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In Amenas et bien avant : les premières conclusions

par Kamel Daoud

De quoi, de qui parler en premier ? D'abord de la communication. Elle sera désastreuse. L'affaire d'In Amenas sera sans images, sans détails, sans informations. Pays fermé à lui-même, aux siens et au reste de l'humanité. C'est à peine si Dahou Ould Kablia viendra expliquer un peu ce qui se passe et ne parlons même pas (pour rester poli) de la convocation risible du ministre de la Communication, chargé de jouer (mal) le rôle d'un ministre de la Communication. Le reste ? Les Algériens le puiseront dans les chaînes TV étrangères et les agences de l'au-delà. On aura vu François Hollande chaque quart d'heure, Cameron chaque demi-heure, le porte-parole du Japon ou du state département US. Et Bouteflika ? Vous le verrez chaque quatre ans. D'ailleurs In Amenas ne vous concerne pas, n'est pas votre affaire, votre gaz ou votre pays ou vos proches et amis qui s'y trouvent. Ould Kabila vous dira que les terroristes ne viennent pas d'ailleurs il y a deux jours, puis qu'ils viennent de Libye il y a un jour et n'en éprouve aucune gêne.

Bilan de la com' ? Belmokhtar 2, l'Occident 1, Algérie zéro.

Ensuite, il y a le «qui fait quoi ?». On a eu droit à l'appel contre l'OTAN en mai 2012. Souvenez-vous : si vous ne votez pas, l'OTAN va attaquer. Tous ceux qui parlaient de changement, de démocratie et de liberté ont été taxés de Harkis, de pro-Occidentaux, de pro-Français et de fervents soutiens de la recolonisation. Le Régime s'est refait une légitimité anticoloniale en se refaisant une guerre imaginaire pour stopper la contagion des révoltes «arabes». A la fin ? Hollande est reçu à Tlemcen pour l'audit du mandat Bouteflika et pour une prolongation de la régence. Et par la suite, ceux-là mêmes qui ont gonflé le bon peuple à l'hypernationalisme populiste, ouvrent l'espace aérien du pays à la France et ne s'expliquent même pas devant leurs indigènes. Et ensuite ? La même moquerie : on parle de l'expérience antiterroriste algérienne soi-disant mondialement reconnue, du tout-sécuritaire, de frontières sécurisées, d'armée expérimentée, on multiplie les réunions d'état-major et du grand muet à Tamanrasset et au Sahel, pour conclure sur l'affaire In Amenas : un groupe de 60 personnes, qui se promène en pick-up, prend une base stratégique en une demi-heure, prend des centaines d'otages et fait son numéro international.

La conclusion des internautes algériens ? On arrive à intercepter Zayd Yacine, le militant condamné à six mois avec sursis pour avoir frappé la main d'un policier avec son visage (!) dans un bus entre Ouargla et Hassi Messaoud, on tabasse avec application des chômeurs à Ouargla mais on n'arrive pas à voir une caravane de fous qui veut faire exploser le pays. D'où la demande des comptes : on veut des comptes et des explications non seulement sur l'assaut, la prise d'otages mais surtout sur l'incompétence qui a permis que cela arrive. L'action de l'armée, hier, ne doit pas faire oublier les inactions d'avant. On ne négocie pas avec des terroristes, certes, mais on ne négocie pas avec l'incompétence aussi. Celle qui écrase les jeunes cadres de notre armée, sous le poids de quelques vieillards qui s'éternisent dans les galons et la vieillesse.

Et ensuite ? La peur. La peur de voir le pays, le nôtre, sombrer dans l'infréquentabilité et la solitude à cause de cette génération d'incompétences organisées. La peur de voir revenir les années 90 et les années 1830 à cause de ceux qui pensent à leurs prolongations et pas à notre nation. La peur de voir ce pays être dépecé par l'extérieur après avoir été vidé de l'intérieur. La peur de voir continuer la gabegie et l'incompétence et le mépris, pour toute une vie alors que la vie est courte et la nation fragile. La peur de voir ce pays finir en champs de manœuvres parce que ceux qui le dirigent malgré lui n'assurent plus ni la sécurité des approvisionnements, ni la sécurité de nos ressources, ni la sécurité des personnes et des frontières, et seulement leur sécurité propre et celle des leurs.

La peur donc est la dernière et la première conclusion. Nous voilà encore au centre du monde, mais par le pire et l'habituel : le sang, l'armée, les islamistes, l'incompétence, la mauvaise communication. Nous qui avons à peine rejoint l'humanité normale.