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Le nouveau scénario: de la RADP à la zaouïa nationale où l'on mange assis

par Kamel Daoud

L'Algérie sera-t-elle islamiste ? Réponse : oui.  Tout s'y prépare pour le  nouveau deal : la montée du bigotisme, l'intolérance légalisée par les lois, l'école, les mosquées, certains journaux de masse. Le deal est en expérience ailleurs dans le monde arabe : le régime se contentera donc de gérer la rente et les AE et laisse aux islamistes et aux conservateurs la gestion domestique. Les deux sont d'ailleurs de la droite : les conservateurs et les islamistes. De quoi s'entendre sur le dos de la plèbe et sous le nez des démocrates.

En Algérie, si on sort des cercles immédiats des élites urbaines, les Algériens ne discutent vraiment que de deux choses : la religion ou la pension. Rien d'actif, de progressiste, de dynamique. Que du passif assis. Le régime encourage même la tendance ; voiles moches pour les femmes et vieillissement précoce pour les hommes. L'avez-vous remarqué, par exemple, à l'ENTV ? On ne parle jamais d'un (e) Algérien (ienne) qui a inventé un logiciel, d'un jeune qui a domestiqué la mer ou d'une étude, d'une université, d'une thèse inaugurale. La mode depuis des années, au chapitre « hommage », c'est de parler de « l'éminent théologien X Ben Y », né en 1889, mort il y a trois siècles, connu pour son art de l'exégèse, sa culture en hadiths et l'immense respect des dix mille hameaux de sa région.

Le Savant est théologien ou n'est pas. Le Savoir est religieux ou n'est pas. Le livre est un commentaire du Coran ou n'est pas. L'éminence est celle du religieux ou n'est pas. Le modèle social est donc religieux ou n'est pas.

A l'éminent cheikh El Allama ben-autrefois, on consacre un colloque, on fait parler sa descendance et on évoque la grandeur de l'Algérie. Et c'est un peu le but sombre des idéologues de notre terre : obtenir, par lents glissements, un peuple immobile qui ne pense qu'à la prière et que l'on nourrit au pétrole et pas aux récoltes. Il n'y a pas mieux pour faire disparaître un peuple, éviter la critique, la démocratie, l'opposition, le dynamisme de la vie, l'émergence d'un patronat, la culture des comptes et la fin de l'impunité et de la gratuité.

L'Algérie se prépare donc à être offerte en épouse au genre Soltani, sans autre projet que de guérir par la Rokia et l'eau qui vibre. A en pleurer donc : voir ce beau pays, né de l'effort et martyr, finir en zaouïa immense. Voir le sacrifice des années 90 offert aux islamistes et voir le rêve des élites des années 60 être soldé dans du Benbadis bas de gamme.

Il ne faut pas se mentir : il n'y a pas d'autres visions politiques aux yeux des scénaristes de notre drame que d'offrir la gestion quotidienne aux islamistes. Pas ces sauvages des maquis qui servent à la rente géostratégique du régime, mais ces autres domestiqués, formatés, habitués à comprendre le sens de la menace et de l'alliance, opportunistes à souhait. Le crime se dessine. C'est le nouveau scénario de sortie de crise : déplacer la promesse d'un Etat stable et puissant vers l'au-delà, pas ici-bas.

Les islamistes ont tout pour plaire désormais : ils sont ultralibéraux, obéissants, pragmatiques, comploteurs et entristes. Ils sont plus garantis que les progressistes. La France coloniale l'avait bien compris à l'époque : il n'y a pas mieux que les zaouïas pour faire assoir un peuple autour d'une tombe vide.