Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Du dur métier d'être candidat aux côtés de Bouteflika

par Kamel Daoud

Dans ce vieux métier de survie, entre l'ongle à ronger et l'ancêtre à éviter des yeux, se faire porter candidat aux prochaines présidentielles pendant que Bouteflika est vivant et que les Algériens sont morts est difficile. Cela use rien que d'y penser et la montagne du douar vous le déconseillera, avec ses souvenirs de maquis : cela ne sert à rien de faire quelque chose dans ce pays tant que les martyrs sont vivants et les peuples morts. Passons. Lorsqu'au matin d'hier vous vous êtes décidé à vous porter candidat pour 2014, vous le saviez : votre femme en rira, vos amis vous regarderons avec agacement (rien ne change, rien ne va, tout arrive, selon la sagesse nationale) et vous vous retrouvez seul et unique dans un monde plat et sans épaisseur. Disons que vous avez réussi à convaincre femme et amis et proches. Il vous restera à vous convaincre vous-même : en Algérie, chacun est d'abord l'ennemi de soi avant les autres. Vous ne vous croyez pas. Vous ne croyez pas que cela servira à quelque chose ni que cela ira loin ni que cela va changer le pays. Face au régime, on a presque tous l'habitude de partir en croisade noble, serein, convaincu mais défait et habitué au crash. S'opposer est un glorieux suicide dit le fatalisme national. Ensuite, même en étant président, on croit encore que l'on ne pourra pas l'être entièrement, durablement ou efficacement. Bouteflika avait commencé par dire « je ne veux pas être les trois quarts d'un président » et n'a pas dit « je ne veux pas que l'Algérie soit la moitié d'un pays ». D'abord sa carrière avant la terre.

Les candidats en Algérie doivent vaincre le régime avant de devenir Présidents et quand ils sont Présidents, ils doivent vaincre le peuple. Le piège aux deux bouts.

Ensuite, vous sortez de votre village, slogan en tête, argent en poche et téléphone à la main. Là, le premier piège est le régime : il ne s'oppose pas à votre état de candidat mais risque de s'en servir avec vous, contre vous. Le régime chez nous a fabriqué un étrange modèle de président unique avec alternance dans la candidature des concurrents, pas dans la présidence. Depuis trois mandats on eut une douzaine de candidats et un seul Bouteflika.

Disons que vous réussissez à sortir du village, la question sera : qui vous connaît ? Personne. Etre candidat suppose l'accès à la télévision, aux médias, radios, journaux, salles de meeting, cafés maures, rues et esprits. Là, tout appartient au régime et le dernier (l'esprit) appartient aux imams, payés par le régime. Vous n'avez pas accès à la visibilité avec un régime qui ferme les images et ouvre le vent. Vous serez candidat mais aux yeux de votre épouse, proches, amis et deux villages ou trois journalistes et sept messalistes vieux. Un lièvre dans un bocal. Disons que vous réussissez à entrer dans le casting et à faire parler de vous, il vous reste les papiers. Tout candidat alternatif à Bouteflika en Algérie est un sans-papiers. On vous trouvera des défauts comme Nahnah, un traître comme Djaballah, un dissident comme Saïd Sadi, un Betchine comme Zeroual. C'est la règle. Ensuite, quand vous arrivez enfin au dernier tour du stade, essoufflé, fatigué, désespéré, tenté de rejoindre le FN en France et l'extrême droite mondiale à cause des « arabes » qui demandent tout et ne font rien, il vous restera les trois épreuves majeures, comme dit hier ; les trois déités qui longent le chemin, tuent les candidats dans les œufs et décapitent les têtes et découragent les navigateurs : Belaïz, Louh et Medelci.

Les trois têtes du même corps sont là pour faire refluer le candidat vers le ventre de sa mère et décourager les opposants, les indésirables. Sauf à se faire passer pour Mohand Saïd, vous ne passerez pas, jamais. Un jour très lointain. Le conseil constitutionnel invalidera votre existence au point que vous douterez de la rencontre de votre père avec votre mère. Le ministère de l'Intérieur recomptera les voix jusqu'au moment où vous perdrez la votre. Le ministre la Justice vous dira que c'est exact mais que ce n'est pas vrai, ou le contraire. A la sortie du village vous pesiez 79 kilos, à l'arrivée chez lui, il vous dit que selon la balance vous en êtes à 21 kg. C'est le poids lièvre, pas le poids président. A la fin, vous auriez été candidat à la candidature. C'est tout et pas plus. Les conditions sont draconiennes : si vous ne possédez pas une région ou un avion vous ne pouvez pas être président ou même candidat. Vous le pouvez mais dans vos rêves. Peut-être dans celui de votre femme en cas d'amour, mais pas plus. C'est un dur métier que d'être candidat à côté de Bouteflika.

Même assis sur une chaise, l'homme paralysé et usé, c'est vous, pas lui.