronter d'autres sorts moins cléments.

Avec des milliards de dollars, fallait-il un très grand génie pour construire des autoroutes, des usines de dessalement, des barrages, des logements ? C'est ce foutu algérien de demain qu'il fallait construire. Toutes les richesses de la terre n'y viendront pas à bout de ce chantier gigantesque.

Comment ose-t-on nous balancer avec une telle condescendance que l'Etat nous a construit des routes et des logements comme si cela relevait du miracle et de la seule mansuétude de ce système providentiel, alors que ces réalisations ne sont que le fruit d'une transformation due à nos pétrodollars. On construit des routes depuis le moyen âge et tous les troglodytes de la terre disposent d'un logis. Il n'y a aucune fierté à caser des gens dans des cages, ça les rendra probablement heureux pour un temps. Les faire sortir à la lumière, les débarrasser des mythes de la caverne, voilà ce qui aurait été un exploit. Le plus grand des privilèges, c'est de les affranchir de leurs aliénations et de ce syndrome de Stockholm qui courbe leurs échines et ploie leurs genoux.

S'il y a bilan à faire, ce n'est sûrement pas celui d'un système qui a consommé son troisième mandat et s'apprête hypothétiquement à convoler en quatrième voyage de noces.

C'est le bilan d'une époque révolue, d'un état d'esprit obsolète, d'une mentalité miteuse.

On se rappellera de ces héros comme ceux qui nous ont nourris et logés comme si nous avions été jusque là qu'un ramassis d'affamés et de gueux.

 Je doute que l'on se soit débarrassé de la mentalité " Kech Bakhta ou Fnajel Meriem ", pour reprendre les termes du Président Abdelaziz Bouteflika

En conclusion, il est utile de rappeler que toutes ces calamités évoquées plus haut ne nous sont pas tombées du ciel, la fatalité n'a absolument rien à y voir, ce n'est pas non plus l'œuvre d'une main étrangère. Nous en sommes les artisans exclusifs.

Nous avons produit un parti unique et une militarisation du pouvoir, un absolutisme qui fera le lit au terrorisme qui à son tour reproduira une remilitarisation du pouvoir et un autre absolutisme. Un cycle ininterrompu d'effets pervers. Et ainsi de suite, de l'absolutisme à l'intégrisme, c'est ce à quoi on a toujours exposé cette nation.

En ces temps si confus où l'on risque fort bien de se méprendre sur les intentions des gens, de leur attribuer des arrières pensées ou une quelconque allégeance dissimulée. Je dois vous avouer qu'il y a quand même, et aussi bizarre que cela puisse paraître, de nombreux algériens au profil apolitique et agnostique, qui ne sont affiliés ni à un syndicat, ni à aucun parti politique, ni à aucun cénacle de minables thuriféraires. De ceux qui font discrètement la prière chez eux. Qui n'ont pas besoin de porter de Kamiss et des babouches pour rentrer en communion avec leur seigneur. Ces algériens qui façonnent le patrimoine immatériel de ce pays .Ceux qui n'ont jamais détroussé leurs prochains ou dilapidé les biens de " Beït el-mel ". Ceux qui se terrent chez eux et qui n'ont pas encore volé un seul dinar. Mais ceux-là même qui sont hantés par une certaine idée de la justice et de la vérité.

* Universitaire