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Les Egyptiens face à notre octobre 88

par Kamel Daoud

« On ne fera pas les  mêmes erreurs que vous», a dit au chroniqueur un écrivain égyptien il y a quelques mois. Cela se confirme : les Egyptiens restent vigilants et savent décoder l'arnaque. Et contrairement à ce que l'on croit et répète, l'expérience algérienne, ratée, est dans les esprits de nos voisins en Tunisie et en Egypte. Ils savent que chasser Chadli et obtenir un parti majoritaire à la place d'un parti unique n'est pas la démocratie. Le Pouvoir ruse à chaque fois et aujourd'hui encore en Egypte. Là, l'armée veut faire en remake ce qui s'est fait chez nous : déplacer le centre de la décision vers l'occulte, s'autonomiser par rapport au droit de regard et de surveillance du peuple et offrir à la populace un Etat fantoche avec un Président faible, des ministres sans puissance et un Parlement sans poids.

Pour comprendre ce qui s'est passé chez nous en 88 et qui permet à certains oiseaux de répéter que «l'Algérie a déjà payé» (oui, mais jamais livré), il faut inverser : en 1988, les Egyptiens chassent Moubarak, leur FLN devient parti favori (synonyme poli de parti unique) et ils ont droit à une fausse opposition surveillée et des islamistes en bocal pour faire peur. Les islamistes sont poussés à la révolte et ils se révoltent, on revient au «tout sécuritaire» et on reprend le pouvoir sous l'impératif de la stabilité et de la lutte antiterroriste. Le maréchal Tantaoui devient le vrai maître du pays, Amr Moussa devient un Président coopté pour accueillir les étrangers et la police politique change de sigle mais pas de mission. A la fin ? Rien n'a changé, sauf la couleur de la veste. Dix ans après, les Egyptiens se retrouvent avec 256 petits Moubarak et leurs fils, plusieurs polices politiques, une place Tahrir devenue lots de terrains ou assiette pour la plus grande mosquée d'Afrique.

Les Egyptiens veulent donc que cela ne leur arrive pas. Ils veulent l'autorité du peuple sur l'armée et pas l'inverse. Ils veulent que ceux qui ont tué durant leur révolution soient retrouvés et jugés. Ils ne veulent pas que les victimes finissent comme les victimes d'octobre 88, «accident du travail», selon la nomenclature de remboursement et des indemnisations décidée sous Chadli.

Chez nous, personne n'a été jugé pour les tirs à balles réelles du 5 octobre. Personne n'a payé pour les centaines de morts et les milliers de torturés. Les Egyptiens veulent que le budget de leur armée ne soit pas un secret entres intimes et veulent que la démocratie demandée par les 850 morts soit livrée immédiatement et pas comme chez nous, livrée après la mort. Les Egyptiens ne veulent pas que cela leur arrive et c'est le plus dur : démocratiser l'armée dans les pays arabes, lui signifier qu'elle n'est pas au-dessus du peuple, que c'est le peuple qui la paye et qu'elle est là pour obéir et pas pour donner des ordres.