Si Alger, où il est arrivé hier, n'avait rien de
normal, le président français, François Hollande, est bien un président normal.
Les guillemets ne sont pas de mise autour du «normal» dans la manière qu'a le
chef de l'Etat français de gérer la relation et les intérêts, importants, de la
France en Algérie. Le désuet style local, très années soixante, d'organisation
de l'accueil de l'hôte officiel de l'Etat Algérie est «normal», mais avec
obligation de mettre les guillemets. Le souhait d'accueillir avec beaucoup de
chaleur M. Hollande ne s'est pas traduit par une capacité d'imagination
particulière. On a fait comme d'habitude? On oubliera donc cette forme très
«normale» de l'accueil qui a grandement besoin d'être modernisée pour passer à
un stade un peu plus mature. Cela aussi sera un élément d'une relation normale
entre les deux pays qui, sans renier l'histoire, se construit au présent. Ceux
qui en Algérie, peu nombreux, ont fait de la repentance un fonds de commerce
sont anormalement silencieux à l'occasion de cette visite. Même si leur
exigence n'est pas très réfléchie, le silence qui semble leur être imposé n'est
pas non plus un signe positif de normalité en Algérie. On aurait préféré
entendre ces voix pour que l'on puisse aussi constater qu'elles n'expriment pas
la vision qu'ont la plupart des Algériens de la relation avec la France.
François Hollande devrait aborder aujourd'hui cette question de la mémoire avec
«lucidité et responsabilité», dit-il, et on écoutera attentivement quels mots
il trouvera sur un terrain important mais miné par les surenchères. Il sait que
la «repentance» est une fausse piste mais que le déni de l'histoire est une
impasse. Des personnalités françaises, dont Etienne Balibar, Simone de
Bollardière et Stéphane Hessel ou François Gèze, ont trouvé les mots justes en
demandant au président français de «remettre en cause la grille de lecture du
monde du XIXe siècle» qui a «permis de soutenir un système inique, trop
longtemps tenu pour une entreprise normale». Ils ont appelé les «plus hautes
autorités de la République française de reconnaître publiquement l'implication
première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la
colonisation en Algérie». C'est tout simplement un appel à prendre acte de
faits d'histoire qui sont importants pour l'Algérie, mais qui le sont tout
autant pour la France. C'est la voie rationnelle pour envisager l'avenir, de
l'appréhender de manière apaisée, et de faire entrer les rapports d'Etat dans l'âge
adulte. Cinquante ans après l'indépendance, il est temps également de sortir la
dimension économique bilatérale de ses durables ambiguïtés. On ne dira jamais
assez que la déformation importatrice et rentière de l'économie algérienne a
favorisé un fonctionnement opaque et en réseaux qui est, au final, au
désavantage de l'Algérie. Pour sortir de ce statut de déversoir des produits
d'importation et d'exportateur de capitaux, il appartient à l'Algérie de
définir une politique vigoureuse et sérieuse de diversification de l'économie
et de soutien à l'investissement productif. Le pouvoir des «importateurs» et
des rentiers du commerce extérieur est une réalité qui explique nombre de
distorsions structurelles. Et il ne faut pas attendre d'opérateurs étrangers, français
ou autres, qu'ils remettent en cause une organisation très rentable pour eux.
Dans ce domaine, une relation normale, mutuellement bénéfique, passe par le
préalable d'une mise au net, ici, en Algérie. Il suffit que nous aussi
devenions normaux. Sans guillemets.