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Le socialisme et le Père du peuple tuent encore en Algérie

par Kamel Daoud

Cela se voit dans tout le pays, dans chaque village : les 100 locaux de Bouteflika. Souvent fermés, mal situés, peu intéressants pour les intéressés, objets de convoitises et de blocages et de violence et d'abandon sinistre. A la fin, rien. Rideaux baissés et argent jeté par des fenêtres même pas construites. Pourquoi en parler ? Parce que c'est l'exemple même de la gestion de l'économie par la Kasma. Sur Oukaze du Père du peuple, on a décidé de faire dans le socialisme de la distribution : 1.000 villages socialistes versus 100 locaux par commune. Populisme, démagogie, vision courte et conception féodale de l'économie. On croit ainsi relancer l'emploi en distribuant des locaux pour cueillir les applaudissements mode années 69.

Sous le slogan «Chabab», concept dévitalisé de la jeunesse vu par les survivants du socialisme. Et on sait le drame de l'Algérie : les enfants grincheux du socialisme triomphaliste décident encore de l'économie, ne laissent pas émerger un patronat fort, ni s'organiser le commerce en dehors de la décision centrale et de l'Etat jacobin. A la fin, le Père du peuple fait tout, et n'importe quoi : il va dans les wilayas distribuer l'argent des caisses occultes, décide de donner des locaux commerciaux, efface les dettes des fellahs quand il le veut comme si c'était son argent, enterre Warda à El Alia et Mohammed Arkoun au Maroc? etc. Gestion monarchiste, aveugle et dépassée par le temps et les morts. Les 100 locaux par commune incarnent au mieux la vision de l'économie par les enfants vieillis des années 70 : décision « souveraine », gestion par le Souk El Fellah, haine des classes moyennes et soupçon majeur sur le patronat confondu avec le colon d'autrefois.

Du coup, on s'imagine ce qui se passe dans des paliers plus stratégiques de l'économie. Comment la même recette des 100 locaux par commune, fait mode pour les gros chantiers, les grands contrats, les approvisionnements et les investissements de ladite Relance. On s'imagine ce qu'est l'économie algérienne en regardant, avec tristesse, ces locaux fermés par la poussière, abandonnés et que chaque wali s'est empressé de construire car c'était la mode de la décennie. On s'imagine l'argent perdu, les dépenses publiques inutiles et les occasions ratées. On s'imagine et on s'explique pourquoi les ministres sont d'une incompétence parfois insoutenable, pourquoi l'université algérienne a été déclassée, pourquoi le « algerian dream » est de naître à Aflou et d'y travailler comme intendant d'école avant de se voir propulsé apparatchik, patron du FLN, ministre d'Etat et représentant du Père du peuple. On s'explique pourquoi il suffit de tatouer « j'aime l'Algérie » sur son avant- bras pour devenir ambassadeur féru de la colonisation arabe. On s'explique avec quelle facilité un ministre du pétrole peut vendre la moitié de l'avenir puis se permettre un rire moqueur contre les Algériens et s'en aller finir conseiller international dans la plus totale impunité. On s'explique aussi la grande mosquée, le petit pays, le livre inutile et la misère des lois et des corruptions. C'est parce qu'on peut se permettre de construire 100 locaux par commune avec le bout du doigt, qu'on peut faire de ce pays ce qu'il est maintenant : un échec qui n'est pas assumé mais gonflé à l'hélium de la vanité. Car à chaque fois que le chroniqueur regarde ces 100 locaux, dans chaque commune, il a envie de recourir au TPI. Existe-t-il d'ailleurs une cour des comptes internationale ?