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LES PIEDS SUR TERRE

par M. Saadoune

En Tunisie, certains acteurs qui tendent, sciemment ou non, à faire de tout et de rien une cause de clivage factice entre «islamistes» et «laïcs» ont trouvé dans le Harlem Shake d'un groupe de lycéens un enjeu de société. Des adolescents d'un quartier chic ont, dans le mimétisme planétaire que permet Internet, organisé une partie de danse délurée au sein de leur lycée. Cette initiative qui relève, au mieux, d'un problème de discipline interne, au niveau du surveillant général ou du censeur, a pris un tour «politique» en raison de la réaction outragée, et outrancière, du ministre de l'Education, Abdellatif Abid, qui a menacé les fautifs d'«expulsion» et le personnel éducatif de sanctions.

 Il faut préciser, ce n'est pas inutile, que M. Abid n'est pas islamiste mais un membre du parti Ettakatol (social-démocrate, plutôt laïc). Mais dans le climat de bipolarisation politicienne, la sortie ministérielle a immédiatement provoqué des réactions acerbes et des appels à défendre le droit d'organiser des séances de «Harlem Shake». La Tunisie s'est offert ainsi une empoignade picrocholine au moment où elle est en recherche d'un gouvernement et d'une Constitution. Ce ministre aurait dû, au mieux, alerter la direction du lycée concerné sur la nécessité de faire respecter les règles du fonctionnement de leur établissement - elles existent partout dans le monde - au lieu de monter en épingle une péripétie anecdotique. Des laïcs, comme lui, mais qui ne sont pas au gouvernement, ont saisi l'occasion de dénoncer une atteinte aux libertés et leur crainte d'un ordre moral médiéval en marche.

 Voilà comment une affaire banale qui appartient au quotidien de l'encadrement pédagogique à l'époque du web est hissée au rang de «bataille du destin». Certains médias y voient un grave enjeu de société en omettant toutefois de souligner que ce n'est pas un «islamiste» qui a déclenché la polémique mais un social-démocrate tout ce qu'il y a de plus laïc. La transition tunisienne lourde de tant de difficultés s'alimente également d'une certaine confusion et chez certains d'une tendance à faire flèche de tout bois. Le Harlem Shake d'un groupe d'adolescents devient à cette aune un peu paranoïaque un enjeu de société. Les Tunisiens, très nombreux, qui sont en phase de «désenchantement» vis-à-vis d'une révolution en butte à de graves difficultés économiques et sociales, ne peuvent que s'en étonner, comme s'il s'agissait à tout prix de détourner leur attention des vrais problèmes.

 IL RESTE QU'EN TRANSFORMANT - PEU IMPORTE QUE CELA AIT ETE OU NON SON INTENTION - UNE DANSE MIMETIQUE D'ENFANTS DE LA CLASSE MOYENNE SUPERIEURE DE TUNIS EN UNE CAUSE DE MOBILISATION NATIONALE, LE MINISTRE DE L'EDUCATION A POLITIQUEMENT FAUTE. MAIS CEUX QUI LE DENONCENT NE SONT PAS TOUS ANIMES PAR UN SOUCI DE DEFENSE DES LIBERTES OU DE LA JUSTE MESURE. EN TUNISIE, LES SALAFISTES POSENT DE SERIEUX PROBLEMES ET L'ETAT TUNISIEN SE DOIT DE LES TRAITER AVEC VIGUEUR AVEC LES MOYENS DE LA LOI. MAIS IL Y A EGALEMENT CEUX QUI N'ONT TOUJOURS PAS DIGERE LE RESULTAT DES ELECTIONS LIBRES ET SONT A L'AFFUT DE LA MOINDRE OPPORTUNITE POUR JOUER LA CARTE DE LA TENSION ET EXACERBER LES CLIVAGES. LE MINISTRE DE L'EDUCATION LEUR A, INUTILEMENT, OFFERT L'OPPORTUNITE DE FAIRE D'UN PROBLEME DE DISCIPLINE SCOLAIRE UN INDICATEUR DE REGRESSION SOCIETALE. MAIS SANS GRAND SUCCES, LE «GRAND» HARLEM SHAKE PREVU POUR VENDREDI DEVANT LE MINISTERE DE L'EDUCATION N'A PAS RASSEMBLE GRAND MONDE. APRES LE RIDICULE MINISTERIEL, IL Y A L'ECHEC DE SON INSTRUMENTALISATION. LES TUNISIENS SONT NOTOIREMENT GENS DE RAISON ET DE MODERATION, ILS NE SE FOURVOIENT PAS QUANT A LA NATURE DES PROBLEMES DE LEUR PAYS.