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Un moment d'anthologie

par M. Saadoune

Ahmed Abdel Zaher, l'attaquant d'Al-Ahly qui a fait le geste de «Rabaa» après avoir marqué un but contre le club sud-africain Orlando Pirates, entrera à coup sûr dans l'histoire.

En levant sa main quatre doigts tendus, pouce replié, il a fait un geste symbolique que de nombreux Egyptiens - il est impossible de les évaluer dans un contexte de répression généralisée - persistent à faire et à refaire. Les Frères musulmans ont perdu le pouvoir mais le symbole de Rabaa - place du grand massacre qui a suivi le coup d'Etat - connaît un succès qui nargue l'autorité.

Les réactions furieuses allant parfois jusqu'à exiger l'arrestation et l'emprisonnement du joueur voire la déchéance de sa nationalité montrent à quel point la prétendue «seconde révolution» du général Sissi est peu sûre d'elle-même. Quatre doigts levés, un pouce replié, ce n'est pas un crime. C'est pourtant ce que les médias égyptiens suggèrent de manière délirante avec des commentaires pompeux et parfois complètement fous ! C'est probablement la spontanéité même du geste du joueur qui gêne et met en fureur ces médias égyptiens devenus des instruments de la chasse aux sorcières et de la délation. Etre un Frère musulman ou penser, sans en être, qu'ils sont injustement réprimés, est devenu le pire des crimes. Critiquer la «Sissimania» est devenu insupportable aux médias en guerre contre une partie des Egyptiens.

L'humoriste Bassem Youssef a découvert la ligne éditoriale de la régression après s'être un peu moqué de ce culte du général en cours dans les médias. La direction de la télévision l'a débarqué au nom de sa «politique éditoriale». Tout comme les dirigeants d'Al-Ahly, soucieux d'être en «règle» avec le pouvoir, ont décidé de le faire avec Ahmed Abdel Zaher. Il est à vendre ! La liberté d'expression est écrasée en Egypte. Seuls les aveugles pouvaient croire que les Frères musulmans en seraient les uniques victimes. La diversité médiatique a été cassée immédiatement après le coup d'Etat avec la fermeture des chaînes et des journaux islamistes ou présumés tels. Il ne reste plus que des laudateurs. La manière avec laquelle les télévisions égyptiennes ont traité du cas Ahmed Abdel Zaher est un moment d'anthologie dans l'histoire, fertile, des médias de ce pays. Un insupportable unanimisme qui annonce des temps sinistres pour la liberté d'expression.

Il est vraiment bien loin le temps où les révolutionnaires de place Tahrir décrétaient qu'aucune limite à la liberté d'expression n'était tolérable. Certains de ces acteurs ont choisi de se taire et de ne plus parler. A défaut du courage, il reste la pudeur.

D'autres se sont transformés en idéologues forcenés de la répression et de l'exclusion avec souvent un discours méprisant contre ceux qui ne pensent pas comme eux. Il suffit d'un geste, quatre doigts levés, pour qu'ils se mettent en furie et hurlent à la trahison. On dit que le général Sissi, qui se prépare à être président, a demandé une «sanctuarisation» de l'armée pour une durée de 15 ans. Il peut demander plus. Les «révolutionnaires» d'hier sont prêts à donner un demi-siècle de plus au régime de Moubarak qui a repris la plénitude de ses habitudes.