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Laden ou la fascination finale

par Kamel Daoud

Curieux mystère : le dictateur arabe accuse souvent son peuple d'un crime qu'il finit par commettre lui-même. Explication : la menace islamiste et la lutte contre la montée de l'intégrisme religieux ont servi de seconde légitimité à de nombreux dictateurs arabes. Ils ont abusé et usé de Ben Laden pour s'acheter des armes en solde, refuser les élections et des successions, obtenir des alliances en Occident et stopper le tic-tac du temps. Cela a duré deux décennies. Mais que se passe-t-il quand un dictateur tombe ou vacille dans notre monde ? Il se met lui-même à ressembler à Ben Laden. Le premier de la série a été Saddam : tout près de la mort, il a laissé pousser une longue barbe, parla de Djihad contre l'envahisseur, lança des bips affolés vers le ciel qu'il n'aimait pas, prit un Coran et ne s'en sépara plus jamais pendant son long procès et jusqu'à la corde. A la fin mourant, il prononça cette profession de foi qui était presque un crime dans la bouche des islamistes qu'il détestait et tuait sans se fatiguer.

 La benladinisation des dictateurs arabes poussa le remake jusqu'au détail : Saddam s'est caché dans un trou comme Ben Laden dans les trous de Tora Bora et réclama les martyrs par les avions de l'Otan à défaut des avions du 11 septembre. Dans l'histoire de Saddam, on retrouve donc le fameux casting : les Américains, le pétrole, la barbe, le trou, le Coran, les avions.

 Des années plus tard, c'est le tour de Moubarak : lui n'a pas réussi à trouver un trou valable pour s'y cacher et la benladinisation a touché ses fils. Dans la cage du procès, le monde a vu l'un de ses deux fils exhibant ostensiblement le Coran, souvenir d'un Dieu retrouvé. Ce fut aussi le cas de Kadhafi. Lui qui a mangé des milliers d'islamistes, a fini par en réclamer l'héritage guerrier. Chassé de Tripoli, il fit de même qu'Oussama : il se cacha dans un trou, appela au Djihad, paya le pétrole comme Saddam et proclama son alliance avec Allah. Pour les effets spéciaux, c'est le fils de Kadhafi, le Seif El Islam qui laissa pousser la barbe donc. Et pour pousser encore plus l'identification involontaire, Kadhafi communique avec le reste du monde comme le fit Ben Laden : avec des enregistrements audio à identifier !

 Presque tous, la face contre la terre, jouent avec d'anciennes cartes : appels à libérer la Palestine, dénonciation de l'impérialisme pétrolier, alliances avec des systèmes tribaux réactivés, barbes et exemplaires du Coran à la main, Djihad à la bouche. Un vrai mystère donc qui ouvre le droit à d'immenses hypothèses de science-fiction : et si Ben Laden a seulement voulu être président à vie comme les dictateurs ? Et si les dictateurs étaient des Ben Laden depuis longtemps mais se cachaient sous la peau des ennemis de Ben Laden ? Et si l'un des effets secondaires du pétrole sur la peau était de faire pousser les barbes et cris ? A creuser. Quand on creuse dans un pays « arabe », on trouve toujours quelque chose. Ou quelqu'un.