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Ali B. /L'ambassadeur du Japon / L'auto-insulte

par Kamel Daoud

Un Ali Boudoukha est mort. C'est un ami. Un journaliste. Le chroniqueur garde la culpabilité de ne l'avoir pas appelé souvent. Surtout ces dernières années de lutte contre le Mal. Faut-il garder des souvenirs ? Non. Il faut les perpétuer, en faire des balises et pas une mémoire. Le chroniqueur n'a jamais souhaité arriver à cet âge où l'on parle des siens avec l'hommage qu'imposent la mort et le trait final, mais c'est déjà le cas. Pour les lecteurs, il s'agit d'une signature qui ne sera plus visible ; pour les siens, c'est une fin du monde qui laissera le monde à moitié vivant et à moitié inutile, pour longtemps. Pour nous ? Pour moi ? Un homme qui avait en balise ses principes qui m'apprirent l'engagement étonnant dans ce pays où l'engagement ne paye pas et est signe de naïveté. Vu de dehors par les gens qui ne sont pas de la profession, l'hommage ressemble à une martyrologie entre intimes, et pourtant l'hommage est nécessaire. N'ayant pas pu respecter la vie, respectons la mort. Ali est un ami. Un aîné. Un homme qui m'a éclairé et avec qui j'ai partagé plus que le rire et l'humour et l'envie d'être meilleur que ce que m'imposent le fatalisme et les autres et la pesanteur. Peu de gens peuvent prouver qu'ils étaient vivants avant la mort. Pour Ali, j'aime à le croire. J'en ai eu tellement de preuves et de moments. Repose en paix l'ami : la paix que le pays ne t'a pas offerte.

 Deux - Extrait de l'entretien accordé par l'ambassadeur du Japon à Fayçal d'El Watan et paru hier. « J'ai envie de dire quelque chose sur la bureaucratie, on est critiqué pour ce fléau au Japon, mais j'ai l'impression que c'est un peu trop en Algérie. Je suis arrivé ici il y a un mois et je n'ai pas encore pu récupérer mes bagages à l'aéroport ! On a exigé de moi la carte diplomatique, une sorte de carte de séjour. Il a fallu trois semaines pour l'obtenir. Je n'ai pas compris pourquoi on me demande cette carte puisque j'ai déjà le passeport et le visa diplomatiques. Ensuite, on m'a dit de passer par les procédures de dédouanement. J'ai présenté le dossier à la douane, il y a une semaine, et je n'ai pas encore mes bagages. Mon épouse commence à se plaindre, car elle n'a pas ses habits d'hiver ! Un homme d'affaires m'a informé qu'il faut 42 jours pour obtenir le visa algérien. (?) Il faut simplifier les procédures administratives, cela se répercutera positivement sur l'économie».

 Qu'en penser ? Ne pas penser. Juste se sentir moins seul : si un ambassadeur d'une grande puissance n'arrive pas à retrouver ses chaussures en Algérie, qu'en est-il de nous ? Le fatalisme algérien adore ce genre d'histoire qui prouve que l'Algérie existe mal ou si peu ou seulement de temps à autre et que nous sommes condamnés à pourrir et que rien ne fonctionne. Les meilleurs d'entre nous luttent contre cette pente et n'aiment pas confondre nation, identité et incompétence, mais c'est difficile. Très difficile. Là où un ambassadeur ne peut pas récupérer sa veste, un investisseur ne voudra jamais mettre ses sous.

 Trois - Le printemps arabe est un complot occidentalo-sioniste pour redistribuer les terres, les pouvoirs, l'argent et les forces et les frontières. Cela est dit de temps à autre, un peu partout et cela donne envie de vomir. Sommes-nous à ce point vidés d'espoir et de confiance que même lorsque nous faisons l'Histoire, nous nous retournons pour voir qui est derrière nous ? Sommes-nous si convaincus de notre faiblesse que nous ne croyons même plus à la force de nos colères ? Qu'ont les autres de plus que nous pour qu'on leur octroie le statut de souverains des complots et de scénaristes imbattables ? Pourquoi nous ne nous faisons pas confiance ? Pourquoi avons-nous la certitude que nous ne sommes que des moutons et des poupées gonflables ? Pour une fois que nous sommes le centre du monde, pourquoi répétons-nous partout, avec les yeux plissés du soupçon, que nous sommes sa farce et sa dinde ? D'où vient cette sensation d'infériorité devant notre propre reflet sur le miroir des actes ? Marre d'entendre cette théorie du complot. C'est l'insulte la plus humiliante faite par les nôtres à leurs propres personnes.