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La tentation du putsch

par Abed Charef

Coup de force, « coup d'Etat médical », la tentation est forte chez certains courants, pressés d'en finir avec l'ère Bouteflika. Mais ce n'est pas aussi facile.

Mohmed Mechati nourrit visiblement une vieille nostalgie. Comme beaucoup d'Algériens de sa génération, et d'autres, plus jeunes, il estime qu'une situation politique bloquée doit être résolue par la force. Depuis le précédent de 1954, les auteurs de coups de force auraient toujours raison. En se révoltant contre la vieille garde de Messali Hadj et contre les membres du comité central du MTLD, les activistes de l'OS ont ainsi instauré le culte de l'action. Et c'est ainsi que soixante ans après le 1er novembre, M. Mechati appelle les « décideurs » du pays à agir, une fois encore, pour forcer le destin. Comme ils l'ont fait souvent, en 1962, en 1965, et en 1992.

Reprenant la formule utilisée dans la déclaration du 1er novembre 1954, M. Mechati apostrophe les patrons de l'armée. «Vous qui avez choisi et imposé cet homme et qui l'avez déclaré élu puis réélu, faussement et sans scrupule», leur dit-il, vous devez « agir vite », car « il y va de la survie de notre pays », qui subit « les conséquences d'une pratique despotique, autoritaire et dictatoriale de son pouvoir». M. Mechati appelle ainsi à destituer «ce président que les Algériens n'avaient pas librement choisi », et qui « a usé et abusé de son pouvoir exorbitant pour mettre à son service exclusif les institutions de l'Etat ainsi vouées à fonctionner à sens unique, dans son seul intérêt et celui des siens».

Abdelhamid Mehri avait bien résumé cette manière de penser. En 1954, ceux qui avaient décidé de prendre les armes avaient raison, a déclaré M. Mehri, cité par Boukhalfa Amazit. Mais par la suite, il y a eu une sorte de glissement, qui a débouché sur une nouvelle manière de penser. On a abouti à un nouvel axiome, selon lequel ceux qui ont les armes ont raison. C'est presque du Pascal qui, reconnaissant que l'homme n'ayant pu faire que la justice soit forte, a fait que la force soit juste.

Cela ne signifie pas pour autant que les auteurs des appels à un coup de force pour accélérer la succession de M. Bouteflika se réclament, ou s'inspirent de Pascal. Leurs préoccupations sont beaucoup moins philosophiques. Le général Mohand Yala, ancien commandant de la marine nationale, un officier austère, qui a rendu publique une brillante analyse sur la dérive de l'économie algérienne, a lui aussi lancé un appel à mettre fin à la présidence de M. Bouteflika. Il porte de graves accusations contre le chef de l'Etat, et prône un coup de force en bonne et due forme pour mettre fin à l'aventure.

Chafik Mesbah, qui navigue entre sa qualité d'ancien officier supérieur du DRS et celle d'analyste politique, en propose une version un peu différente : il veut ramener l'ancien président Liamine Zeroual au pouvoir, pour une période de transition de deux ans, en y mettant la forme. Ce n'est pas un coup d'état en bonne et due forme, car il y met précisément les formes -tout doit se dérouler conformément à la constitution, qui sera changée après coup-, mais ce n'est pas non ce qu'on pourrait appeler un choix libre.

Noureddine Boukrouh, qui a retrouvé ses talents de polémiste après s'être perdu en politique, proteste contre ce goût prononcé du pronunciamiento, mais propose quelque chose qui est très proche. Il propose un processus complet, avec amendement de la constitution par le conseil des ministres en vue d'introduire un poste de vice-président, vote du parlement, désignation du nouveau vice-président et, à partir de là, le président Bouteflika peut, soit partir, soit être congédié. Tout ceci doit se dérouler entre initiés, dans le cadre d'un processus si souvent décrié par M. Boukrouh lui-même, qui n'accorde aucune place au « ghachi » dans cette démarche. Dans un ultime geste de condescendance, il laisse au parlement la faveur d'adopter la nouvelle constitution, un parlement qui a été pourtant envahi, selon lui par « manehabba ou dabba » (n'importe qui).

Ce goût prononcé pour le putsch a dominé l'histoire récente -et ancienne- du pays. Il se maintient encore aujourd'hui, en 2013, signe que le pays a échoué sur le plan institutionnel. Il n'a pas réussi à mettre en place des institutions et des mécanismes performants en vue de définir les règles pour accéder au pouvoir, pour l'exercer et pour le quitter. La tragi-comédie qui se joue aujourd'hui autour de la santé de M. Bouteflika l'a bien montré : face à une situation de crise, les dirigeants algériens réagissent de manière absurde, avec des méthodes totalement décalées.

Mais à l'heure actuelle, en raison de la conjoncture interne et internationale, il semble toutefois très difficile d'envisager un nouveau putsch. Le pays supporterait difficilement un tel choix, qui passerait mal chez les partenaires de l'Algérie. Mais dans le même temps, il est évident que l'Algérie n'est pas mûre pour une élection libre, honnête et loyale. Aucun acteur influent n'est réellement prêt à cette alternative.

Entre les deux hypothèses -le coup de force, non souhaitable, et l'élection libre, impossible-, il n'y a pas beaucoup de marge pour organiser la succession de M. Bouteflika. C'est pourtant dans cet espace, très réduit, que tout se jouera.